Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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GRÉMILLON (Jean) (suite)

L'amitié de Charles Dullin lui permet de réaliser son premier long métrage, Maldonne (1928), qui s'établit, comme la Fille de l'eau de Jean Renoir, dans la tradition du plein air naturaliste du cinéma français et collectionne toutes les recherches expressives de l'avant-garde contemporaine. Jacques Feyder, avec lequel Grémillon n'est pas sans affinités, lui confie la réalisation de Gardiens de phare (1929), dont il a élaboré le scénario et le découpage. Dans ce très rare exemple de Kammerspiel français, Grémillon, d'un drame emprunté au répertoire du grand-guignol, tire une tragédie puissamment humaine. Cette fois encore — et la plupart de ses films renouvelleront cette aventure —, il donne à une fiction le poids du documentaire, il développe un romanesque sans romantisme, il anime des personnages tout déterminés par leur milieu social, il subordonne leur destin à leur métier, il fait naître le tragique du sein du quotidien. 1930, Grémillon rencontre Louis Page, peintre et opérateur, qui l'accompagnera jusqu'à son dernier film ; il se lie d'amitié avec André Masson et les surréalistes.

L'arrivée du parlant lui impose un long tunnel. Après l'échec de la Petite Lise (1930), il est condamné à des besognes, à des films dont il se sent dépossédé : bandes commerciales, courts métrages comiques, version française d'une opérette allemande. C'est Raoul Ploquin, producteur français près de la UFA, que lui présente son ami René Clair en 1935, qui le tire de cette impasse. Dans les studios de Berlin, paradoxalement, Grémillon produit deux de ses œuvres les plus remarquables : avec Gueule d'amour (1937), il humanise, « banalise », en même temps que Renoir, avant Carné, le mythe de Jean Gabin ; dans l'Étrange Monsieur Victor (1938), faisant fond sur l'énorme don de sympathie de Raimu, il oppose en son héros l'homme simple et le bourgeois. La guerre perturbe la réalisation de Remorques, qu'il tourne entre 1939 et 1941, et oblige le cinéaste à user de maquettes pour ses tempêtes. La mer n'en demeure pas moins un protagoniste majeur du film, comme presque toujours chez Grémillon. Plus qu'un lieu dramatique, elle est l'expression physique — lors même qu'elle n'apparaît pas — de la continuité matérielle du monde réel, un argument réaliste. Viennent la défaite, l'occupation allemande, la collaboration pétainiste. Alors que le cinéma français, pour préserver son intégrité, s'évade, Grémillon se fait un cinéaste du présent (même s'il semble s'évader lui aussi). Lumière d'été (1943), à travers un franc baroquisme que l'auteur d'ordinaire s'impose de domestiquer ou de refouler, réaffirme ouvertement la lutte des classes ; Le ciel est à vous (1944), qui annonce un néoréalisme à la française, parle en claire parabole du Front populaire défunt et d'un Front populaire plus beau d'être encore à venir, avec la Victoire et la Libération. La Libération, pourtant, fut ingrate envers Grémillon. Cinéaste engagé, président du Syndicat des techniciens du film, président de la Cinémathèque française, militant de la culture cinématographique et du mouvement ciné-club, après avoir réalisé à chaud le Six Juin à l'aube (1946) sur les désastres de la guerre en Normandie, Grémillon voit tous ses projets refusés, enterrés ou sabotés : la Commune de Paris (1945), le Massacre des innocents (1947), le Printemps de la liberté (1947-48). Ce dernier, commandité par l'Éducation nationale, est annulé brutalement au bout d'un an. Grémillon retourne au documentaire. Dans les Charmes de l'existence (1949), Au cœur de l'Île-de-France (1954), la Maison aux images (1955), Haute Lisse (1956) et surtout André Masson et les quatre éléments (1959), il exalte le travail, la conscience, la lucidité, le dévouement, la patience de ces créateurs et artisans, ses frères, sur qui repose une culture, et qu'on ne l'a guère autorisé à égaler. Entre-temps, avec l'Amour d'une femme (1954), dont le féminisme est d'avant-garde, il avait pu aborder une réalité toujours aiguë : la difficulté pour une femme de trouver sa place dans un monde fait par/pour les hommes. Son héroïne sacrifiait son amour à son métier, finalement persuadée, mais sans oser se l'avouer, que le couple et le mariage traditionnels sont des structures dépassées.

Films ▲

(sauf CM documentaires) : la Vie des travailleurs italiens en France (DOC , 1926) ; Tour au large (MM, DOC, id.) ; Maldonne (1928) ; Gardiens de phare (1929) ; la Petite Lise (1930) ; Dainah la Métisse (1931) ; Pour un sou d'amour (1932) ; le Petit Babouin (CM, id.) ; Gonzague ou l'Accordeur (MM, 1933) ; la Dolorosa (1934, en Esp.) ; Centinella alerta (1935, en Esp. ; CO L. Buñuel — incertain —) ; Valse royale (id.) ; Pattes de mouche (1936) ; Gueule d'amour (1937) ; l'Étrange Monsieur Victor (1938) ; Remorques (1941) ; Lumière d'été (1943) ; Le ciel est à vous (1944) ; le Six Juin à l'aube (MM, DOC, 1946) ; Pattes blanches (1949) ; l'Étrange Madame X (1951) ; l'Amour d'une femme (1954).

GRÉVILLE (Edmond Greville Thonger, dit Edmond T.)

cinéaste français (Nice 1906 - id. 1966).

Fils d'un pasteur protestant d'origine anglaise, il est d'abord journaliste puis réalise des courts métrages publicitaires tout en apprenant son métier avec Dupont, Gance et Genina. On le voit acteur dans Sous les toits de Paris (R. Clair, 1930). Il écrit des pièces et des romans et se lance dans la mise en scène de cinéma en 1931 (le Train des suicidés). Sa carrière est cosmopolite : il ira filmer en Allemagne, en Grande-Bretagne et même aux Pays-Bas (il gagne un Grand Prix à Venise pour son documentaire « Quarante Ans » [Veertig Jaren, 1938] qui commémore l'anniversaire de la reine Wilhelmine). Mais c'est dans ses films français qu'il est le plus à l'aise pour communiquer sa vision du monde, étrange, trouble, baignée d'érotisme, équivoque et suffisamment insolite en tout cas pour lui conférer une place à part dans le groupe des marginaux du cinéma français. Parmi ses quelque trente films, on retiendra : Remous (1935) ; Marchand d'amour (id.) ; Brief Ecstasy (1937 ; GB) ; Menaces (1940) ; Le diable souffle (1947) ; le Port du désir (1955) ; l'Île du bout du monde (1959) ; les Mains d'Orlac (1961 ; VF et ANGL) ; les Menteurs (1961) ; l'Accident (1963).