Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WESTERN. (suite)

Il en va de même, à cette époque, de cinéastes dont le nom n'est pas habituellement associé au genre, comme Borzage, ou qui ne le pratiqueront plus qu'occasionnellement, comme De Mille (dont le premier film est le Mari de l'Indienne, 1914). Griffith n'a nullement dédaigné le genre (The Yaqui Cur, 1913), mais — si l'on réserve le cas de Pour l'indépendance (1924) — il l'a délaissé à partir de 1914 (c'est-à-dire de sa période la plus novatrice), et, illustrant avant tout, avec le film historique et la pastorale, la tradition « sudiste », il n'a pas cherché à donner au western ses lettres de noblesse.

Mais les années 20 permettent au western — comme aux autres genres — de s'affirmer grâce à la longueur accrue des œuvres et à la perfection technique de la photographie. Ces qualités combinées donnent au western ce qui restera l'une de ses caractéristiques les plus fréquentes : la dimension épique, la majesté du paysage s'harmonisant avec le sentiment d'un enjeu historique, d'une nation qui se forge au contact du territoire qu'elle conquiert et colonise. Ce type épique est représenté essentiellement par la Caravane vers l'Ouest (J. Cruze, 1923), où l'on retrouve J. Warren Kerrigan (et 3 000 figurants dont 1 000 Indiens), le Cheval de fer (Ford, 1924), histoire de l'Union Pacific Railroad, et, au début du parlant, par la Piste des géants (R. Walsh, 1930), qui raconte l'ouverture de la piste de l'Oregon. Ce dernier film est tourné en 70 mm par une équipe de quatorze opérateurs et a pour star John Wayne, alors inconnu.

Mais la Piste des géants n'a pas de succès et, de manière générale, le western de qualité subit aux débuts du parlant une éclipse (notons cependant Billy le Kid de Vidor en 1930, également tourné en 70 mm, et The Squaw Man de De Mille en 1931, remake de ses films de 1914 et 1918). Son ampleur même, son caractère épique semblent d'abord étrangers à l'esprit des années 30, bavard et urbain. En revanche, les séries B continuent à fleurir, avec pour héros Gene Autry ou Roy Rogers, « cow-boys chantants », et leurs montures, respectivement Champion et Trigger ; parmi ces « mixtes » curieux, il faut aussi mentionner les westerns musicaux (« horse operas ») interprétés par des Noirs, comme Harlem on the Prairie (Sam Newfield, 1938), au titre significatif. C'est là un exemple parmi cent de l'impossibilité d'établir entre les genres des cloisons étanches ; de même peut-on noter l'introduction du cow-boy dans le cadre de New York dès 1917 (À l'assaut du Boulevard de Ford, avec Harry Carey), soit cinquante ans avant Un shérif à New York de Don Siegel (1968), avec Clint Eastwood. Cela s'explique aussi par le fait qu'il suffit, pour évoquer le genre (et comme dans le cas du film de gangsters), d'une iconographie aux éléments nettement caractérisés, aisément identifiables : cheval, chapeau, armes à feu, fouet... Les allusions au western abondent dans le musical, par exemple dans les chorégraphies de Busby Berkeley (Whoopee !, 1930 ; In Caliente, 1934 ; Girl Crazy, 1943 ; Rose Marie, 1954). Quant aux « horse operas », ils subsisteront jusqu'aux années 50 et à l'avènement de la télévision.

Dans l'intervalle, le western de prestige aura connu une renaissance ainsi qu'une évolution spectaculaire. On note, en 1936, la Légion des damnés de Vidor, en 1937, Une aventure de Buffalo Bill de De Mille, et, à partir de 1939, une véritable floraison, avec une grande variété de thèmes : l'histoire des pionniers, à l'époque où naît la conscience d'une identité nationale (le Grand Passage de Vidor, Sur la piste des Mohawks de Ford), voisine avec l'héroïsation de Custer (la Charge fantastique, Walsh, 1941) et avec une nouvelle version de l'épopée du Transcontinental (Pacific-Express, De Mille, 1939) ; et le point de vue du bandit au grand cœur (Jesse James, King, id.) alterne avec celui du shérif (Frontier Marshall, Dwan, id.). La maîtrise de Ford, qui revient avec éclat au genre de ses débuts, s'affirme, même si la Chevauchée fantastique (id., qui révèle enfin John Wayne après l'échec de la Piste des géants) n'est pas exempte d'un certain académisme ; tant Sur la piste des Mohawks que le Grand Passage affichent, par le recours à la couleur, leur caractère épique, préfigurant ainsi l'évolution du genre à la fin des années 40 et dans les années 50.

Une analyse sociocritique même superficielle ne saurait manquer d'établir un parallèle entre ce renouveau du genre et l'esprit communautaire et patriotique qui accompagne le New Deal et le sentiment de la montée des périls en Europe. Esprit et sentiment diffus sans doute, mais, dans cette mesure même, très généralement répandus. Au contraire, la guerre proprement dite provoque une nouvelle éclipse du genre, qui reparaît à son issue, marqué par l'esprit introspectif et non triomphaliste des années 40. Ford donne alors le chef-d'œuvre de la tradition populiste, qui voit dans la communauté de l'Ouest le modèle et le microcosme de l'Amérique — la Poursuite infernale (1946), avec Henry Fonda dans le rôle de Wyatt Earp. (Notons au passage le gauchissement épique que les titres français font subir au genre de manière presque systématique, ce qui aboutit à de véritables contresens dans le cas de la Poursuite infernale pour My Darling Clementine ou de la Charge héroïque pour She Wore a Yellow Ribbon.) La communauté emblématique deviendra, plus spécifiquement, la cavalerie américaine dans la trilogie constituée par le Massacre de Fort Apache (1948), version légèrement déguisée et cette fois-ci critique de l'histoire de Custer, la Charge héroïque (1949) et Rio Grande (1950). Sentiment communautaire renforcé et pour ainsi dire concrétisé par le fait que les interprètes et les collaborateurs de Ford composent eux-mêmes une cellule quasi familiale : on retrouve, d'un film à l'autre, John Wayne, Ward Bond, Jack Pennick, Ben Johnson, Harry Carey Jr., Victor McLaglen qui, après avoir été sergent écossais ou irlandais de l'armée des Indes, incarne le même type dans la cavalerie américaine.