Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
T

tchèque (République)

Slovaquie

Suite à l'effondrement de l'empire de Grande-Moravie (906), un État tchèque, non lié à la Slovaquie, a longtemps vécu indépendamment, jusqu'à son annexion par les Habsbourg en 1627.

De son côté, la Slovaquie est restée dans la zone d'influence des puissances installées dans la plaine hongroise et la vallée du Danube (domination ottomane, puis austro-hongroise). L'action missionnaire des frères Constantin (Cyrille) et Méthode (863-864), imposant l'idiome slave pour la liturgie catholique, avait réussi, grâce à une culture religieuse spécifiquement glagolithique (vieux slave commun au nord de la Grèce et à la Moravie), à créer un lien culturel sur l'ensemble du territoire actuel de la République tchèque. La République tchécoslovaque n'a existé en tant qu'État commun à la Bohême et à la Slovaquie que depuis 1918. En 1969, le gouvernement a décrété la fédéralisation de la République démocratique tchécoslovaque en deux États, ayant leurs propres institutions, en particulier culturelles. Le 1er janvier 1993, la République tchèque (capitale Prague) et la Slovaquie (capitale Bratislava, en allemand Pressburg) sont devenus deux États indépendants.

La musique en Bohême

Le chant grégorien se répandit sous l'influence de l'Église de Byzance, dans son cérémonial en langue slave, donnant naissance à de nombreux cantiques populaires, tels les chorals de Saint-Venceslas Hospodine, pomilujny (« Seigneur, ayez pitié de nous », vers l'an 1000), ou Buoh šemohúcí (« Dieu tout-puissant ») et Jezu Christe, štedry kneze (« Jésus-Christ, prince généreux », vers l'an 1100). L'un, d'origine orientale, les autres, romains. On décèle ainsi, dès l'aube d'une musique nationale, le perpétuel équilibre que cherchera la musique tchèque entre les influences orientales et occidentales. Les communautés centrées sur les couvents de prémontrés ou de bénédictins (comme celui de Saint-Pierre de Budeč) s'initient à la pratique du choral, réalisent des « jeux de Pâques », des mystères, tel l'Hymne à saint Aldebert ou le Jeu du guérisseur.

Un âge d'or

Avec l'avènement de Charles IV (1346-1378), de la dynastie des princes de Luxembourg, la Bohême atteint son premier âge d'or musical. Viennent à la cour de Prague, Pétrarque en 1356, le minnesänger tchèque Mühlich, qui ouvre la Bohême à l'influence française préparée par la présence de Guillaume de Machaut en 1340-41. Prague est devenue la capitale de l'Empire romain germanique, s'ouvrant à l'Ars nova florentin, tandis que la chanson profane se répand, enseignée par des maîtres tels que Zapy Záviš et l'évêque Jean de Jenštejn (1350-1400).

   Puis l'isolement des pays tchèques pendant les guerres de religion donne aux diverses communautés l'obligation de créer leur propre répertoire de danses, motets à textes multiples, de développer la pratique instrumentale dans ces chanteries évangéliques appelées « fraternitates litteratorum ». L'oppression féodale et la dégradation de l'Église romaine pousse le recteur de Prague, Jean Hus (1371-1415), à la réforme. Brûlé vif en 1415 sur décision du concile de Constance, Hus devient le symbole de la nation tchèque en révolte, pour un temps victorieuse contre le pape et l'empereur.

   Ce mouvement révolutionnaire donne sa première unité à un peuple, chantant les chants patriotiques que sont Ktož jsu boži bojovnici (« Vous qui êtes les combattants de Dieu »). Le cantique hussite, dont 77 chants sont conservés dans le cantionnaire de Jistebnice, influence non seulement le chant grégorien tchèque cultivé par les Frères de Bohême, mais aussi les chants luthériens allemands. Avec la restauration du régime féodal (1434), la cour de Georges de Poděbrady, des rois de la famille Jagellon (1471-1526), puis de Rudolf II (1576-1612), s'ouvre successivement aux influences des maîtres de la polyphonie vocale : Philippe de Monte, Ch. Luyton, Jacques Regnart, des musiciens de Bohême, tels Jiří Richnovsk'y, le Slovène Jakob Hand-Gallus, Jean Trojan Turnovsk'y, Ondřej Chrysogonus, Pavel Spongapeus Jistebnick'y, Jan Cnefelius et le plus grand polyphoniste tchèque du XVIe siècle, Kryštof Harant, de Polžice et Bezdružice, qui devait mourir sur l'échafaud, après avoir été vaincu à la Montagne Blanche (1620), à la tête de la noblesse tchèque en révolte contre les Habsbourg.

   Dans la petite-bourgeoisie et les communautés paysannes regroupées autour de leurs églises ou couvents, fréquemment tenus par des prêtres de l'Unité des frères (ou Frères de Bohême), on revient à un christianisme primitif, privilégiant le cantique populaire que l'on se transmet par recueils entiers (cantionnaire de Šamotuly, 1561 ; de Kralice, 1615).

   Il coexiste ainsi quatre sources musicales simultanées : romaine, hussite, luthérienne, allemande et les Frères de Bohême. Cette dernière nous est parvenue, grâce à Jan Blahoslav (1523-1571), évêque de l'Unité des frères, qui faisait rédiger les divers cantiques pratiqués. Lui-même rédige le premier ouvrage tchèque de théorie musicale, Musica (1558). À la fin du siècle, il ne circulait pas moins de 90 000 exemplaires de divers recueils hussites ou latins.

La période baroque (1620-1730)

Après le désastre de la Montagne Blanche rayant l'État tchèque de la carte pour trois siècles, les terres des nobles et des bourgeois sont données à des hobereaux allemands et l'intelligentsia tchèque, pour la première fois, s'expatrie. Ainsi le dernier évêque de l'Unité, Jan Amos Komensk'y (Comenius) [1592-1670] qui fera paraître à Amsterdam en 1659 un cantionnaire de quelque 330 chansons, qui vont se répandre dans leurs traductions latines, allemandes, polonaises. Désormais, le qualificatif de tchèque ne sera pour les cours allemandes qu'une référence, provinciale, d'œuvres réalisées par les laquais que sont les musiciens, instrumentistes ou maîtres de chapelle à leur service.

   À cette époque, qui voit l'apogée du style italien, quelques Tchèques comme Adam Michna d'Otradovice (1600-1670) perpétuent la tradition de la musique religieuse, la faisant déjà évoluer de la polyphonie vers la monodie. Sur le plan de l'orchestre, de cuivres en particulier, règnent des maîtres tels que Pavel Josef Vejvanovsk'y (1640-1693), Šimon Brixi (1693-1735), Dimas Zelenka (1679-1745), tandis que Josef Leopold Dukát (1684-1717) peut remettre la tradition bohême au plus grand maître tchèque de l'orgue baroque et de la musique vocale, d'influence vénitienne, Bohuslav Matej Černohorsk'y (1684-1742). Ce dernier crée à Prague une école qui va former les maîtres bohêmes du XVIIIe siècle. L'opéra italien vient à Prague, mais le public non allemand n'est pas concerné.

   De 1720 à 1730, Černohorsk'y forme trois compositeurs qui vont étendre à nouveau le renom de l'école bohème, Jan Zach, František Tůma (1704-1774), Norbert Seger (1716-1782), qui est remarqué par Bach dès 1730, puis l'aîné d'une grande famille de musiciens, František Xaver Brixi (1732-1771), enfin František Václav Habermann (1706-1783), qui introduit la mode italienne, que l'Église de la Contre-Réforme s'efforce de faire pénétrer en faisant exécuter dans les lieux publics les œuvres religieuses de Porpora, Caldara, Vinci, Léo, etc.

La période classique

(1730-1800). Malgré la disparition des couches aisées de la population tchèque, une renaissance culturelle, en particulier musicale, s'amorce grâce aux instituteurs-musiciens des petites villes de Bohême, partageant leur temps entre l'enseignement, l'orgue et la direction de chorales qui chantaient avec le même entrain musique d'église et de divertissement. De ce fait, la frontière entre musique savante et populaire n'a pas de prise sur une vie musicale s'ordonnant selon les obligations du calendrier : fêtes religieuses, danses, réjouissances, où l'on voit les chanteurs devenir instrumentistes. La Bohême voit naître ainsi ses propres chants, où le populaire rejoint le savant. Par contre, la musique écrite continue à se développer presque exclusivement dans le domaine ecclésiastique, telle l'école de Citoliby de Václav Jan Kopřiva (1717-1774), et de son fils Karel Blažej.

   Les instrumentistes émigrent dans toutes les cours d'Europe : la famille Stamitz (Stamic), qui fait les beaux jours de la cour de Mannheim, y est rejointe par František-Xaver Richter. De même, les Benda émigrent à la cour de Berlin. Le pianiste Jan Ladislav Dusík (1760-1812) termine sa brillante carrière à Paris, élaborant dans ses véritables poèmes à programme pour piano (Élégie harmonique, le Retour à Paris, Invocation) la voie du romantisme. Suit le corniste Václav Stich (Punto) [1746-1803], qui fait connaître son instrument à Paris, Vienne, Londres, en concerto comme en musique de chambre.

   Antonín Rejcha (1770-1836) devient, lui, un véritable Français (naturalisé en 1829), succédant au fauteuil de Boieldieu à l'Institut. L'importance de ses travaux théoriques est telle que ses divers traités ont servi à former Berlioz, aussi bien que Wagner et Franck.

   L'autre grande voie d'émigration intéressait l'Italie. Josef Mysliveček (1737-1781) y rencontre Mozart, à Bologne (1770), qui devint son protégé. Connu sous le pseudonyme d'« il divino Boemo », il est à la base du renouveau de l'opéra italien et de la musique de chambre de Mozart. On trouve Herman-Antonín Jelínek ((1709-1779) au couvent des Prémontrés de Milan, Václav Pichl (1741-1805), élève de Zach, à la cour milanaise de l'archiduc Ferdinand. L'ensemble des compositeurs et musiciens tchèques de l'époque séjournèrent plus ou moins longtemps à Vienne, au gré des volontés de la cour dont les membres partageaient fréquemment leur temps entre la capitale impériale et leurs terres bohêmes.

   S'étaient ainsi fixés à Vienne : Jan Křtitel Vaňhal (1739-1813), symphoniste prolixe, Léopold Koželuh (1747-1818), successeur de Mozart comme maître de chapelle de la cour, Pavel Vranick'y (1761-1820), auteur de l'opéra Oberon qui inspira Weber, son frère, Antonín (1756-1808), qui imprime une note spécifiquement tchèque à ses quatuors de la maturité (1790). Les deux derniers compositeurs bohêmes s'installant à Vienne et qui devinrent les amis de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, sont Vojtěch Jírovec (1763-1850), créateur de la symphonie bohême classique, et Jan Hugo Voříšek (1791-1825), excellent pianiste, dont l'œuvre de clavier appelle Schubert.

   Deux noms peuvent être retenus pour leur activité en Russie : Jan Antonín Marès, corniste, et Jan Práč (1730 ? – 1798), éditant en 1790 à Saint-Pétersbourg un recueil de chants russes et ukrainiens.

   Quelques musiciens restent au pays : František Xaver Dušek (1739-1799), pianiste, musicien de chambre, qui héberge plusieurs fois Mozart à Prague ; Jakub Jan Ryba (1765-1815), mélodiste imprégné des chansons bohêmes, qui permet au patrimoine vocal de passer à Pavel Křížkovsk'y (1820-1885).

   Reste Václav Jan Tomášek (1774-1850), pianiste, théoricien, professeur, qui va permettre le rayonnement d'un romantisme national : il fonde sa propre école de musique en 1824, concurrençant le conservatoire de culture allemande ouvert en 1811.