Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Raaff (Anton)

Ténor allemand (Gelsdorf, près de Bonn, 1714 – Munich 1797).

Il mena une carrière internationale, puis se fixa en Italie, où il créa les rôles-titres de Catone in Utica (Naples 1761) et Alessandro nell'Indie (Naples 1762) de Johann Christian Bach. Engagé en 1770 par l'Électeur palatin Carl Theodor à Mannheim, il y chanta dans deux autres opéras de ce compositeur, Temistocle (1772) et Lucio Silla (1775). En février 1778, à Mannheim, Mozart écrivit pour lui l'air de concert « Se al labbro mio non credi » K.295, et le 18 juin suivant, à Paris, au concert qui vit la création de la symphonie en majeur no 31 K.297 (Paris) de Mozart, Raaff chanta le célèbre « Non so d'onde viene » de Alessandro nell'Indie. Le 29 janvier 1781, il créa à Munich le rôle-titre de Idomeneo de Mozart, dont il avait peut-être obtenu la commande. Sa grande force était le cantabile.

Rabaud (Henri)

Compositeur et chef d'orchestre français (Paris 1873 – Neuilly-sur-Seine 1949).

Petit-fils du flûtiste Dorus et de la soprano Dorus-Gras, fils du violoncelliste Hippolyte Rabaud, il entra au Conservatoire de Paris en 1891 dans les classes de Taudon (harmonie), de Gédalge (contrepoint et fugue) et de Massenet (composition). Il obtint le prix de Rome en 1894 avec sa cantate Daphné.

   Revenu de la villa Médicis, il organise avec Max d'Ollone des concerts de musique française à Vienne et à Rome, et se fait connaître comme compositeur avec la Procession nocturne jouée aux Concerts Colonne en 1899. Après avoir manifesté de la réticence envers Franck et Wagner, il commence à s'intéresser à eux, et cette double influence est sensible dans son oratorio Job (1900) qui porte l'empreinte du mysticisme franckiste et de celui de Parsifal. Quatre ans plus tard, l'Opéra-Comique crée son premier ouvrage lyrique, la Fille de Roland (1904), tiré de la tragédie d'Henri de Bornier : l'œuvre, d'une écriture souvent académique, n'obtient qu'un succès moyen.

   De 1908 à 1914, Rabaud est chef d'orchestre à l'Opéra. En 1914, à la veille de la guerre, il connaît un triomphe avec Marouf le savetier du Caire, son œuvre maîtresse. De 1915 à 1917, il dirige les Matinées musicales de la Sorbonne, et en 1918 part pour les États-Unis comme chef d'orchestre du Boston Symphony Orchestra. Élu à l'Institut en 1919, il succède l'année suivante à Gabriel Fauré comme directeur du Conservatoire de Paris, poste qu'il conserve jusqu'en 1941. En 1924 et 1925, il signe respectivement les premières partitions originales écrites pour le cinéma muet : le Miracle des loups et le Joueur d'échecs, films de Raymond Bernard. 1938 le trouve en Amérique du Sud, où il dirige de nombreux concerts, et, de 1941 à 1946, il assure par intérim le poste de président-chef d'orchestre des Concerts Pasdeloup, en attendant le retour d'Albert Wolff, alors retenu en Argentine.

   Rabaud a écrit de nombreuses musiques de scène, dont Antoine et Cléopâtre (1908), le Marchand de Venise (1917), adaptation de Népoty d'après Shakespeare, et Pour Martine, pièce de Jacques Bernard (1947). Son dernier ouvrage, le Jeu de l'amour et du hasard, un opéra-comique d'après Marivaux, resta inachevé et fut terminé par Max d'Ollone et Henri Busser.

Raček (Jan)

Musicologue tchèque (Bucovice, Moravie, 1905 – Brno 1979).

Il dirigea les archives musicales du Musée régional de Moravie (1930-1948) ainsi que le département d'ethnographie et de folklore de l'Académie des sciences à Brno (1948-1970). Il s'intéressa particulièrement à Smetana et à Janáček ainsi qu'à la musique tchèque des XVIIe et XVIIIe siècles, et fut le principal éditeur de la série Musica antiqua bohemica.

Rachmaninov (Serge)

Pianiste et compositeur russe (Oneg 1873 – Los Angeles 1943).

Manifestant de bonne heure des talents de pianiste, il entre à douze ans au conservatoire de Moscou dans les classes de Zverev (piano), Taneiev (contrepoint) et Arensky (composition). Il travaille également le piano avec son cousin A. Ziloti. En 1892, il obtient la médaille d'or du conservatoire pour son opéra Aleko. Il entame alors une brillante carrière de virtuose qui durera toute sa vie, et le fera reconnaître comme l'un des plus grands pianistes de son temps.

   Son activité de compositeur, encouragée par Tchaïkovski, s'exprime dès 1892 dans des Pièces-fantaisies pour piano op. 3, une Fantaisie-tableau pour deux pianos op. 5 (1893), le poème symphonique le Rocher (1893), le Trio élégiaque (piano, violon, violoncelle ; 1892) à la mémoire de Tchaïkovski, ainsi que de nombreuses mélodies.

   Mais, en 1897, l'échec de sa 1re symphonie paralysera sa créativité pendant près de trois ans. La même année, cependant, il est engagé comme chef d'orchestre à l'opéra privé de Mamontov à Moscou. Il s'y lie d'amitié avec Chaliapine. Ayant suivi un traitement de psychothérapie auprès du docteur Niels Dahl, il compose en 1901 son 2e concerto pour piano, qui reste son œuvre la plus populaire. La période 1901-1917 est la plus productive : Sonate pour piano et violoncelle (1901), Variations sur un thème de Chopin pour piano (1903), les opéras, le Chevalier avare écrit à l'intention de Chaliapine (1903-1905, créé le 24 janvier 1906), et Francesca da Rimini (1904-1905, créé le 24 janvier 1906), la 2e Symphonie (1907), le poème symphonique l'Île des morts (1909) d'après un tableau de Böcklin, le 3e Concerto pour piano (1909), et surtout des œuvres pour piano seul dont les deux cahiers de Préludes op. 23 et 32 (1901-1903 et 1910), les Études-tableaux op. 33 et 39 (1911 et 1916-17) et deux Sonates (1907 et 1913, rév. 1931).

   Intéressé d'autre part par le renouveau qui s'élabore depuis la fin du XIXe siècle dans la musique religieuse, il compose pour solistes et chœur a cappella les deux cycles monumentaux de la Liturgie de saint Jean Chrysostome (1910) et des Vêpres (1915). En décembre 1917, profitant d'une tournée en Suède, il émigre. Il vit ensuite aux États-Unis jusqu'en 1928, puis en France et en Suisse, avant de retourner définitivement aux États-Unis en 1935.

   Il ne s'adaptera jamais véritablement au mode de vie occidental et souffrira de la nostalgie jusqu'à la fin de ses jours. Son activité de concertiste lui assure pourtant la renommée et la fortune. Mais, au cours de ses vingt dernières années, ses œuvres s'espacent. Si le 4e concerto pour piano (1926, rév. 1941) porte l'empreinte de la musique américaine et apparaît moins personnalisé que les autres, c'est un Rachmaninov d'une incontestable originalité qu'on découvre dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini pour piano et orchestre (1934), et dans les Variations sur un thème de Corelli (1931), qui sont un des sommets de ce genre dans la littérature pianistique. Sa 3e Symphonie (1936, rév., 1938) est traversée d'un souffle épique. Son testament musical est constitué par les Danses symphoniques (1940).

   Contemporain de Scriabine, de Ravel et de Bartók, Rachmaninov, immuablement attaché au système tonal, est sans conteste le dernier compositeur romantique, dans la lignée de Chopin, de Liszt et de Tchaïkovski, ses trois principaux modèles. Si cela explique le peu d'estime que lui portent les musicologues, sa faveur auprès des mélomanes et des interprètes n'en a jamais souffert. Il serait inexact de voir en Rachmaninov un compositeur exclusivement imitatif. Son style pianistique en particulier et son invention mélodique possèdent un cachet indiscutablement personnel. Son lyrisme tourmenté, tumultueux, douloureux n'est pas une prise de position délibérée par rapport à un courant esthétique, mais le reflet direct de sa personnalité nerveuse, angoissée et introvertie.

   La totalité de son œuvre pianistique a survécu, même si le succès démesuré du 2e Concerto ou du Prélude en ut dièse mineur a pu nuire à d'autres compositions non moins intéressantes. Parmi ses nombreuses mélodies, certaines font partie du répertoire courant des chanteurs (les Eaux printanières, le Lilas, Chanson géorgienne, Le Christ est ressuscité, Vocalise). Ses opéras connaissent relativement peu les faveurs de la scène, en dépit de pages d'une incontestable puissance dans le Chevalier avare et dans Francesca da Rimini. De son œuvre symphonique, l'Île des morts est un chef-d'œuvre trop peu connu, dans lequel Rachmaninov se montre authentiquement symboliste. Le thème du Dies irae médiéval qui s'y profile a également trouvé place dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini et dans les Danses symphoniques, ces diverses citations reflétant la crainte latente et constante de la mort. Le même pessimisme se retrouve dans la cantate les Cloches (1913) sur un poème de Balmont.

   Rachmaninov a laissé un grand nombre d'enregistrements de ses œuvres et de celles d'autres auteurs, qui révèlent une interprétation fortement personnalisée, bien que contestable dans certains cas (la Marche funèbre de Chopin). Les œuvres pour piano et violon jouées avec Kreisler constituent des documents inoubliables.