Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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MUSIDORA (Jeanne Roques, dite)

écrivain, actrice et cinéaste française (Paris 1889 - id. 1957).

Elle se produit au cabaret avant de débuter à l'écran en 1913 dans les Misères de l'aiguille, que tourne Raphaël Clamour pour la coopérative de production le Cinéma du peuple. Première vamp du cinéma français, elle tourne plusieurs films sous la direction de Louis Feuillade, dont les célèbres serials : les Vampires (1915), où elle est Irma Vep (anagramme de « vampire »), et Judex (1917), où elle est la femme maléfique, un des rôles majeurs du film. Son maillot et sa cagoule de soie noire impressionnent fortement le public et les artistes de son temps. Le vif intérêt qu'elle porte au cinéma la conduit, d'une part, à collaborer aux scénarios d'un certain nombre de films qu'elle interprète et, d'autre part, à passer à la mise en scène, avec notamment Vicenta (1918) et La Tierra de los toros (1924). Sur un scénario de son amie Colette, elle coréalise avec Roger Lion la Flamme cachée (1920). Avec Jacques Lasseyne, elle signe Pour Don Carlos (1921) et Soleil et Ombre (1922). Son succès de comédienne va s'amenuisant, et le prestige dont elle jouissait à ses débuts s'évanouit avant l'arrivée du parlant. Elle ne réapparaîtra au cinéma qu'en 1951, dans la Magique Image, film de montage d'anciennes bandes inédites. Elle a publié un livre de souvenirs, la Vie d'une vamp, ainsi que de nombreux articles, deux romans et une pièce de théâtre. Elle consacra les dernières années de sa vie à l'histoire du cinéma ; elle était en effet attachée à la Commission des recherches historiques de la Cinémathèque française.

Films :

INT et  : la Vagabonde (1918) ; Musidora en Espagne (1922) ; INT seule : Severo Torelli (Feuillade, 1914) ; le Calvaire (film teinté, id., id.) ; l'Union sacrée (id., 1915) ; Celui qui reste (id., id.) ; dans la série desVampires de Feuillade, on doit citer le Cryptogramme rouge (1915) ; le Spectre (1916) ; l'Évasion du mort (id.) ; les Yeux qui fascinent (id.) ; Satanas (id.)... Puis des mélos : les Chacals (André Hugon, 1917) ; la Geôle (Gaston Ravel, 1921), une « enquête » sociale : la Jeune Fille la plus méritante de France (Germaine Dulac, 1922) ; une « composition biblique » : les Ombres du passé (Fred Leroy-Granville, 1926) qui semble être son dernier rôle, aux côtés de Gabriel Signoret et de Charles Vanel.

MUSIQUE ET CINÉMA.

L'histoire qu'entretiennent depuis près d'un siècle musique et cinéma s'apparente à celle du Soleil et de la Lune. Réciproquement illuminés et lumineux, ils n'en sont pas moins les victimes de spécificités antagonistes. Et l'embrasement simultané de leurs vertus créatrices en une osmose réellement aboutie reste soumis, malgré les théories, aux lois capricieuses de hasards bienveillants contenus par les garde-fous de l'expérience.

Le temps du muet.

Art forain, le cinématographe se laisse contempler dans sa sautillante nudité. Au dehors, la musique (cuivres et tambours) bat le rappel des foules avides de magie. Passés sous la tente, les musiciens découvrent un art tout neuf invitant au dialogue. Intrigués par le silence qui les dévisage, ils entreprennent de le violer. Les présentations sont faites. Étonnés par les collusions son/image involontaires mais prometteuses, les musiciens s'assoient à leur piano. C'est le temps de Méliès. Selon le rythme des séances, le pianiste se réfugie dans des automatismes qui transformeront l'improvisation en composition. Encouragés par le succès, les directeurs de salles entreprennent de codifier ces instants de félicité. Instructions sont données au « tapeur » pour illustrer des séquences, indiquer des tempos : Action (misterioso) a) Nuit et atmosphère sinistre ; b) Nuit, atmosphère menaçante ; c) Péripéties : quelque chose va arriver (P. Schaeffer, Revue du cinéma, no 11).

Aux États-Unis, le Wurlitzer (orgue d'une incroyable complexité, permettant d'obtenir tous les effets sonores) règne en maître absolu. Bien plus que le piano, le Wurlitzer impose un environnement sonore privilégié. Avec le développement des salles, leurs directeurs offrent au public une présence musicale aux moyens divers. De même que l'orchestre prend forme, le répertoire s'harmonise. Ces musiques « d'accompagnement », jusqu'alors sous-estimées, deviennent le mètre étalon du regard créatif vis-à-vis du monde des images. Avec l'avènement d'une aristocratie de la mise en scène naît l'idée de la partition originale. En 1908, Camille Saint-Saëns signe une partition pour l'Assassinat du duc de Guise, de Charles Le Bargy et André Calmettes. Pour la première fois, le public entend une musique neuve, aux instruments rares, au lieu d'archétypes déjà assimilés. L'image, son rythme apportent aux musiciens une nouvelle forme d'inspiration réaliste. De 1908 à 1920 règne le temps des combinatoires instrumentales et du cinéma appréhendé comme lieu de l'expérimentation musicale : Joseph Kareil Breil (Naissance d'une nation, D. W. Griffith, 1915) ; Arthur Honegger (la Roue — dont est issue la partition symphonique Pacific 231 —, A. Gance, 1923) ; Erik Satie (Entr'acte, R. Clair, 1924) ; George Antheil (le Ballet mécanique, F. Léger, id.) ; Darius Milhaud (l'Inhumaine, M. L'Herbier, id.) ; William Axt (la Grande Parade, K. Vidor, 1925 ; Ben Hur, F. Niblo, 1926). À partir de 1920, la musique n'agit plus de manière objective sur les films. La fureur de l'expérimentation débouche sur des excès grotesques. Écrasé par la masse orchestrale, le film devient l'accompagnateur de sa boursouflure musicale. Mais, très vite, les extrêmes se neutralisent et, en 1925, l'arrivée du règne du parlant s'impose comme le catalyseur idéal. Le septième art amorce son irréversible mutation.

L'industrie du parlant.

En 1927, la projection du Chanteur de jazz, d'Alan Crosland, donne naissance à une nouvelle industrie. De nouveaux paramètres sont instaurés en matière d'originalité. Les « majors » se structurent en entreprises indépendantes. Face au chômage et à la crise économique, elles engagent compositeurs et solistes renommés, venus nombreux de la vieille Europe. Le hasard n'a plus la moindre place. Chaque « major company » crée son département musical. Travail collectif d'arrangeurs et d'orchestrateurs placés sous l'autorité du directeur musical, la musique hollywoodienne, encore influencée par la proximité du muet, impose un style caractérisé par un discours sonore parallèle, continu et figuratif. Jusqu'en 1940, les directeurs musicaux se prononceront en faveur d'une idée-force : image = musique. Max Steiner, directeur musical à la RKO de 1930 à 1935, puis à la Warner à partir de 1937, met cette théorie en pratique avec les Chasses du comte Zaroff (E. Schoedsack et I. Pichel, 1932), King Kong (Schoedsack et M. Cooper, 1933), la Patrouille perdue (J. Ford, 1934), le Mouchard (id., 1935), Autant en emporte le vent (V. Fleming, 1939). Identifiés par un leitmotiv, les protagonistes sont inlassablement accompagnés de ces thèmes qui s'entrecroisent à travers rythmes et couleurs empruntés au classique, au folklore et à la musique légère. Melting pot musical, le style hollywoodien s'essouffle en rivalisant inutilement avec les fastes visuels de l'écran. Déjà, d'autres compositeurs, plus jeunes, entreprennent de restituer leur intervention dans le discours cinématographique et tentent de définir une collaboration plus réelle avec les metteurs en scène : Miklos Rozsa avec les Tueurs (R. Siodmak, 1946), les Démons de la liberté (J. Dassin, 1947), la Cité sans voiles (id., 1948) ; Bernard Herrmann avec Citizen Kane (O. Welles, 1941), Jane Eyre (R. Stevenson, 1944). En Europe, malgré quelques outrances significatives, le passage au parlant et la production des années 40 se caractérisent par une approche plus circonspecte du nouveau champ d'expérimentation. Tributaires d'une tradition musicale ainsi que de structures plus proches de l'artisanat que du système hollywoodien, les compositeurs européens abordent la musique de film avec enthousiasme mais sans gourmandise. Maurice Jaubert définira avec clairvoyance les lois du genre : « L'écriture musicale ou la science symphonique devront céder le pas à l'efficacité, la quantité de notes sera dictée par la dialectique visuelle du film, les interventions sonores obéiront à des mobiles précis » (conférence de Londres, 1937). L'Atalante (J. Vigo, 1934), Un carnet de bal (J. Duvivier, 1937), Quai des brumes (M. Carné, 1938), bénéficiant du travail de Maurice Jaubert, sont représentatifs de ces théories. Des compositeurs comme Georges Van Parys (partitions pour René Clair et Marc Allégret), Jean Wiener (pour L'Herbier, Bresson, Renoir), Henri Verdun (pour Gance), Georges Auric (pour Delannoy et Cocteau), Joseph Kosma (pour Renoir et Carné) et Maurice Thiriet (pour L'Herbier et Carné) se situeront dans le sillage de cette approche nuancée. En Grande-Bretagne, William Alwyn, Arthur Bliss et Walter Leigh contribueront à développer des rapports harmonieux entre image et musique.