Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ANGELOPOULOS (Theodoros, dit Theo)

cinéaste grec (Athènes 1935).

Après des études de droit puis un bref passage à Paris, il suit en 1962 les cours de l'IDHEC. De 1964 à 1967, il est critique cinématographique au quotidien Allagi. Un long métrage entrepris en 1965 avec le groupe de musiciens pop Formix Story ne pourra jamais être achevé. Quand Angelopoulos parvient en 1970 à persuader un jeune producteur (George Papalios) de financer son premier film, il n'a encore réalisé qu'un seul court métrage  : l'Émission (I ekpombi, 1968). La Reconstitution (Anaparastassi) provoquera une certaine surprise en remportant en 1970 le grand prix de Salonique. À travers l'intrigue pseudo-policière du récit — un émigré, à son retour d'Allemagne, est assassiné dans un village retiré de l'Épire par sa femme et l'amant de celle-ci —, on remarque un style et une démarche idéologique dont l'originalité tranche sur le conformisme du cinéma grec de l'époque. Le fait divers retient moins l'attention du metteur en scène que l'enquête qu'il déclenche, ainsi que ses implications sociologiques individuelles et collectives.

Ses trois œuvres successives  : Jours de 36 (Imerestou 36, 1972), le Voyage des comédiens (O thiassos, 1975) et les Chasseurs (I kynighi, 1977) apparaissent comme une vaste trilogie sur l'histoire de la Grèce contemporaine. S'appuyant sur une forme de pensée à la fois dialectique et didactique héritée de Brecht, Angelopoulos fouille la mémoire collective de ses compatriotes afin d'en extraire une leçon politique et sociale. Il nie les procédés courants du récit filmique, se refuse à ce que le spectateur s'identifie à un quelconque héros ou épouse inconditionnellement une thèse préalablement établie. Il privilégie le choix d'un petit groupe social représentatif par rapport à la notion de masse et utilise avec virtuosité les richesses et les possibilités techniques du plan séquence, parce que sa longueur permet de subtiles variations sur le rapport espace-temps, autorise même parfois le télescopage de deux moments historiques distincts, en éclairant de manière imprévue ou évidente, le passage du mythe à la réalité... En bref, le cinéaste sait brasser dans un même mouvement de caméra diverses composantes du récit. Cette ambition pourrait conduire à la confusion ou à l'intellectualisme abscons si elle n'était portée par une intelligence lucide et par une constante exigence formelle.

On retrouve cette liturgie très personnelle qui n'est pas sans évoquer certaines règles de tragédie grecque dans Alexandre le Grand (Omegalexandros, 1981), fable moraliste et amère sur un bandit justicier, figure quasi légendaire vénérée par le peuple, qui devient, par intransigeance et radicalisation, tyran mégalomane, et dans le Voyage à Cythère (Taxidi sta Kythira, 1984) où, à travers l'histoire d'un vieux combattant communiste de la guerre civile exilé en URSS et qui à son retour dans la mère patrie s'aperçoit qu'il n'y a plus de place ni pour lui ni pour ses idéaux, le cinéaste s'interroge sur les rapports du temps, de l'histoire et de la mémoire. Il réalise en 1986 l'Apiculteur (O melissokomos) avec Marcello Mastroianni, d'un style plus réaliste et plus intimiste, en 1988 Paysage dans le brouillard (Topio stin omichli), admirable voyage initiatique et poétique de deux enfants en quête d'un lien paternel et affectif, en 1991 le Pas suspendu de la cigogne (To meteoro vima tou pelargou avec Mastroianni, à nouveau, et Jeanne Moreau) et, en 1995, le Regard d'Ulysse (To vlemma tou Odyssea), splendide dérive à travers les Balkans d'un cinéaste d'origine grecque qui tente de retrouver le premier film mythique tourné à l'aube du siècle par les frères Manakias. Angelopoulos confronte mythes antiques et réalité contemporaine, une réalité saisie dans sa complexité et sa souffrance, brode de subtiles variations sur l'exil tant extérieur qu'intérieur et « donne à voir » par de longs plans, à la fois amples et lents, la complexité de cet enchevêtrement de populations balkaniques qui conduit le personnage central, nommé A (et incarné par Harvey Keitel), jusqu'à la ville martyre de Sarajevo. En 1998 il reçoit la Palme d'or à Cannes pour l'Éternité et un jour (Mia eoniotita ke mia mera).

ANGER (Kenneth)

cinéaste expérimental américain (Santa Monica, Ca., 1932).

Il est sans doute, avec Andy Warhol, le plus célèbre des cinéastes underground. Petit-fils d'une habilleuse de cinéma, il est très tôt fasciné par Hollywood, dont il célébrera les turpitudes dans son récit Hollywood Babylone (Pauvert, 1959). Son premier film important et public est Fireworks (1947). Interprétée par lui-même, cette histoire semi-onirique est sans doute la première transcription directe, au cinéma, de fantasmes homosexuels sadomasochistes. Cocteau dira du film qu'« il touche le vif de l'âme et que c'est là chose rare ». Cet encouragement et la censure qu'il affronte aux États-Unis (son film The Love That Whirls est détruit en 1949 par Kodak pour cause de nudité) l'amènent à se fixer à Paris. Il y tourne la Lune des lapins (1950), qui ne sera achevé qu'en 1972. Des deux projets entrepris avec les danseurs de Roland Petit, le Jeune Homme et la Mort, d'après Cocteau, et les Chants de Maldoror, il ne réalise que le premier en 1951. Les jardins de la Villa d'Este à Tivoli lui inspirent un petit divertimento bleu-vert, Eaux d'artifice (1953). En 1954, rentré à Los Angeles, il entame Inauguration of the Pleasure Dome (version finale  : 1966), rituel érotico-mythologique à la manière de ceux qu'organisait au début du siècle Aleister Crowley dans son abbaye sicilienne (à laquelle Anger, passionné de magie, consacre un documentaire en 1955). Il salue le début de l'« ère du Verseau », avec Scorpio Rising (1962-1964), tourné à Brooklyn dans un milieu de motards, entre documentaire et fiction. C'est, par son montage et la pop music qui le scande, une sorte d'hymne à la violence. Le 26 octobre 1967, il publie dans The Village Voice un faire-part annonçant sa mort. On lui vole en Californie une partie du Lucifer Rising qu'il est en train de tourner. Il monte à Londres ce qu'il en reste, sur une musique de Mick Jagger, sous le titre Invocation of My Demon Brother (1969). Tout en réunissant ses principales œuvres dans un « Cycle de la lanterne magique », il y achève aussi, en 1974, la 1re partie d'un nouveau Lucifer Rising.