Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
G

GARDNER (Ava)

actrice américaine (Smith Field, N. C., 1922 - Londres 1990).

Ava Gardner est très belle, terriblement humaine et vulnérable. C'est ce mélange de beauté sculpturale et de faillibilité qui l'a rendue si apte à jouer les déesses chancelantes et les mythes vacillants. Elle est d'autant plus belle que sur son visage se lisent les incertitudes, les égarements et le besoin de tendresse. Persuadée elle-même, à tort, de ses piètres possibilités d'actrice, Ava Gardner, pour notre joie, a rarement été au cinéma autre chose qu'elle-même. Elle ne compose pas de personnage, elle ne l'émaille pas de ces détails où l'on devine le métier d'une actrice. Elle est une créature cinématographique dont la présence sur un écran suffit à faire rêver.

Ce trait était déjà sensible au début de sa carrière quand, cinq ans après être arrivée à Hollywood et ayant rempli dûment ses obligations de starlette, elle apparut enfin telle qu'en elle-même dans les Tueurs (R. Siodmak, 1946) : il y avait déjà dans cette femme fatale, typique du film noir, la suggestion de quelque désespoir caché. Dans un film médiocre (Singapour, J. Brahm, 1948), ou dans d'autres meilleurs mais qui ne prenaient nullement la peine de l'intégrer à l'intrigue et d'étoffer son personnage, elle affirmait royalement sa présence (Marchands d'illusions, J. Conway, 1947 ; Passion fatale, Siodmak, 1949). Elle laissait déjà entendre que « le plus bel animal du monde » était une femme extrêmement vulnérable. À partir du moment où elle s'est vu attribuer des rôles plus consistants, et partant des cinéastes propres à la comprendre, elle n'a eu de cesse de prouver qu'elle savait jouer. Et elle est, beaucoup plus qu'on ne l'a dit, une bonne comédienne. Il suffit de voir Mogambo (J. Ford, 1953) pour s'en convaincre : sa manière de jouer d'un dialogue rapide, la douce modulation de ses émotions, sa manière de tenir tête à Clark Gable, tout cela dénote un indiscutable tempérament sur lequel Ava Gardner aura l'occasion de s'appuyer plus tard dans sa carrière, notamment dans sa belle composition de la Nuit de l'iguane (J. Huston, 1964).

Quand elle entrait dans un personnage et dans une situation auxquels elle pouvait s'identifier, elle avait plus que du tempérament, une sorte de grâce, au-delà du métier. Dans Show Boat (G. Sidney, 1951), son personnage, pourtant moins développé que celui de Kathryn Grayson, reste à l'esprit. Sa dernière apparition, détruite par l'alcool et par les hommes, le visage nu, mais plus belle que jamais dans ce dépouillement, laissait présager ce que sa carrière devait avoir de meilleur. Sa grande chance, celle qui fait d'Ava Gardner une de ces femmes cinématographiques d'exception, comme Louise Brooks ou Marilyn Monroe, est d'avoir rencontré deux cinéastes esthètes et intelligents qui ont compris qu'il fallait non pas la glisser à l'intérieur d'un film qui lui était étranger, mais construire un film autour d'elle. Albert Lewin, dans Pandora (1951), rendait crédible ce qu'aucune autre actrice n'aurait pu faire vivre. Au-delà des spéculations les plus folles, elle était un mythe : femme de rêve, mais aussi de chair et de sang, pour qui les hommes mouraient, mais qui meurt à son tour pour un homme. Irisée d'or, de bleu nuit et de vieux rose, elle était quelque chose que le cinéma ne connaissait plus depuis Greta Garbo ou Louise Brooks. Et, en 1954, le miracle se reproduisit dans la Comtesse aux pieds nus (J.-L. Mankiewicz) : Ava Gardner y jouait un rôle qui, profondément, était le sien, celui d'une déesse de cinéma aux exigences de femme et au cœur de fillette. Ce fut une création inoubliable, qui ne devait rien au métier ou à la composition traditionnelle d'une actrice. La réussite tenait ici de l'inspiration ou de la divination. Bien sûr, Ava Gardner eut du mal à trouver des rôles d'une telle valeur. Elle dut donc se résigner à apparaître, sculpturale, lointaine, et secrètement blessée, dans des films simplement honorables comme Le soleil se lève aussi (H. King, 1957) ou les 55 Jours de Pékin (N. Ray, 1963). Heureusement, elle eut encore un rôle qui, pour n'être pas mythique, fut l'un de ses plus beaux : la métisse de la Croisée des destins (G. Cukor, 1956), personnage intense, déchiré et tragique, auquel elle prêtait noblesse et sensibilité.

Films  :

We Were Dancing (R. Z. Leonard, 1942) ; Joe Smith American (R. Thorpe, id.) ; Sunday Punch (D. Miller, id.) ; This Time For Keeps (Charles Riesner, id.) ; Calling Dr. Gillespie (H. Bucquet, id.) ; Kid Glove Killer (F. Zinnemann, id.) ; Reunion in France (J. Dassin, id.) ; Pilot No. 5 (G. Sidney, 1943) ; Hitler's Madman (D. Sirk, id.) ; Ghosts on the Loose (W. Beaudine, id.) ; La Du Barry était une dame (R. Del Ruth, id.) ; Young Ideas (Dassin, id.) ; l'Ange perdu (Lost Angel, R. Rowland, id.) ; Swing Fever (T. Whelan, 1944) ; Music For Millions (H. Koster, id.) ; Trois Hommes en blanc (Three Men in White, Willis Goldbeck, id.) ; Blonde Fever (Richard Whorf, id.) ; Maisie Goes to Reno (H. Beaumont, id.) ; Deux Jeunes Filles et Un Marin (Two Girls and a Sailor, Thorpe, id.) ; She Went to the Races (Goldbeck, 1945) ; Tragique Rendez-Vous (L. Moguy, 1946) ; les Tueurs (The Killers, R. Siodmak, id.) ; Marchands d'illusions (The Hucksters, J. Conway, 1947) ; Singapour (J. Brahm, 1948) ; Un caprice de Vénus (One Touch of Venus, W. A. Seiter, id.) ; l'Île au complot (The Bribe, Leonard, 1949) ; Passion fatale (The Great Sinner, Siodmak, id.) ; Ville haute ville basse (East Side West Side, M. LeRoy, id.) ; Mon passé défendu (My Forbidden Past, R. Stevenson, 1951) ; Show Boat (id., G. Sidney, id.) ; Pandora (A. Lewin, id.) ; l'Étoile du destin (V. Sherman, 1952) ; les Neiges du Kilimandjaro (H. King, id.) ; Vaquero (J. Farrow, 1953) ; Tous en scène (caméo, V. Minnelli, id.) ; Mogambo (Ford, id.) ; les Chevaliers de la Table ronde (Knights of the Round Table, Thorpe, 1954) ; la Comtesse aux pieds nus (Mankiewicz, id.) ; la Croisée des destins (G. Cukor, 1956) ; la Petite Hutte (The Little Hut, Mark Robson, 1957) ; Le soleil se lève aussi (King, id.) ; la Maja nue (Koster, 1959) ; le Dernier Rivage (S. Kramer, id.) ; l'Ange pourpre (N. Johnson, 1960) ; les 55 Jours de Pékin (N. Ray, 1963) ; Sept Jours en mai (J. Frankenheimer, 1964) ; la Nuit de l'iguane (J. Huston, id.) ; la Bible (id., 1966) ; Mayerling (T. Young, 1968) ; The Devil's Widow / Tam Lin (Roddy Mac Dowall, 1971) ; Juge et Hors-la-loi (Huston, 1972) ; Tremblement de terre (Robson, 1974) ; la Trahison (C. Frankel, 1975) ; l'Oiseau bleu (Cukor, 1976) ; le Pont de Cassandra (The Cassandra Crossing, George Pan Cosmatos, 1977) ; la Sentinelle des maudits (The Sentinel, M. Winner, id.) ; Cité en feu (City on Fire, Alvin Rakoff, 1979) ; l'Enlèvement du président (The Kidnapping of the President, George Mendeluk, 1980) ; Priest of Love (C. Miles, id.) ; Regina (Jean-Yves Prat, 1982).