Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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MEXIQUE. (suite)

L'après-guerre.

Avec la fin de la guerre, Hollywood reprend l'initiative, referme l'étau, menace de suspendre l'approvisionnement de pellicule (pression employée naguère contre l'Argentine) et de doubler ses films en espagnol. Pour conjurer la crise, l'industrie mexicaine requiert le soutien étatique, renforce les structures traditionnelles sans craindre la fuite en avant et adopte une politique de portes fermées qui freine tout renouvellement durant vingt ans (1946). Les syndicats rivalisent en corporatisme stérile. Alors que 74 metteurs en scène débutent entre 1938-1944, un seul surgit par an, en moyenne, durant les quatorze années suivantes (même si en 1958 une trentaine de cinéastes filment trois longs métrages par an). Signe d'autosatisfaction, une Académie mexicaine des sciences et arts cinématographiques attribue des prix Ariel (1946). La Banque nationale cinématographique (BNC) devient institution officielle (1947). Pour conserver le marché extérieur, les producteurs forment la compagnie de distribution Pelmex (1945), sans doute la principale d'Amérique latine, avec une douzaine de succursales opérant dans une vingtaine de pays ; elle passe sous contrôle de la BNC lorsque le marché latino-américain s'érode (1955). Quand l'Américain William Jenkins consolide son monopole au niveau de l'exploitation, plusieurs producteurs créent Películas Nacionales (1947), chargée de la distribution sur le marché intérieur. Le studio Churubusco est fondé en 1944 (avec une participation de RKO, à 50 p. 100), le Cuauhtémoc en 1945 et le Tepeyac en 1946 ; la capacité de production double alors le nombre de films réalisés et le point de saturation est dépassé avec l'ouverture du studio San Angel en 1951 (après une fusion Churubusco-Azteca en 1950). Si les cadences de l'industrie sont préservées et même augmentées (avec un record de 136 films en 1958), la sclérose et la décadence sont vite évidentes. Durant les années 50, seuls deux réfugiés espagnols, Luis Buñuel* et Luis Alcoriza*, réussissent à naviguer, à vue et à contre-courant. Le producteur Manuel Barbachano Ponce*, qui préside aux débuts de Benito Alazraki et Carlos Velo*, a du mal à assurer une continuité. Parmi les innovations de l'après-guerre, deux genres font figure de fleurs de fange : celui des cabaretières possède en Ninón Sevilla* son incarnation la plus séduisante, et en Alberto Gout* son maître de séance dévoué ; la putain rejoint enfin la maman sur l'autel privé des dévots de la Vierge de Guadalupe. Campeón sin corona (A. Galindo*, 1945) et Nosotros los pobres (I. Rodríguez, 1947) donnent droit de cité à d'autres personnages urbains et élargissent l'emprise du mélo sur les faubourgs. Le « charro » (paysan) n'est plus le seul archétype qui hante les salles obscures. Les genres ultérieurs affichent de plus en plus leur caractère de succédané, que ce soient les films sur la jeunesse (Juventud desenfrenada, José Díaz Morales, 1956) ou ceux qui intègrent les rythmes à la mode (mambo, rock and roll, etc.). Une brève irruption de nus, immobiles pour satisfaire la censure, apparaît comme un ersatz, dans le contexte d'un moralisme et d'une hypocrisie à tout cran (La fuerza del deseo, id., 1955). Le film d'horreur séduit juste un moment (El vampiro, Fernando Méndez, 1957). Le western se signale de façon sporadique (Los hermanos del Hierro, I. Rodríguez*, 1961  ; El silencioso, Alberto Mariscal, 1966). Les studios América (1956, ex-Cuauhtémoc) favorisent une production au rabais, inspirée des méthodes de la télévision. Inaugurée en 1950, celle-ci aboutit au puissant monopole Telesistema Mexicano (1955), devenu Televisa (1978), dont les ramifications rejoignent les hispanophones des États-Unis. Après une loi du cinéma d'inspiration américaine (1949), l'intervention accrue de l'État sauve littéralement la mise des producteurs, alors même que le cinéma national perd en originalité et identité culturelle. Les coûts de production doublent entre 1953 et 1970, tandis que les recettes nationales stagnent. Les producteurs occasionnels prédominent et constituent de simples intermédiaires d'un système polarisé par les crédits de la BNC et les avances de la distribution (Películas Nacionales à l'intérieur, Pelmex pour l'aire ibéro-américaine, puis Cinematográfica Mexicana Exportadora pour le reste du monde, passent sous contrôle officiel vers 1954). Production et distribution dépendent économiquement à leur tour d'une exploitation soumise à des intérêts privés particulièrement bornés. La BNC prend en charge ensuite les laboratoires et studios Churubusco-Azteca (1959) et la chaîne de salles Compañía Operadora de Teatros (1960), qui possède 321 écrans à Mexico. Avec des ressources d'origine gouvernementale ou privée (Marine Midland Trust et Bank of America, surtout), la BNC finance plus de la moitié de la production (70 p. 100 en 1965 et 1970). Bref, le cinéma est en passe de devenir une industrie d'État alors que la déconfiture est totale.

Le renouveau du cinéma mexicain.

Des tentatives relancent l'espoir durant la décennie 1966-1976. À l'origine, on peut y déceler le mûrissement d'une autre mentalité, imbue de culture cinématographique. Si le premier ciné-club mexicain date de 1931, et si des intellectuels comme Alfonso Reyes, Martín Luis Guzmán, Federico de Onís, Xavier Villaurrutia écrivent sur le cinéma, l'essor de l'industrie, et l'optimisme chauvin qu'il suscite, n'encouragent guère la réflexion ; après-guerre, Alvaro Custodio et Francisco Pina, réfugiés espagnols, en entreprennent une critique raisonnée. Une éphémère Fédération mexicaine de ciné-clubs est organisée en 1955, alors que la revue Cine-club prône le réalisme socialiste. La revue Nuevo Cine (1961) entend lutter contre « l'état déprimant du cinéma mexicain » et rassemble un contingent de critiques, historiens et essayistes ouverts à divers courants (José de la Colina, Salvador Elizondo, José Miguel García Ascot, Emilio García Riera, Carlos Monsiváis) et trouve bientôt un écho au Centre universitaire d'études cinématographiques (1963) et des prolongements stimulants (Jorge Ayala Blanco). Après son manifeste pour un cinéma indépendant, un premier long métrage, En el balcón vacío de J. M. García Ascot (1961), réalisé hors du cadre industriel et syndical, introduit un ton expérimental, subjectif, influencé par la Nouvelle Vague. Les techniciens du Syndicat des travailleurs de la production cinématographique (1945) organisent un premier concours de cinéma expérimental (1965) et ouvrent ainsi une brèche dans laquelle s'engouffrent des cinéastes comme Alberto Isaac*, Manuel Michel, Arturo Ripstein*, Mauricio Wallerstein (passé ensuite au Venezuela), José Bolãnos, Archibaldo Burns, Jaime Humberto Hermosillo*, Felipe Cazals*, Paul Leduc*, Jorge Fons*, Alejandro Jodorowsky*, Alfonso Arau*, José Estrada, Marcela Fernández Violante. À cheval entre l'industrie et un cinéma indépendant (voire militant, après 1968), ils tentent, avec retard, de se mettre au diapason du nouveau cinéma latino-américain. La gestion de Rodolfo Echeverría (frère du président de la République, acteur sous le nom de R. Landa) à la tête de la BNC et de la direction générale de la cinématographie allège une censure pourtant vigilante, accroît davantage les moyens sous contrôle étatique (par la formation d'entreprises de production, Conacine, Conacite 1 et 2) et semble enfin les mettre à la portée de la nouvelle génération de réalisateurs (40 longs métrages entre 1965-1972).