Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CHINE. (suite)

La naissance d'un cinéma populaire et patriotique.

Les Japonais envahissent en 1931 les provinces chinoises du nord-est et bombardent Shanghai le 28 janvier 1932, détruisant 16 des 39 salles de cinéma de la ville et plusieurs studios ; une trentaine de sociétés cinématographiques doivent cesser leurs activités. La censure gouvernementale décide en juin de porter, sur la liste noire des films interdits, les films provocateurs (films de guerre ou ayant un caractère révolutionnaire). Les commandos des Chemises bleues, organisation terroriste à la solde du régime, multiplient les raids sur les studios où travaillent des cinéastes de gauche. Artisan de leur regroupement, Xia Yan* écrit deux scénarios, sur lesquels Cheng Bugao* réalise en 1933 les premiers films qui mettent en scène des paysans : le Torrent sauvage (Kuang liu, 1933) et les Vers à soie du printemps (Chuncan, 1933). Un nouveau cinéma est né, d'inspiration populaire, porteur d'un message social, sinon déjà politique, mais relevant du réalisme critique.

Désormais, après les paysans, d'autres catégories sociales exploitées auront droit de cité à l'écran malgré la terreur blanche, les attentats contre les studios, ou leur fermeture par décret gouvernemental, les arrestations de cinéastes (dont beaucoup gagnent Hongkong, où ils poursuivront parfois leur activité professionnelle). Ainsi les ouvriers et autres travailleurs manuels : le Chant des pêcheurs (Yuguang qu, 1934), de Cai Chusheng*, la Route (Dalu, id.), de Sun Yu ; les femmes : Cris de femmes (Nüxing de nahan, 1933) ou la Batelière (Chuanjia nü, 1935) de Shen Xiling*, Femmes nouvelles (Xin nüxing, 1934), de Cai Chusheng, etc.

En 1937, l'exode des cinéastes s'accélère avec l'état de guerre ouverte, et l'occupation de Shanghai par les Japonais porte un coup tragique à ce courant d'inspiration populiste fortement influencé par la littérature russe du XIXe siècle. Il faudra attendre dix ans avant qu'il se manifeste à nouveau. En effet, les Japonais avaient bâti en 1933 à Changchun, dans le nord-est chinois qu'ils occupaient depuis deux ans, des studios ; ils y produiront 200 films jusqu'en 1945. Ils mettent la main sur les studios de Pékin à partir de 1937. Les studios de Shanghai, en sursis dans les concessions étrangères jusqu'à l'attaque sur Pearl Harbor, sont en zone occupée de 1941 à 1945, ce qui limite leur indépendance. Les cinéastes qui n'ont pas gagné Hongkong essaiment alors à l'intérieur du pays, souvent regroupés dans des compagnies théâtrales itinérantes, où beaucoup retrouvent leur métier initial. Ils sont assez nombreux à reprendre de l'activité dans des villes comme Wuhan puis Chongqing, dans lesquelles s'ouvrent successivement des studios au gré des déplacements du gouvernement chassé par l'invasion. Les militants de gauche animent alors un courant dit « de défense nationale », qui donne naissance à des films exaltant le patriotisme, l'union de la nation et du peuple chinois, la résistance à l'agression japonaise : Dix Mille Lis de ciel (Changkong wan li, 1940), de Sun Yu, Fils et Filles de Chine (Zhonghua ernü, 1939), de Shen Xiling, le Baptême du feu (Huo de xili, 1940), également de Sun Yu,  Huit Cents Soldats héroïques (Babai zhuangshi, 1938) de Yuan Muzhi,  l'Amour de la patrie (Rexue zhonghun, id.), de Yuan Congmei, plusieurs films de Shi Dongshan, etc., sans oublier les réalisations de Cai Chusheng dans son exil de Hongkong : le Paradis de l'île orpheline (Gudao tiantang, 1939) et Un avenir radieux (Qiancheng wanli, 1940).

Pendant ce temps, les communistes avaient occupé depuis la fin de la Longue Marche en 1935 une vaste région du nord-ouest qu'ils administrèrent à partir de la petite ville de Yan'an. Dès 1938, un homme qui avait porté l'année précédente, avant de quitter Shanghai, l'art cinématographique chinois à l'un de ses sommets avec les Anges du boulevard (Malu tianshi, 1937), l'écrivain, acteur et réalisateur Yuan Muzhi*, y organise un groupe cinématographique dont tout l'équipement tient au début sur le dos d'un cheval ; la première caméra lui a été fournie par Joris Ivens à Xi'an, là où transitent les cinéastes, souvent originaires de Shanghai, venus constituer ce groupe. Une vingtaine de films, bandes d'actualités et documentaires d'un grand intérêt historique seront tournés à Yan'an de 1938 à 1947. Pékin n'est occupé par les communistes qu'en janvier 1949, mais avant que l'activité cinématographique reprenne dans la capitale, le cinéma proprement dit de la Chine nouvelle est né dans les studios du Nord-Est, où est réalisée en 1947-48 la série documentaire le Nord-Est démocratique (Minzhu Dongbei, en 17 parties), ainsi que le premier film de fiction de l'ère socialiste le Pont (Qiao, Wang Bin, 1949).

Dès cette époque, plusieurs cinéastes renouent avec le grand courant régénérateur qui avait doté dix ans plus tôt la cinématographie shanghaienne de ses lettres de noblesse avec les Anges du boulevard de Yuan Muzhi, la Pièce de monnaie du nouvel an (Yasuiqian, 1936) de Zhang Shichuan, Carrefour (Shizi jietou, 1937), de Shen Xiling, etc. (C'était en fait la préfiguration du futur néoréalisme dont on crédita dans les années 40 le cinéma italien, dans l'ignorance où l'on se trouvait alors en Europe du cinéma chinois des années 30.) À cette veine appartiennent en particulier deux œuvres de Zuo Lin, les Bas-fonds (Yedian, 1947), d'après Gorki, et la Montre (Biao, 1949), d'après Pantaleiev : deux films commencés en 1947, interrompus en raison des rigueurs de la censure du Guomindang, et seulement achevés après le changement de régime :  Corbeaux et Moineaux (Wuya yu maque, 1949) de Zheng Junli*, San Mao, le petit vagabond (San Mao liulang ji, 1949) de Zhao Ming et Yan Gong, Ma vie (Wo zhe yi beizi, 1950), de Shi Hui. Ces années de l'après-guerre sont fortement marquées par les séquelles de la guerre étrangère, et par la guerre civile qui s'étend de plus en plus. À noter, en liaison plus ou moins lâche avec ces circonstances : Sur la Soungari (Songhuajiang shang, 1947) de Jin Shan, les Larmes du Yangtsé (Yijiang chunshui xiang dong liu, id.) de Cai Chusheng et Zheng Junli, Filles de Chine (Zonghua nüer, 1949) de Ling Zifeng* et Zhai Qiang, les Larmes de la rivière des Perles (Zhujiang lei, id.) de Wang Weiyi*, la Fille aux cheveux blancs (Baimao nü, 1951) de Shui Hua* et Wang Bin*, le Camp de concentration de Shangrao (Shangrao jizhongying, id.) de Sha Meng et Zhang Ke.