Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

Cherkassky (Shura)

Pianiste russe naturalisé américain (Odessa 1909 – Londres 1995).

Il commence à étudier la musique à l'âge de quatre ans. En 1922, sa famille s'installe à Baltimore (États-Unis). L'année suivante, il entre à l'Institut Curtis de Philadelphie où il étudie avec J. Hofmann. Sa carrière débute en 1928. Hors des États-Unis, il se fait connaître d'abord en Allemagne, en Autriche et en France. Héritier de la grande école russe de piano, son répertoire de prédilection comprenait les œuvres de Liszt, Chopin, Schumann, Rachmaninov. Il s'est produit sur les plus grandes scènes du monde, fascinant son auditoire par son jeu extrêmement brillant, mais libre de toute virtuosité conventionnelle.

Cherubini (Luigi)

Compositeur italien (Florence 1760 – Paris 1842).

Fils d'un claveciniste du théâtre de la Pergola à Florence, il fut d'abord initié au style religieux sévère, composa sa première messe à treize ans, puis étudia le style dramatique à Bologne, auprès du compositeur Sarti, écrivant également des sonates pour clavier dans l'esprit de Galuppi. À dix-neuf ans, il écrivit son premier opéra, Il Quinto Fabio (1780), encore dans l'esprit de Métastase, et donna à Milan, Florence, Venise, Rome et Mantoue une dizaine d'œuvres lyriques de genre seria ou semiseria, conçues à partir de livrets traditionnels, mais dénotant déjà une tendance à étoffer l'orchestration, ainsi qu'à privilégier les finales aux dépens de l'aria orné, comme le faisait Mozart à Vienne, à la même époque. Après s'être produit à Londres (La Finta Principessa, 1785 ; Il Giulio Sabino, 1786), il fit représenter à Turin son dernier opéra italien (Ifigenia in Aulide, 1788) et s'établit à Paris, où il se lia avec Viotti et Marmontel. Celui-ci écrivit à son intention un livret français, tiré de Métastase, pour Démophon (1788) ­ représenté sans grand succès à l'opéra. D'autres œuvres furent créées au théâtre Feydeau, dont Cherubini devait prendre la direction artistique.

   Le compositeur s'assura très rapidement une situation de premier plan à Paris, au lendemain de la mort de Gluck et de Sacchini, entre les derniers triomphes de Grétry et les premiers opéras de Le Sueur, Méhul et Boieldieu. Lodoiska, comédie héroïque, créée en 1791, confirma la puissante originalité de son talent. En 1794, il fit partie, auprès de Sarrette, de la commission d'inspecteurs chargée de l'établissement qui allait devenir le Conservatoire de Paris. Ses ouvrages suivants, toujours écrits dans la forme de l'opéra-comique avec dialogues parlés, témoignent d'une évolution entre le drame larmoyant, alors en honneur à Paris, et la comédie élégiaque et sentimentale d'esprit préromantique. Mais en 1797, en restaurant la tragédie antique dans un style faisant la synthèse de Gluck et des Italiens, il signait, avec la partition de Médée, l'acte de naissance du drame romantique. Éclipsée dans les pays latins par le succès de l'opéra de Mayr (1813) sur le même sujet, l'œuvre, enrichie de récitatifs chantés que les lois du genre avaient à l'origine interdits à Cherubini, devait entamer en Allemagne vers 1860 sa véritable et glorieuse carrière. En 1800 fut donné les Deux Journées (ou le Porteur d'eau), un des plus grands succès de Cherubini.

   L'échec d'Anacréon, en 1803, décida le compositeur à renoncer à sa manière légère. Puis, son inspiration étant à l'opposé des goûts de Napoléon, il partit en 1805 pour Vienne, où il suscita l'admiration de Haydn et de Beethoven. L'Empereur l'y retrouva, et malgré leur mésentente, le réinstalla dans ses fonctions d'inspecteur à Paris. Ce fut alors pour Cherubini, dans le cadre d'une semi-retraite auprès de la princesse de Chimay, un retour vers la musique religieuse, interrompu, occasionnellement, par la composition d'ouvrages lyriques, dont Pygmalion (1809), écrit pour le castrat Crescentini, fort prisé de Napoléon, et les Abencérages (1813). Son unique Symphonie fut destinée à la Société philharmonique de Londres (1815). Le retour des Bourbons permit à Cherubini de connaître une nouvelle ascension : il devint surintendant de la chapelle royale en 1814, membre de l'Institut en 1815 et, enfin, directeur du Conservatoire de 1822 à l'année de sa mort ; il reçut la cravate de commandeur de la Légion d'honneur en 1842.

   Si l'on excepte Ali Baba (1833), refonte d'un ouvrage de jeunesse, ses trente dernières années furent dédiées à la musique religieuse (Requiem à la mémoire de Louis XVI, 1816 ; Messe pour le sacre de Louis XVIII (1819, non exécutée) ; Messe pour le sacre de Charles X (1825) ; Requiem pour voix d'hommes, 1836) et à la musique de chambre ­ ses six Quatuors (1814-1837), dont le deuxième (1829) est la transcription de sa Symphonie, constituent en ce domaine le sommet de la production française du temps.

   La musique de Cherubini est la parfaite expression d'un homme dont l'image a été malencontreusement déformée par les railleries de Berlioz, qui, pourtant, l'admirait et sut l'imiter, et par le mépris où l'ont tenu des générations d'historiens. Sous des dehors austères, Cherubini cachait une âme sensible, et, prisonnier d'une pensée classique, il se sentait égaré dans la période romantique dont il traduisit néanmoins à merveille les premiers émois. Il faut, en effet, noter que Cherubini est le seul compositeur de première grandeur à avoir été à la fois contemporain de Mozart et de Beethoven. Ses sonates pour clavier et son premier opéra précèdent Idoménée et l'installation de Mozart à Vienne, son dernier Quatuor est postérieur à ceux de Beethoven et son ultime Requiem évoque celui de Berlioz, composé à la même époque. Cherubini avait, dès sa jeunesse, mal admis le carcan du vieil opera seria, dont il avait su étoffer l'orchestre, libérer le récitatif et développer les finales ; Démophon, avec ses récitatifs chantés et sa discrète colorature, avec son impossible tentative d'unir Gluck à Mozart et l'opera seria au goût français, échoua, alors que la veine élégiaque de Cherubini s'adaptait soudain avec bonheur à un nouveau type de sensibilité française. Les sujets « idylliques » d'Élisa, des Deux Journées, de l'Hôtellerie portugaise, ainsi que les divers ouvrages écrits en collaboration avec Boieldieu, son cadet de quinze ans, semblent opérer la synthèse idéale des styles de Piccinni, de Gluck et de Grétry, mais avec un tout autre raffinement harmonique. D'autre part, Lodoiska et Faniska ­ qui appartiennent au genre plus ambitieux de l'« opéra héroïque », présentant une héroïne rédemptrice ­, et Anacréon, écrit pour l'Opéra de Paris, offrent une parenté avec Méhul, alors que les Abencérages, ultime tentative qui emprunte encore à Gluck sa raideur et ses structures fermées, témoignent de quelque anachronisme, au lendemain de la réussite de Spontini, qui venait alors de donner à Paris la Vestale et Fernand Cortez. Médée demeure donc l'œuvre la plus marquante de Cherubini ; elle présente en filigrane les prémices des réformes wagnériennes, par l'emploi de leitmotive (principe également utilisé par le compositeur dans d'autres opéras), par le rôle de moteur donné à l'orchestre et par son écriture vocale qui se présente souvent comme un arioso tenant du récit et de l'aria et obligeant l'interprète à de grands intervalles dans la ligne vocale, avec un appui dramatique sans précédent.

   Romantique malgré lui, contemporain de Rossini, mais étranger à son influence, admiré de Beethoven, Schumann, Wagner et Brahms, éduqué en Italie, Français d'adoption et honoré par l'Allemagne, Cherubini occupe un rôle éminent dans l'élaboration du romantisme musical européen.