Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DEMY (Jacques)

cinéaste français (Pontchâteau 1931 - Paris 1990).

Après une formation technique et un passage à l'École des beaux-arts de Nantes, il suit les cours de l'ETPC de Vaugirard. Attiré par l'animation, il travaille quelques mois avec Paul Grimault avant de devenir l'assistant de Georges Rouquier, qui produit son premier court métrage : le Sabotier du Val de Loire (1956). Dans ce film tourné sur les lieux de son enfance, le documentaire attentif aux gestes de l'artisan se double d'un essai authentiquement poétique sur la lente usure d'un univers clos sur lui-même et l'acceptation apaisée de l'écoulement du temps. Son film suivant, le Bel Indifférent (1957), sur le texte de Cocteau, expérimente audacieusement avec la couleur, le décor de studio et les longs plans-séquences. Après deux courts métrages mineurs en collaboration avec Jean Masson, Musée Grévin (1958) et la Mère et l'Enfant (1959), Demy clôt cette phase d'apprentissage avec un dernier court métrage : Ars (id.), où il exprime en mouvements d'appareil la grâce et la révolte, en même temps qu'il fait du village hostile qui emprisonne son personnage l'élément principal de son film.

L'émergence de la Nouvelle Vague lui permet de réaliser son premier long métrage, Lola (1961), qu'il tourne à Nantes. Il y entrecroise avec une constante invention les itinéraires de trois personnages féminins pour recomposer — dans les trois jours que dure l'action du film — l'existence tout entière d'une femme dont la vie n'est que fidélité à un amour d'enfance. Après le joli sketch sur la luxure dans les Sept Péchés capitaux (1962), qui reprend dans un mode plaisant l'expérimentation d'Ars (sur l'expression de l'abstrait à l'écran), Demy réalise, avec la Baie des Anges (1963), une descente aux Enfers : le hasard qui présidait aux rencontres de Lola devient ici le meneur d'un jeu destructeur où l'homme s'efforce de sauver son libre arbitre. Au-delà du merveilleux raffinement des couleurs et des décors (de Bernard Évein) et du pari splendidement tenu de faire chanter tous les dialogues (sur une musique de Michel Legrand), les Parapluies de Cherbourg (1964) frappe surtout par l'amertume de son sujet (un bonheur simple détruit par la guerre d'Algérie) et la rigueur avec laquelle Demy traite sans condescendance ni ironie un mélodrame tranquillement désespéré. L'immense succès international de ce film lui permet de réaliser un vieux rêve : une comédie musicale à l'américaine, les Demoiselles de Rochefort (1967), spectaculaire et colorée, pleine de chansons joyeuses et de numéros dansés, dans laquelle il développe en le multipliant le thème, qui court dans toute son œuvre, du couple « fait l'un pour l'autre » et que le hasard seul peut réunir. Model Shop (1969), réalisé aux États-Unis, semble de prime abord une suite à Lola, mais c'est plus profondément une nouvelle descente aux Enfers, dans la lignée de la Baie des Anges. Revenu en France, Demy tourne Peau d'Âne (1970), un conte de fées inspiré à la fois par l'esthétique des illustrations de livres enfantins, le pop art américain et le merveilleux fabriqué cher à Cocteau. Puis il réalise en Angleterre un mélancolique et beau Joueur de flûte (The Pied Piper, 1972), où la vieille légende du charmeur de rats lui permet de brosser le tableau d'un Moyen Âge rongé par la peste et l'intolérance et de développer métaphoriquement le rôle de l'artiste face aux compromissions du monde des adultes. Donné comme une fable sans prétention, ou comme un conte de fées moderne traité en comédie, l'Événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune (1973) se refuse à aller jusqu'au bout du sujet (l'événement en question étant la gestation d'un enfant par un homme), ce qui lui est dommageable. Après l'abandon au dernier moment de plusieurs projets importants, Demy réalise en France, mais en langue anglaise et pour des producteurs japonais, une adaptation raffinée et spectaculaire d'un roman-feuilleton historique à succès : Lady Oscar (1979), avant d'adapter en 1980 pour la télévision le roman autobiographique de Colette, la Naissance du jour. Deux ans plus tard, il revient à Nantes pour y réaliser enfin son plus ancien projet : Une chambre en ville (1982), véritable tragédie musicale entièrement chantée sur fond de conflits sociaux et de violences de rues qui obtient un succès critique sans parvenir pourtant à emporter l'adhésion du grand public. En 1985, Parking qui tente de moderniser le mythe d'Orphée s'avère un nouvel échec commercial. Trois places pour le 26 (1988) centré sur le personnage d'Yves Montand joue sur les ambiguïtés de la fiction et de la réalité, en mêlant la naïveté et l'enchantement, le réalisme sentimental et l'optimisme presque onirique. Demy collabore toujours en 1988 avec un cinéaste qu'il admire, Paul Grimault, en participant au tournage de la Table tournante, film consacré à l'œuvre du talentueux cinéaste d'animation.

Tirant le meilleur d'une équipe de collaborateurs fidèles (Michel Legrand, Bernard Évein, Jacqueline Moreau, Anne-Marie Cotret) et de comédiens qu'il connaît et qu'il aime (Catherine Deneuve, surtout, qui a interprété quatre films pour lui), Jacques Demy a construit à l'écart des modes un univers cruel et tendre, intensément lyrique, où chaque film éclaire les autres en même temps qu'il se nourrit d'eux — un univers essentiellement cinématographique dont la joliesse et l'élégance masquent mal la gravité profonde.▲

DENEUVE (Catherine Dorléac, dite Catherine)

actrice française (Paris 1943).

Issue d'une famille de comédiens français (son père Maurice Dorléac, sa sœur Françoise Dorléac), elle débute à l'écran à treize ans, prenant le nom de sa mère, qui avait été également comédienne. Lancée par Roger Vadim, Pygmalion des stars féminines, elle ne fait que pâle impression dans une adaptation contemporaine de la Justine de Sade. Elle est remarquée par Jacques Demy, qui l'impose grâce au succès stupéfiant des Parapluies de Cherbourg (1964), mais valorise l'aspect le moins intéressant de sa personnalité : la belle, lisse et pure jeune fille, aspect qui sera ultérieurement surexploité. Plusieurs productions contribuent néanmoins à pérenniser cette image trompeuse d'une comédienne aux ressources plus diverses et plus riches, comme le montrera, pour la première fois, Roman Polanski, avec Répulsion (1965), où elle incarne avec une vérité terrifiante une schizophrène frigide, multipliant les meurtres les plus sanguinaires. Aussi la reprise ultérieure par Michel Deville (Benjamin, 1968) du rôle de la vierge ingénue prend-il une résonance nouvelle.