Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
B

BROOKS (Richard) (suite)

Son goût pour les idées conduit Brooks à s'intéresser à de grands sujets. Sollicité par l'affrontement de la politique et de la morale (Cas de conscience, le Carnaval des dieux, les Professionnels), sa méditation a pour objet la défense de l'idée démocratique, illustrée par la liberté de la presse (Bas les masques), l'éducation (Graine de violence), la générosité et la raison. Voilà qui le conduit à décrire la violence dominatrice, origine de la conquête de l'Ouest (la Dernière Chasse) et les horreurs de la guerre (le Cirque infernal), exagérées par les vices des militaires (Sergent la Terreur). Mais son penchant artistique ne fait pas de lui un polémiste. Bien plus que la grandeur d'un idéal, il s'applique à mesurer les obstacles que rencontrent, autour d'eux et en eux-mêmes, ceux qui le soutiennent. Plutôt que de caricaturer ses personnages les plus noirs, il souligne leur épaisseur et, avec une secrète inquiétude, leur vraisemblance. Les séquences les plus réussies d'un bon nombre d'œuvres détaillent un inévitable échec, ou le peignent avec une sorte d'exagération épique. La richesse des caractères (Bogart dans Bas les masques et le Cirque infernal, Widmark dans Sergent la Terreur et même Van Johnson dans la Dernière Fois que j'ai vu Paris) contraste alors avec la force simple de certaines situations : la puissance des rotatives de Bas les masques, l'attrait sexuel d'une éducatrice (Graine de violence), voire le vertige d'une fête (les Frères Karamazov). La mise en scène insistante de ces épreuves brutales et vives marque l'écart qui sépare le héros du monde où il doit vivre.

À la MGM, de ses débuts à la fin des années 50, Brooks conserve un style appliqué, sans doute gêné par les contraintes du studio, mais une inquiétude généreuse donne à ses films un tour original. Cette expression personnelle ne va pas tarder à se développer. Un romanesque s'esquisse déjà dans la Dernière Chasse : troupeaux de bisons, bivouacs et gel, évoquant la contemplation d'une idée fixe, approfondissent la figure du héros, dupe de son rêve. Le Carnaval des dieux, au risque de choquer l'Amérique, fait des rencontres du Noir et du Blanc autant d'emblèmes des relations raciales. Dans la Chatte sur un toit brûlant, la réalisation, avec un inégal succès, tente de soutenir l'exubérance du dialogue de Tennessee Williams et confère aux personnages une vraie présence sensuelle.

Elmer Gantry marque une éclatante rupture dans la carrière de Brooks. Libérée du studio, son invention visuelle produit des images d'une étrange plénitude, avec un beau sens du rythme et des couleurs. Empruntée à Sinclair Lewis, l'histoire du prêcheur inséparablement illuminé et escroc exprime à nouveau la fable de l'individu victime de l'apparence qu'il présente au monde. Si Doux Oiseau de jeunesse, nouvelle adaptation de Tennessee Williams, malgré sa densité, reste un film de tradition, Lord Jim (d'après Conrad) utilise parfaitement l'ambiguïté du visible, puisque l'aventure se comprend aussi comme initiation et comme salut. La faute devient ici la source de la vocation, mais cette moralité n'entrave pas une mise en œuvre riche de concret, attentive et claire.

La volonté de définir visuellement les éléments du récit justifie les deux derniers westerns de Brooks, les Professionnels et la Chevauchée sauvage. Le premier gaiement, le second non sans nostalgie, ils critiquent les poncifs de l'Ouest. Mais c'est De sang froid qui pousse le plus loin le souci de reconstitution appuyé sur un livre de Truman Capote. Ce film donne à voir un crime qui s'est réellement produit et ses conséquences, jusqu'à l'exécution des assassins. Ce n'est pas là du réalisme : revenant au noir et blanc, le réalisateur entend souligner l'intensité des choses et les enchaînements implacables de l'existence, plus que dévoiler une nécessité naturelle ou sociale. Sur un mode plus léger, Dollars conserve cette minutie et cette froideur, à l'image de son héros.

À l'opposé d'Elmer Gantry et de Lord Jim, ces figures de légende, cette exactitude insistante domine aussi The Happy Ending, dont le titre raille le cinéma. Le film n'a eu aucun succès, mais semble révélateur des scrupules de Brooks. En dépit de ses aspects naturalistes, À la recherche de Mister Goodbar reprend cette réflexion anxieuse sur les images fascinantes et vacillantes et sur les corps qui en sont l'objet. Une construction abrupte juxtapose deux caractères, celui d'une éducatrice dévouée et celui d'une traînée, en un seul personnage. L'auteur parvient ainsi à incarner sous une forme précise sa conscience des menaces qui habitent l'individu et sa méfiance envers les images mythiques que chacun donne de soi ; le cinéma se trouve lui-même révoqué en doute. L'idéalisme de Brooks se voit ainsi contrarié par une lucidité anxieuse : loin d'un humanisme crédule, son œuvre trouve là sa gravité et sa valeur.

Films  :

Cas de conscience (Crisis, 1950) ; Miracle à Tunis (The Light Touch, 1951) ; Bas les masques (Deadline, USA, 1952) ; le Cirque infernal (Battle Circus, 1953) ; Sergent la Terreur (Take the High Ground, id.) ; the Flame and the Flesh (1954) ; la Dernière Fois que j'ai vu Paris (The Last Time I Saw Paris, id.) ; Graine de violence (The Blackboard Jungle, 1955) ; la Dernière Chasse (The Last Hunt, 1956) ; The Catered Affair (id.) ; le Carnaval des dieux (Something of Value, 1957) ; les Frères Karamazov (The Brothers Karamazov, 1958) ; la Chatte sur un toit brûlant (Cat on a Hot Tin Roof, id.) ; Elmer Gantry, le charlatan (Elmer Gantry, 1960) ; Doux Oiseau de jeunesse (Sweet Bird of Youth, 1962) ; Lord Jim (id., 1965) ; les Professionnels (The Professionals, 1966) ; De sang-froid (In Cold Blood, 1967) ; The Happy Ending (1969) ; Dollars (id., 1971) ; la Chevauchée sauvage (Bite the Bullet, 1975) ; À la recherche de Mister Goodbar (Looking for Mr. Goodbar, 1977) ; Meurtres en direct (Wrong is Right / The Man With the Deadly Lens, 1982) ; Fever Pitch (1985).

BROUGHTON (James)

poète, dramaturge et cinéaste expérimental américain (Modesto, Ca., 1913).