Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
E

électroacoustique (musique) (suite)

Panorama géographique

Si étonnant que cela puisse paraître à certains, la France se trouve être le pays privilégié de la musique électroacoustique, non par la quantité de musique produite (elle est dépassée par les U. S. A.), mais par le degré de maturité, d'autonomie et d'élaboration esthétique et technique que ce genre y a connu ­ sans compter qu'on y trouve, de Pierre Henry à François Bayle, la plupart des grands créateurs qui l'ont illustré. En particulier, c'est le seul pays où la diffusion des musiques électroacoustiques en concert ait fait l'objet d'un soin particulier et où elle ne soit pas une formule passive et neutre. Des « orchestres de haut-parleurs », des systèmes de diffusion originaux permettant une interprétation vivante de ces musiques, en agissant sur la répartition spatiale, les dosages d'intensité et de couleur, y sont couramment employés. Il y a aussi en France une tradition propre de la musique électroacoustique, issue du courant de la musique concrète : elle reste attachée à une fabrication artisanale, empirique, par le compositeur lui-même, de sa matière sonore, de sa musique, plutôt que par l'assistance d'un technicien ou d'un système automatique.

   Pierre Henry, installé depuis 1958 dans son studio Apsome monté « pierre par pierre », domine toute la musique électroacoustique. Ce grand solitaire, qui fut le premier à se consacrer entièrement à cette musique, n'a pas seulement créé une œuvre géniale mais il a aussi vivifié, par ses audaces, un terrain qui sans lui serait demeuré stérile. Sa façon directe et généreuse de prendre à bras-le-corps les grands problèmes de la musique électroacoustique, d'assumer le genre sans réserve, fut pour beaucoup d'autres un exemple et une stimulation.

   C'est en France aussi que se situent quelques-uns des studios les plus actifs dans le monde : au premier rang, ne serait-ce que par son ancienneté, le Groupe de recherches musicales de l'I. N. A., fondé par Pierre Schaeffer et animé par François Bayle, qui a accueilli ou gardé plus ou moins longtemps dans son sein quelques-uns des auteurs les plus importants, et qui a développé une intense activité de création, de diffusion, de pédagogie et de recherche. À la fin des années 60, d'autres centres très actifs se sont affirmés : le Groupe de musique expérimentale de Bourges, créé en 1970 par Christian Clozier et Françoise Barrière, tient une place importante et a organisé un réseau international d'échanges et de communications entre les studios du monde entier, qui est une de ses originalités. Créé en 1968 par Marcel Frémiot, le Groupe expérimental de Marseille, animé par Georges Bœuf, a démarré de façon prometteuse, et a acquis ensuite une véritable autonomie. On peut citer aussi le Studio du conservatoire de Pantin, le Groupe art-musique-info de Vincennes, le département électroacoustique de l'I. R. C. A. M. à Paris, animé par Luciano Berio jusqu'en 1980, et plusieurs studios en voie de création ou de développement à Strasbourg, Pau, Vierzon, Metz (C. E. R. M.), etc., ainsi que le C. I. R. M. (Jean Étienne Marie), installé à Paris puis à Pantin, et à Nice depuis 1975, et le Studio de l'American Center de Paris (S. M. E. C. A., Jorge Arriagada), sans oublier ceux, de plus en plus nombreux, qui travaillent avec leur matériel privé ou comme invités temporaires des studios publics : Almuro, Ferreyra, Ferrari, Radigue, Bokanovski, Dhomont, d'Auzon, Chion, Tazartes, Cahen, Canton, Maticic, etc. Paradoxalement, malgré cette floraison d'auteurs et de création, la musique électroacoustique en France reste un peu à l'écart de la musique contemporaine officielle, rançon d'un isolement où, par ailleurs, elle a puisé beaucoup de sa force.

   Dans les autres pays d'Europe, le « tissu » des studios et des auteurs est moins serré, mais on n'en trouve pas moins des centres très actifs, qu'il s'agisse de la Belgique avec le studio de l'I. P. E. M. de Gand (Goeyvaerts, Goethals) et celui de Léo Kupper à Bruxelles ; de la Hollande, avec le Studio de sonologie de l'université d'Utrecht (Weiland, Ponse, Koenig), qui est un des centres les plus anciens et les plus fréquentés ; de l'Autriche, avec le Studio de la Hochschule de Salzbourg, dirigé par Klaus Ager, et celui de la Hochschule de Vienne (Dieter Kaufmann) ; de la Suisse avec le Centre de recherches sonores de la Radio-Suisse romande (Zumbach) et des auteurs comme Guyonnet, Boesch, Kessler ; de la Grande-Bretagne, avec le studio de Norwich (Dennis Smalley) et celui de l'université d'York ; de l'Irlande (Roger Doyle) ; de la Suède, avec le studio de la fondation Fylkingen et celui de Stockholm (E. M. S., fondé par Knut Wiggen), etc. L'Allemagne de l'Ouest est le lieu de naissance de la musique électroacoustique des années 50 au studio de la W. D. R. de Cologne, où continue de travailler le grand Stockhausen et où sont venus par ailleurs Höller, Huber, Kagel, etc. En Italie, on connaît surtout le fameux Studio de phonologie musicale de la R. A. I., fondé à Milan en 1953 par Luciano Berio et Bruno Maderna qui y ont composé des œuvres marquantes. Luigi Nono y a produit également de nombreuses bandes, mais ce studio a cessé ses activités. D'autres centres se sont révélés dans d'autres villes, à Florence (Pietro Grossi), Rome, Padoue, Pise, Turin (Enoce Zaffiri).

   L'Europe de l'Est comprend quelques studios, généralement rattachés à des radios nationales (comme les premiers grands studios de l'Europe de l'Ouest : Paris, Cologne, Milan, etc.). C'est en Pologne qu'on trouve un des plus anciens, celui de Varsovie, fondé par Joseph Patkowski et où ont travaillé Wladimir Kotonski et surtout Eugeniuz Rudnik. En Tchécoslovaquie, citons les studios de Bratislava (Peter Kolman) et de Prague ; en Hongrie, le studio de Budapest (Zoltan Pongracz) ; en Yougoslavie, celui de Belgrade (Vladan Radovanovic, Paul Pignon) ; en Russie, la personnalité d'Édouard Artemiev, etc.

   Aux U. S. A., pour ainsi dire, chaque université possède son studio, et c'est surtout dans ce cadre que se développe la production de musique électroacoustique. Cette musique y est rarement considérée comme un genre à part, autonome, et les bandes magnétiques produites sont généralement destinées à des œuvres « mixtes » (pour instruments et bandes) ou « mixed media » (avec lumières, ballet, cinéma, etc.). Une grande exception est Ilhan Mimaroglu, qui n'hésite pas à bâtir des fresques purement électroacoustiques. Parmi les très nombreux studios, on citera celui de Valencia, en Californie (Barry Schrader), ceux du Mills College, à Oakland, Californie (Subotnick, Oliveros), de San Diego, d'Urbana, dans l'Illinois (Hiller, Amacher, Gaburo), de Iowa City, Iowa (Peter-Tod Lewis), d'Ann Arbor, Michigan, le dynamique studio du Dartmouth College de Hanover, New Hampshire (Jon Appleton, autre figure marquante) et, à New York, le vénérable studio de l'université Columbia-Princeton où Wladimir Ussachevsky et Otto Luening ont fondé en 1952 la « tape music » (musique pour bande) américaine, et où ont travaillé entre autres Milton Babbitt, Jacob Druckman et surtout Ilhan Mimaroglu. Près de New York, citons encore celui de Stony Brook (Bulent Arel) et celui de John Cage et Daniel Tudor à Stony Point.

   Presque tous ces studios fonctionnent dans le cadre d'universités, mais il ne faudrait pas oublier les « laboratories » installés dans divers organismes où ont été menées des recherches de pointe : par exemple, celui de la Bell Telephone, à Murray Hill, New Jersey, où Max Mathews et d'autres compositeurs ont développé les premières recherches de synthèse sonore par ordinateur.

   Au Canada, on retrouve à peu près les mêmes conditions de production et de diffusion de la musique électroacoustique qu'aux U. S. A. On retiendra, outre les studios de l'université Carleton d'Ottawa, de l'université de Toronto, de l'université Simon Fraser à Burnaby (R. Murray Schafer), de l'université Mac Gill à Montréal (Pedersen, Longtin, Joachim, Coulombes-Saint-Marcoux), de l'université Laval de Québec (Nil Parent), le nom du pionnier en matière technique et de l'inventeur qu'a été Hugh Le Caine.

   En Amérique du Sud, la musique électroacoustique ne vit pas sans difficultés matérielles et sociales, même si de nombreux compositeurs (qui doivent souvent venir en Europe pour se former, et revenir ensuite dans leur continent pour tenter d'y implanter des studios) s'y adonnent : pour l'Argentine, Alberto Ginastera, Gabriel Brnic, Lionel Filippi, Luis-Maria Serra (ces deux derniers animant le studio Arte 11 à Buenos Aires) ; pour le Brésil, Jorge Antunes (studio de Brasília) et Rodolfo Caesar ; pour le Chili, Vicente Asuar ; pour le Venezuela, Raul Delgado. D'autres sont venus s'installer en Europe, tels Jorge Arriagada, Ivàn Pequeñó, Edgardo Canton, Beatriz Ferreyra, Horaccio Vaggione, etc.

   Au Japon, on connaît surtout le studio de la N. H. K. (radiotélévision) à Tokyo, où des compositeurs comme Toshiro Mayuzumi, Makoto Moroi, Toru Takemitsu, etc., se sont inspirés de la tradition nationale pour créer des œuvres électroacoustiques. Et, pour l'Australie, on peut citer les noms de Warren Burt et d'Andy Mac Intyre.

   Dans cette énumération très abrégée ont été omis volontairement les noms de ceux qui se consacrent en priorité à la musique électroacoustique en direct, ou « live electronic music ». Ils sont évoqués dans l'article spécialement consacré à cette rubrique.