Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FLAHERTY (Robert Joseph) (suite)

1927 : la MGM lui propose de retourner dans les îles du Pacifique pour y filmer Ombres blanches. Si Flaherty est bien d'accord — comme il le sera au moment de Tabou — pour dénoncer la déculturation des autochtones provoquée par la colonisation blanche, il refuse farouchement la structure romanesque hollywoodienne que le producteur exige ; il abandonne le tournage à W. S. Van Dyke. Pour la Fox, il travaille toute une année à un film sur les Indiens Pueblos du Nouveau-Mexique ; cette fois encore, il rejette l'histoire d'amour conventionnelle imposée par le commanditaire. Le voici désormais, définitivement, excommunié par Hollywood. Brouillé lui-même avec les grandes compagnies, Murnau crée sa propre maison de production et offre à Flaherty de réaliser en commun Tabou, à Tahiti et Bora Bora. Leurs deux personnalités divergent trop pour s'accorder longtemps. Murnau tourne avec Tabou un film allemand (il dénature le tabou lui-même, en en faisant une sorte de fatum occidental). Flaherty se retire de l'entreprise.

1930 : le cinéaste se dispose à tourner en URSS un film sur la femme soviétique ; il ne peut mener à bien ce projet. Il se rend alors en Grande-Bretagne, à l'invitation de John Grierson, père de la jeune école documentariste anglaise. Il y produit son premier film sonore, Industrial Britain (1931-32) puis ce grandiose poème épique qu'est l'Homme d'Aran (1934), consacré à l'inlassable combat contre l'Océan de quelques dizaines de pêcheurs. Il se laisse à nouveau piéger par le commerce. Elephant Boy, qui devrait magnifier l'amitié d'un jeune garçon indien et d'un éléphant, se voit « enrichi » d'emprunts à Kipling et d'épisodes tournés en studio. L'apport de Flaherty disparaît sous les banalités accumulées par Zoltan Korda (1937). Le film eut du succès mais, désenchanté et lassé, le réalisateur s'éloigne du cinéma au profit de l'écriture. Une commande du département de l'Agriculture, aux États-Unis, l'y ramène pour une dernière désillusion : la Terre (1939-1942), qui traitait de la perte des sols par l'érosion dans le Mississippi, n'est jamais projetée. Quatre ans plus tard, la Standard Oil (Esso) lui permet de tourner, en pleine liberté (comme avait fait la maison Revillon frères !), Louisiana Story (1948), où deux univers s'interpénètrent : le vieux monde patriarcal, agraire, archaïque, naturel et le monde du pétrole, technologique et industriel, leur harmonieuse conciliation s'opérant essentiellement grâce à l'esprit de jeu et de poésie, à la foi en la vie d'un enfant, de l'enfance éternelle.

L'œuvre de Flaherty a soulevé autant d'admirations enthousiastes que de critiques. On lui a reproché sa fuite dans l'exotisme, les terres lointaines, les petites collectivités humaines ; son rejet du social, son désengagement, son rousseauisme et, fait plus grave, ses « trucages » (Nanouk chassait au fusil, non au harpon ; on ne pêchait plus le requin aux îles Aran depuis cinquante ans ; on ne dansait plus, on ne tatouait plus à Samoa, les missionnaires l'avaient interdit), son côté « Viollet-le-Duc de l'anthropologie ». Des entorses qu'il a apportées à la réalité, Flaherty s'est judicieusement expliqué : « Au moment où c'était encore faisable, j'ai tenté de recréer pour le conserver un document sur ces gens, voulant faire voir l'étincelle humaine qui les distingue de tous les autres... » Aussi bien le vrai continuateur de Flaherty n'est pas Jean Rouch ; c'est Pierre Perrault. Rousseauiste ? Flaherty a célébré non le bon sauvage mais l'unité de la condition humaine. Bien plus que l'éloge toujours recommencé du monde, comme on l'a dit, il a fait l'éloge de la grandeur de l'homme pris dans ce combat et ce dialogue multiforme avec la nature d'où naissent les civilisations.

Films  :

Eskimo (1918) ; Nanouk l'Esquimau (Nanook of the North, 1919-1922) ; Histoire d'un potier (The Pottery Maker / Story of a Potter, id.) ; Moana (1926) ; l'Île aux 24 dollars (The 24 Dollar Island, 1927) ; Ombres blanches (White Shadows of the South Seas, CO : W. S. Van Dyke, 1928) ; Tabou (Tabu, CO : F. W. Murnau, 1931) ; Industrial Britain (1933) ; l'Homme d'Aran (Man of Aran, 1932-1934) ; Elephant Boy (CO : Z. Korda, 1937) ; la Terre (The Land, 1939-1942) ; Gift of Green (1943) ; Guernica (1946) ; Louisiana Story (1948) ; The Titan : Story of Michelangelo (RE : Curt Oertel ; supervision, montage : R. Flaherty, 1937-1950).

FLAIANO (Ennio)

scénariste italien (Pescara 1910 - Rome 1972).

Après des études d'architecture, en 1939, il commence à écrire sur le cinéma comme journaliste, une activité qu'il poursuivra toujours. En 1942, il collabore au scénario de La danza del fuoco (Giorgio Simonelli) et de Pastor angelicus (Romolo Marcellini) ; avec d'autres écrivains comme Moravia et Zavattini, il écrit La freccia nel fianco (A. Lattuada, 1944), et après la guerre il conçoit La nuit porte conseil (M. Pagliero, 1948 ; 1946), une satire amère de la Libération. Son humour sarcastique et anticonformiste se révèle dans les Feux du music-hall (A. Lattuada et F. Fellini, 1950) et dans Courrier du cœur (Fellini, 1952), qui s'attaquent avec humour à des mythes populaires. Il collabore à Gendarmes et Voleurs (Steno et M. Monicelli, 1951), Où est la liberté ? (R. Rossellini, 1953 ;  : 1952), Totò e Carolina (Monicelli, 1955 ;  : 1953), trois films des plus cruels de Totò. Il collabore à tous les films de Fellini et son apport (bien que mêlé à celui des autres) est sans doute déterminant, son esprit étant plus cynique et plus rationnel que celui du grand cinéaste. De ses idées ou de ses bons mots, le cinéma italien se nourrit sans cesse, même si souvent les scénarios qu'il signe ne deviennent que des films moyens. Mentionnons parmi les plus réussis : Canzoni, canzoni, canzoni (D. Paolella, 1953) ; la Belle Romaine (L. Zampa, 1954) ; Dommage que tu sois une canaille (A. Blasetti, 1955) ; l'Inassouvie (D. Risi, 1961) ; la Fille dans la vitrine (L. Emmer, id.) ; la Nuit (M. Antonioni, id.) ; le Bourreau (L. G. Berlanga, 1963) ; la Dixième Victime (E. Petri, 1965). De son roman Melampus, Marco Ferreri a tiré un de ses meilleurs films : Liza (1972), qui synthétise tout le monde flaianien, son indéracinable pessimisme, sa méfiance envers les femmes, sa solitude d'intellectuel hors des courants et probablement en avance sur son temps.