Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Jullien (Gilles)

Organiste et compositeur français (Paris v. 1653 – Chartres 1703).

Sa vie est très peu connue : on suppose qu'il a été à Paris l'élève de Lebègue, ou, plus sûrement, de Gigault ; après quoi, dès 1667, il fut nommé titulaire de l'orgue de la cathédrale de Chartres, fonction qu'il occupa jusqu'à sa mort. En 1690, parut son Livre d'orgue contenant les huit tons de l'église pour les fêtes solennelles. Celui-ci se compose de quatre-vingts pièces, dix par ton : préludes, fugues, duos, récits, basses, dialogues, pages manifestement influencées par celles de ses maîtres. Certaines sont écrites à cinq voix, genre dont Jullien croyait être l'inventeur, alors que Gigault et Raison avaient déjà écrit de la sorte. Héritier du style classique, Jullien annonce en bien des pages l'aspect décoratif de l'orgue du XVIIIe siècle.

Jumièges

Abbaye bénédictine de Normandie, entre Rouen et Honfleur, aujourd'hui en ruine.

Elle fut célèbre au IXe siècle pour avoir été le berceau de l'invention des tropes, qui devaient proliférer à travers le Moyen Âge et donner naissance, par dérivation, aux plus importantes innovations tant de la littérature que de l'histoire musicale, y compris les trouveurs et le théâtre à travers le drame liturgique. Recueilli à Saint-Gall, en Suisse, après la fuite des moines devant l'invasion normande vers 850, et développé dans ce monastère par Notker dit le Bègue, le trope de Jumièges, qui était essentiellement un « trope d'adaptation » (adaptation de paroles nouvelles sur l'ancienne vocalise), s'y transforma en « trope de développement » et devint la séquence, dont plusieurs témoins, tous de « nouveau style », c'est-à-dire du XIe siècle au plus tôt, comme Victimae paschali laudes, Veni sancte Spiritus ou Dies irae, sont encore en usage.

Junker (Carl Ludwig)

Théoricien et pédagogue allemand (Kirchberg an der Jagst 1748 – Ruppertshofen 1797).

Partisan de l'Empfindsamkeit, il publia notamment, à Berne, en 1776, une brochure intitulée Zwanzig Componisten, eine Skizze (Esquisse sur vingt compositeurs) et critiquant violemment la musique « moderne » représentée par Haydn.

Jurinac (Sena)

Soprano autrichienne d'origine yougoslave (Travnik 1921).

Elle débuta en 1942 à Zagreb dans le rôle de Mimi de la Bohème. Engagée à l'Opéra de Vienne dès 1945, elle y fit l'essentiel de sa carrière, tout en paraissant régulièrement dans les grands festivals internationaux, ainsi qu'à Paris, à Londres et à San Francisco. C'est une des plus remarquables cantatrices de l'après-guerre, tant par ses qualités purement vocales que par l'éclectisme de son tempérament. Pendant plus de trente ans, elle a triomphé dans Mozart (Elvire, puis Anna de Don Juan, la Comtesse des Noces de Figaro, Ilia d'Idoménée), Verdi (Élisabeth de Don Carlos, Desdémone d'Othello), Strauss (Octave du Chevalier à la rose et le compositeur d'Ariane à Naxos), Moussorgski (Marina de Boris Godounov), Puccini (Cio Cio San de Madame Butterfly) et Berg (Marie de Wozzeck). Avec les années, la voix de Sena Jurinac a pris ampleur et dramatisme sans rien perdre de ses qualités de timbre.

justesse

Terme désignant la conformité du son émis par un instrument ou une voix avec l'échelle musicale qui sert de référence.

Mais, du fait de l'imperfection de tout système physique, une justesse absolue, mathématiquement rigoureuse, n'est pas concevable ; par ailleurs, l'usage du tempérament égal dans la musique occidentale entraîne, dans l'accord même des instruments à sons fixes, des approximations par rapport à une échelle théorique exacte. La notion de justesse apparaît ainsi comme indissolublement liée à celle d'une marge de tolérance qui rend la note exécutée acceptable ou non par rapport à l'échelle de référence. Dans les instruments à sons fixes (piano, orgue), cette marge est aussi réduite que possible. Mais, dans tous les instruments dont l'exécutant peut faire varier tant soit peu la hauteur, que ce soit un instrument à vent (par modification de la pression d'air et du jeu des lèvres), un instrument à cordes (par déplacement du doigt et pression de l'archet), un instrument à percussion (selon l'intensité et la position du choc), ou, à plus forte raison, la voix humaine, cette marge de tolérance est plus ou moins grande.

   Cette variabilité est due à l'habileté de l'exécution et aux intentions de l'interprète : un mauvais violoniste jouera une note fausse parce qu'il n'aura pas été capable de la jouer juste, mais un bon violoniste peut s'écarter volontairement de la justesse optimale pour provoquer un effet expressif ­ par exemple, pour renforcer l'effet d'une altération, ou l'attraction de la note sensible vers la tonique. Ce sont les chanteurs qui peuvent le plus jouer sur cette marge de tolérance de la justesse, et les meilleurs d'entre eux ne s'en font pas faute. Une analyse au fréquencemètre révélerait aisément des écarts pouvant atteindre un quart de ton par rapport à la note théorique dans l'interprétation des artistes les plus justement renommés : c'est là une forme d'accentuation expressive, qui, dans ce cas, est perçue comme telle par l'auditeur, et non pas comme fausse note. En effet, notre système musical ayant le demi-ton comme plus petit intervalle, un quart de ton n'y peut être une note nouvelle, mais seulement un écart par rapport à la note exacte qui aurait dû être entendue. Dans ces conditions, la note exécutée n'est pas physiquement juste ; elle n'est pas pour autant perçue comme une autre note, n'existant pas dans notre échelle.

   De même, chez les très nombreux peuples qui usent d'une gamme par tons entiers (échelles pentatoniques anhémitoniques de l'Afrique noire, par exemple), gamme qui ignore le demi-ton, un écart d'intonation d'un demi-ton par rapport à la note théorique est mentalement ramené à la note qui aurait dû être exécutée dans l'échelle employée, et non comme une note nouvelle. Mais quelles que soient les libertés que peuvent prendre avec la justesse idéale les plus accomplis des exécutants ­ libertés dont ils savent d'ailleurs user avec goût et modération ­, la recherche de la plus grande justesse d'exécution, d'intonation et d'audition demeure l'une des bases de tout apprentissage de la pratique musicale.