Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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TOURNAGE. (suite)

Le nombre de prises est très variable, selon la difficulté du plan, selon le réalisateur. Buñuel est l'exemple le plus célèbre des réalisateurs qui se contentent d'une ou deux prises. À l'inverse, Bresson ou Clouzot sont connus pour leur capacité d'aller jusqu'à trente prises, sinon plus. Six à huit prises constituent une valeur moyenne.

Le tournage d'un plan est finalement une opération assez longue, qui donne facilement — et faussement — au spectateur non averti (cas des tournages sur la voie publique) l'impression d'une accumulation de temps morts. En moyenne, la quantité de film « utile » enregistrée dans une journée de travail n'excède guère trois à quatre minutes. (La télévision de fiction, qui peut se permettre une image moins « léchée » car elle sera observée sous un angle visuel restreint, est tournée à un rythme sensiblement plus rapide : couramment dix minutes « utiles » par jour.)

En fin de journée, les principaux responsables de la fabrication du film (réalisateur, premier assistant, directeur de la photographie, opérateur du son, directeur de production) visionnent les rushes, c'est-à-dire l'intégralité des prises « entourées » de la veille. (Une des difficultés du tournage en extérieurs, loin du laboratoire de développement, est le retard introduit dans le visionnage des rushes.)

La postproduction.

La phase de postproduction — qui s'achève avec la fourniture de la copie « zéro », c'est-à-dire de la première copie étalonnée — correspond essentiellement au montage, auquel on peut associer toutes les opérations de bruitage, de postsynchronisation (ou de doublage si le film comporte des comédiens étrangers), de confection et d'enregistrement de la musique. Mais il ne faut pas oublier, en aval du montage, le mixage et l'étalonnage, ni — le cas échéant — la confection des effets spéciaux de laboratoire (fondus enchaînés, générique en surimpression, etc.).

Pour cette phase, il ne reste plus, de l'équipe de fabrication antérieure, que le réalisateur, le directeur de production, éventuellement le premier assistant s'il y a des doublages à faire, et, bien entendu, le directeur de la photographie pour l'étalonnage. (L'expression « postproduction » vient du vocabulaire du cinéma publicitaire, où les travaux postérieurs au tournage sont le plus souvent entièrement confiés à des entreprises spécialisées.)

Délais types.

Pour un film moyen, c'est-à-dire à budget moyen et ne soulevant pas de problème particulier de financement ou de réalisation, on peut retenir les délais types suivants : genèse, de l'ordre de 6 mois ; préparation, de 2 à 3 mois ; tournage, de 6 à 10 semaines ; montage, d'environ 15 semaines.

Il est bien clair qu'il s'agit là de valeurs indicatives, susceptibles d'importantes variations selon le genre de film et selon les conditions de production et de réalisation.

TOURNER.

Tourner un film, ou tourner, procéder aux prises de vues d'un film. (D'après le vocabulaire de l'époque où l'on entraînait la caméra en tournant la manivelle.)

TOURNEUR (Jacques [Jack, aux États-Unis])

cinéaste américain (Paris, France, 1904 - Bergerac, id., 1977).

Fils du cinéaste Maurice Tourneur, il devient citoyen américain dès 1919. Pendant dix ans, il assiste son père aux États-Unis puis en Europe. Il signe six films en France, dont Tout ça ne vaut pas l'amour (1931) et les Filles de la concierge (1934) : dans ces comédies sans prétention s'affirme déjà le talent de miniaturiste qui portera à sa perfection le genre de l'« americana » (Stars in My Crown, 1950). Parti tenter sa chance aux États-Unis, il est pris sous contrat à la MGM : il y refait son apprentissage comme réalisateur de 2e équipe (séquences de la prise de la Bastille pour le Marquis de Saint-Évremond, J. Conway, 1935) et met en scène de nombreux courts métrages, remarquables par la concision de leur découpage et l'élégance de leur facture. They All Came Out (1939), un documentaire romancé sur les prisons, lui permet d'accéder au long métrage.

Imposé par le producteur Val Lewton à la RKO, il trouve sa voie avec la Féline (Cat People, 1942), Vaudou (I Walked With a Zombie, 1943) et l'Homme-léopard (The Leopard Man, 1943) : par son écriture raffinée, qui distille l'angoisse au compte-gouttes, il renouvelle le film fantastique. Situant ses fictions dans un cadre contemporain (« L'épouvante, pour être sensible, doit être familière »), il s'interdit de visualiser l'objet de la terreur (« Moins on voit, plus on croit ») et laisse le spectateur libre de choisir entre deux hypothèses, rationnelle ou surnaturelle (« L'horreur véritable, c'est de montrer que nous vivons tous inconsciemment dans la peur »). Cinéaste de l'informulé, voire de l'indicible, il se contente de suggérer la « surréalité », ces forces occultes qui s'épanchent dans le monde sensible dès lors qu'elles ont trouvé un point de fixation. « Il ne faut pas chercher à comprendre », tel est encore le leitmotiv de Rendez-vous avec la peur (Night of the Demon/Curse of the Demon, GB, 1957), qui complète le triptyque de la RKO. En le plongeant dans les arcanes d'une Angleterre insolite, celle des médiums, de la magie noire et des « psychic societies », Tourneur met de nouveau à l'épreuve le positivisme de son héros. Il s'attache moins à la résolution de l'énigme (qui restera en suspens) qu'à la progression de l'enquêteur dans un espace instable, soudain obscurci par les vibrations des univers parallèles.

Cette inquiétante étrangeté, cette fascination pour « le versant crépusculaire de l'esprit » imprègnent la plupart des films de Tourneur, quel qu'en soit le genre : thriller « néogothique » (Angoisse [Experiment Perilous], 1944) ou « politique » (Berlin Express, 1948 ; The Fearmakers, 1958), série « noire » (la Griffe du passé/Pendez-moi haut et court [Out of the Past], 1947 ; Nightfall, 1957) ou « blême » (L'enquête est close [Circle of Danger], GB, 1951), dramatique télévisée (Night Call, 1962)... L'univers y apparaît comme un théâtre d'ombres : les puissances trompeuses se jouent de nos facultés, la raison vacille sur le seuil de vérités insoutenables, les individus sont toujours suspects d'entretenir quelque relation avec un arrière-monde ténébreux, celui des esprits ou celui de l'inconscient. Chez Tourneur, le sentiment tragique de la vie va de pair avec un désenchantement radical : impénétrables sont les voies du destin, qui transforment en cauchemar l'existence de ces Américains bien tranquilles. Une singulière mélancolie enveloppe ainsi jusqu'à ses films d'aventures : la Flèche et le Flambeau (The Flame and the Arrow, 1950), la Flibustière des Antilles (Anne of the Indies, 1951), le Gaucho (Way of a Gaucho, 1952), les Révoltés de la « Claire-Louise » (Appointment in Honduras, 1953), et ses westerns : le Passage du canyon (Canyon Passage, 1946), Un jeu risqué (Wichita, 1955), l'Or et l'Amour (Great Day in the Morning, 1956), dont les héros déracinés défendent avec une ténacité parfois suicidaire des causes le plus souvent perdues. L'opacité des personnages, l'obscurité de leurs motivations, l'arbitraire de leurs passions y manifestent la relativité de tout jugement moral : « Les hommes sont poussés par des forces plus grandes qu'eux-mêmes », nous disait déjà l'homme-léopard. Pour le plus secret, le plus taciturne des cinéastes hollywoodiens, le cœur humain ne recelait pas moins de mystères que la vie dans l'au-delà...