Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

Carter (Elliott)

Compositeur américain (New York 1908).

De ses études à l'université Harvard auprès de Walter Piston, puis à Paris auprès de Nadia Boulanger, il tira une formation purement néoclassique, sous le signe de Stravinski, de Hindemith, et de Copland, ce qui lui valut dix années d'incertitudes stylistiques illustrées notamment par le ballet Pocahontas (1939) ou la Première Symphonie (1942). Avec la Sonate pour piano (1945-46), le ballet le Minotaure (1947) et surtout la Sonate pour violoncelle (1948), son langage gagna en complexité rythmique tout en se libérant de la tonalité. Il reprit alors à son compte le concept de « modulation métrique », déjà utilisé de façon empirique par Charles Ives, et qui devait rester une constante de son style ; il s'agit d'un changement de tempo progressif par utilisation de valeurs irrationnelles, procédé auquel la musique de Carter doit une souplesse rythmique unique rendant sa notation et son exécution particulièrement difficiles.

   Aux Huit Études et Une Fantaisie pour quatuor à vent (1950) succéda le vaste Premier Quatuor à cordes (1951), premier prix du concours de quatuors de Liège et l'un des plus importants depuis Bartók et Schönberg : avec cette œuvre, il se trouva lui-même. Les Variations pour orchestre (1954-55) inaugurèrent un nouveau principe, celui de la caractérisation psychologique des instruments.

   Ce principe reçut une très nette et très remarquable consécration dans le Deuxième Quatuor à cordes (1959), qui, comme plus tard le Troisième (1971), obtint le prix Pulitzer : dans cet ouvrage presque deux fois plus court que le quatuor précédent, chaque instrumentiste mène le jeu à son tour, avec un rôle psychologique très précis au sein d'une sorte de « théâtre musical ».

   Carter considère ses partitions les plus récentes comme des « scénarios », les instrumentistes comme des « acteurs ». Le Double Concerto pour clavecin, piano et deux orchestres de chambre (1961) poursuit dans cette voie, tout en donnant à chacun des deux ensembles instrumentaux (séparés dans l'espace comme, déjà, les quatre instrumentistes du quatuor de 1959) son propre répertoire mélodique et harmonique. En revanche, le Concerto pour piano (1964-65) oppose « un individu aux humeurs et aux idées changeantes et un orchestre traité de façon plus ou moins monolithique ». Le Concerto pour orchestre (1969-70), inspiré par le poème Vents de Saint-John Perse, traite pour l'essentiel de la « poésie du changement, de la transformation, de la réorientation des sentiments et des pensées », tandis que le Troisième Quatuor à cordes (1971), créé à New York après plusieurs révisions en janvier 1973, divise les quatre instruments en deux duos (premier violon ­ violoncelle et second violon ­ alto), dont l'un joue « quasi rubato » et l'autre « en rythme bien strict ». Suivirent un Duo pour violon et piano (1973-74), un Quintette de cuivres (1974), A Mirror on which to Dwell pour soprano et ensemble instrumental sur 6 poèmes d'Élisabeth Bishop (1975), première œuvre vocale du compositeur depuis près de trente ans, Symphonie de trois orchestres (1976), Syringa pour mezzo-soprano, basse et 11 instruments (1978, In Sleep, in Thunder pour ténor et 14 exécutants (1981), Triple Duo pour 6 exécutants (1983). Penthode pour ensemble (1985), un Quatrième Quatuor à cordes (1986), un Concerto pour hautbois (1987), Remembrance (1988), un Concerto pour violon (1990), un Concerto pour violon (1990), un Quintette pour piano et vents (1991), Partita pour orchestre (1994), Of Challenge and of Love pour soprano et Piano (1995), Adagio tenebroso pour orchestre (1995), un Quatuor à cordes no 5 (1995). Carter a enseigné au Peabody Institute de Baltimore et à l'université Columbia et au Queens College de New York. Produisant relativement peu, il n'a reçu la consécration qu'à plus de cinquante ans, mais apparaît comme l'un des plus grands compositeurs américains.

Cartier (Jean-Baptiste)

Violoniste et compositeur français (Avignon 1765 – Paris 1841).

Il vint à Paris, en 1783, compléter sa formation d'instrumentiste auprès de Viotti, qui l'introduisit à la cour : là, il fut accompagnateur de Marie-Antoinette jusqu'à la Révolution. En 1791, il entra dans l'orchestre de l'Opéra et fit partie, de 1804 à 1830, de la Musique de Napoléon, de Louis XVIII et de Charles X. Il finit sa carrière au Conservatoire, où il avait été nommé en 1828. Dans son ouvrage théorique, l'Art du violon, paru en 1798 et 1801 (réimpr. 1973), Cartier publia pour la première fois des pièces de Tartini, de Nardini et de Bach. Il consacra la plupart de ses œuvres au violon en composant sonates, duos, airs variés, pots-pourris, études, caprices et concertos.

Carulli (Ferdinando)

Guitariste et compositeur italien (Naples 1770 – Paris 1841).

Après avoir appris la guitare en autodidacte, il vint à Paris en 1808 et y mena une carrière de virtuose. Il publia environ 330 pièces diverses pour guitare seule, deux guitares et divers instruments, ainsi qu'un traité intitulé l'Harmonie appliquée à la guitare (Paris, 1825), une méthode de guitare et un manuel d'accompagnement. Si la part didactique de son œuvre n'est pas négligeable, l'esthétique de ses multiples pièces souffre souvent d'une réelle pauvreté mélodique et harmonique.

Caruso (Enrico)

Ténor italien (Naples 1873 – id. 1921).

Né dans une famille humble, dix-neuvième enfant d'un mécanicien, il dut travailler en atelier dès l'âge de dix ans. Chantant dans des églises, il apprit les rudiments de la musique, mais ne fit aucune étude vocale particulière avant 1891. Il débuta en 1894 au Teatro Nuovo de Naples à l'occasion de la création de L'Amico Francesco de Morelli. Les premières années de sa carrière furent modestes et difficiles. La création du rôle de Loris dans Fedora de Giordano au Teatro Lirico de Milan, en 1898, attira l'attention sur lui. Il fut engagé en Amérique du Sud, en Russie, débuta à la Scala de Milan en décembre 1900 dans la Bohème de Puccini et y créa en 1902 le rôle de Maurice de Saxe dans Adrienne Lecouvreur de Cilea. Dès lors célèbre, il fut accueilli sur toutes les grandes scènes du monde, mais, à partir de ses débuts au Metropolitan de New York dans Rigoletto (1903), ce théâtre devint son principal port d'attache. Il y participa notamment à la création mondiale de la Fille du Far West de Puccini en 1910. En 1919, sa santé s'altéra. Le 24 décembre 1920, toujours au Metropolitan, dans la Juive de Halévy, il parut pour la dernière fois en scène. Il regagna l'Italie et mourut dans sa ville natale, où il avait refusé de se produire depuis 1902, son interprétation de l'Élixir d'amour de Donizetti y ayant été fraîchement accueillie.

   La couleur de la voix de Caruso était d'une beauté exceptionnelle, avec quelque chose de velouté même dans la force. Cette voix était, à ses débuts, celle d'un demi-caractère lyrique. Elle gagna peu à peu en volume et sa couleur s'assombrit après l'ablation d'un nodule sur une corde vocale (1909). Son art peut être caractérisé par la réunion d'une technique irréprochable, qui le rattachait au passé, et de la recherche d'une interprétation moderne, inspirée par le réalisme. Cette synthèse de deux écoles avant lui inconciliables lui permettait d'interpréter les ouvrages de bel canto dans un style parfait, mais avec une intensité expressive jusque-là inconnue, et les ouvrages dramatiques avec tout le sentiment nécessaire, jusqu'à la violence, mais sans sacrifier la beauté de la voix. Son très vaste répertoire s'étendait du classicisme de Gluck et du romantisme élégiaque de Donizetti, en passant par Meyerbeer, Massenet, Puccini, etc., au vérisme de Leoncavallo et aux grands rôles de Verdi, sauf Othello, qu'il ne chanta jamais au théâtre.

   Le disque, encore balbutiant, dont il fut la première grande vedette, contribua sans aucun doute à sa popularité, demeurée unique.