Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WENDERS (Wilhelm, dit Wim)

cinéaste allemand (Düsseldorf 1945).

Après avoir entamé des études de médecine puis de philosophie, il est admis à l'École supérieure de cinéma de Munich, qui vient d'être créée, et en suit les cours de 1967 à 1970, tout en publiant des critiques de films et des textes sur la musique rock. Il réalise au cours de ces années d'études six courts métrages. Premier long métrage de Wenders, Summer in the City (1970), diplôme de fin d'études du cinéaste, est le récit d'une errance dans des milieux urbains. Les références à l'Amérique (selon un processus mêlant attraction et rejet), les obstacles à la communication évoquent déjà les films majeurs des années 1973-1976.

C'est grâce aux structures collectives mises en place par les jeunes cinéastes de Munich (le Filmverlag der Autoren) qu'il réalise, d'après un livre de Peter Handke : l'Angoisse du gardien de but au moment du penalty (Die Angst des Tormanns beim Elfmeter, 1971), avec la participation de l'écrivain. Ce récit de la disparition progressive d'une subjectivité et, plus exactement, d'une identité est suivi d'une œuvre moins originale, la Lettre écarlate (Der scharlachrote Buchstabe, 1972), un travail de commande, issu du fameux roman de Nathaniel Hawthorne. Puis le triptyque Alice dans les villes / Faux Mouvement / Au fil du temps, dont l'acteur principal est le même (Rüdiger Vogler), est produit par Wenders selon les principes du jeune cinéma allemand en RFA. Alice dans les villes (Alice in den Städten, 1973) met en scène la rencontre entre une petite fille, Yellä Rottländer (découverte dans la Lettre écarlate), et un journaliste (Rüdiger Vogler) dont le voyage aux États-Unis s'est achevé dans une certaine confusion professionnelle et intellectuelle. Réunis par le hasard, ils vont de New York à Amsterdam, puis errent dans les villes de la Ruhr, peut-être à la recherche d'une réalité dont les conditions de perception semblent échapper à l'adulte en proie au doute.

Wenders retrouve Peter Handke, qui lui apporte l'adaptation très lointaine d'un classique de la littérature : les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister, de Goethe. C'est Faux Mouvement (Falsche Bewegung, 1975), un film quelque peu littéraire, voire métaphysique, qui a en commun avec Alice et Au fil du temps une interrogation assez floue de l'Allemagne actuelle. Au fil du temps (Im Lauf der Zeit, 1976), un film noir et blanc d'une durée de trois heures, est l'aboutissement de la démarche du premier Wenders. L'influence de Peter Handke y est sensible, mais c'est la richesse de références du vagabondage (seulement apparent) que salue la critique européenne.

Bénéficiant d'un budget beaucoup plus confortable, il adapte, en 1976, un des romans de la série Ripley de Patricia Highsmith : l'Ami américain (Der amerikanische Freund, 1977), un film plus sensible, plus plastique, où il intègre une fiction policière ambiguë à ses propres conceptions du lyrisme et aux obsessions caractéristiques de ses films précédents. La même année, il produit le film de son ami Peter Handke, la Femme gauchère, tourné avec la participation de son équipe technique habituelle. Il produira aussi Radio on du Britannique Chris Petit et plusieurs œuvres de cinéastes berlinois. En 1978, il accepte une proposition de Coppola et commence à travailler sur Hammett (id., 1982), qui lui prend près de quatre années. Hommage au film noir en même temps qu'à l'écrivain Dashiell Hammett, et au cinéma américain (à ses yeux, le seul capable de raconter une histoire). Bien que dessaisi d'une partie du contrôle sur l'achèvement de Hammett, Wenders prouve la constance de son univers. Presque simultanément, au cours de plusieurs mois de l'année 1979, il filme une méditation sur les dernières semaines de la vie de Nicholas Ray, grand banni de Hollywood : Nick's Movie / Lightning Over Water, 1980). Au Portugal, il tourne l'État des choses (Der Stand der Dinge, 1982), fiction parfois symbolique, fondée en partie sur ses propres démêlés avec la production américaine. Commencé comme un hommage à la série B, ce film sur l'attente devient une réflexion subtile sur la recherche d'une identité et la création au cinéma. À cette même époque, il tourne plusieurs courts métrages pour la télévision française, puis met en scène une pièce de théâtre de Handke. En 1983, il séjourne au Japon et tourne Tokyo-Ga, une sorte de recherche sur Ozu, un de ses cinéastes préférés. Il retourne aux États-Unis et reprend un projet de scénario né d'une collaboration avec l'écrivain et acteur Sam Shepard, qui devient, en 1984, Paris, Texas. Production indépendante offrant une vision très neuve de l'Amérique, c'est le film de Wenders qui recèle le plus fort potentiel émotif. Couronné à Cannes, il connaît un assez large succès public. En 1987, il réalise les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin) sur un scénario cosigné par lui-même et Peter Handke. Film symbolique et métaphysique où l'auteur, par le regard d'« anges » venus capter les pensées des humains, observe la crise des valeurs et la confusion des sentiments qui règnent dans le monde contemporain en même temps qu'il propose une vision nouvelle, dérangeante et surprenante d'une ville (Berlin) somptueusement et insolitement photographiée par Henri Alekan. En 1989, il signe un film sur le processus d'inspiration et la démarche créative du couturier japonais Yohji Yamamoto (Carnet de notes sur vêtements et villes) avant d'entreprendre Jusqu'à la fin du monde / Until the End of the World (1991) qui déconcerte par l'emphase d'un scénario répétitif. On sent que le cinéaste traverse une période de doutes et d'interrogations et, s'il n'a rien perdu de son élégance stylistique, il ne parvient plus à emporter l'adhésion du spectateur auquel il souhaiterait cependant transmettre son angoisse (Si loin si proche [In weiter Ferne, so nah], 1993) ; Arisha (CM, 1993) témoigne également de ce désarroi intime. En 1995, il tente avec Lisbonne Story de se ressourcer en tournant dans la capitale du Portugal un film à la fois épuré et complexe sur le cinéma, le son au cinéma, les aléas d'une quête intérieure, l'amour, l'amitié, le hasard, bref l'« état des choses ». Il est reconnu comme un des tenants du modernisme, voire du postmodernisme, réputation qu'il justifie avec des films coproduits avec les États-Unis, riches de références – mais aussi d'alibis esthétiques et techniques – qui déçoivent la critique : The End of Violence (1997), The Million Dollar Hotel (2000). Il a assisté Antonioni sur Par-delà les nuages (1995) et tourné en 1996 avec les étudiants de l'École de cinéma de Munich les Lumières de Berlin (Die Gebrüder Skladanowsky) sur les pionniers allemands du cinéma, les frères Skladanowsky ; et il a obtenu un grand succès international avec un documentaire sur les vétérans de la musique cubaine Buena Vista Social Club (1999), élaboré avec la participation du guitariste Ry Cooder – qu'on entendait notamment dans Paris, Texas.