Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
L

luthéal

Instrument, ou plutôt accessoire instrumental du piano à queue, dont le brevet est dû au Belge Georges Cloetens et utilisé par Ravel pour la création de Tzigane le 15 octobre 1924.

Le dispositif du luthéal adapté à l'intérieur d'un piano de concert permet, au moyen de 4 boutons de commande, d'obtenir des sonorités nouvelles, des hauteurs variables et d'imiter d'autres instruments à l'instar des jeux d'orgues. Pour Tzigane, Ravel voulait obtenir, grâce à lui, des sonorités semblables à celles du cymbalum. Dans l'Enfant et les sortilèges (1925), le luthéal permet au piano de sonner comme un clavecin.

Luther (Martin)

Réformateur, poète et musicien allemand (Eisleben 1483 – id. 1546).

L'œuvre de Luther intéresse la musique à plusieurs titres. D'abord, en ce qu'il a organisé un culte largement fondé sur la parole et la musique communautaire, instituant notamment une messe allemande, qui fournira un schéma à de très nombreux compositeurs du monde protestant. Ensuite, en ce qu'il a, lui-même, écrit et composé des cantiques spirituels, et suscité une importante floraison de compositeurs, établissant ainsi un répertoire de thèmes de chorals, qui allaient servir de matériau thématique aux musiciens. Enfin, en ce que son mouvement de pensée sera déterminant sur la musique allemande, même non religieuse, et sur le rôle et l'importance de la musique dans la culture et la civilisation germaniques jusqu'à nos jours. Ses études, notamment à Eisenach, la future patrie de Jean-Sébastien Bach, font une large part à la musique, à laquelle il s'adonne durant sa jeunesse et qu'il ne cessera de pratiquer toute sa vie avec délectation. Entré dans les ordres, érudit professeur, « docteur en la sainte Écriture », par sa contestation de l'état présent de la foi et de l'église, Luther attire de nombreux sympathisants. Cette contestation se concrétise par les 95 Thèses de Wittenberg, véritable point de départ de la Réforme. Celles-ci lui valent, en 1520, l'excommunication, et la mise au ban de l'Empire en 1521. L'une de ses principales tâches sera désormais d'organiser la nouvelle communauté religieuse et civile qui se rallie massivement à ses idées et à sa pratique de la foi. Dès 1523, il publie De l'ordre du service divin dans la communauté et Formula missae et communionis, écrits qui affirment, entre autres, deux préceptes essentiels pour la musique religieuse : le service divin est centré sur le sermon, exégèse des textes sacrés, et le culte requiert la participation de la collectivité des fidèles par le chant. De ce type d'organisation cultuelle, on trouve la trace précise dans les cantates de Bach, qui en observent très rigoureusement l'ordonnance. En 1524, l'Épître aux Rathsherren propose un schéma décisif d'organisation de la vie cultuelle. Au temple, la communauté doit manifester sa participation active par le chant, soutenu à l'orgue. Puissant exercice respiratoire, le chant mène le fidèle à un état d'équilibre intérieur propice à la réception de la parole divine et de l'enseignement religieux.

   D'autre part, à la maison, la cellule familiale, microcosme de la communauté paroissiale, traduira sa piété par le chant quotidien des cantiques. Pour Luther, profondément musicien, la musique agit comme un exorcisme. Elle est la médiatrice entre l'homme et Dieu ; elle met l'individu en communication directe avec le surnaturel : une idée qui va rencontrer la sensibilité germanique et s'y ancrer profondément, jusque dans son inconscient collectif, au point de lui devenir consubstantielle pendant des siècles. Pour doter les fidèles de la religion réformée d'un corpus de cantiques, Luther se met lui-même à l'œuvre, écrivant les textes et les mélodies de chorals ­ il en composera en tout 36, dont le fameux Eine feste Burg ist unser Gott (« Une citadelle est notre Dieu »). Ne pouvant, seul, faire face à cette tâche considérable, il s'entoure de poètes et de musiciens, qui constituent peu à peu, sous ses directives, un vaste ensemble, dont l'élaboration se poursuit au long de la vie de Luther et après sa mort, empruntant notamment certaines mélodies au psautier huguenot français. Tous les motifs mélodiques des chorals ne sont, en effet, pas originaux. Nombre d'entre eux proviennent d'hymnes antérieures ou de chants médiévaux, sacrés ou profanes, auxquels de nouvelles paroles, en langue populaire et non en latin, sont adaptées. Mais, chaque fois, Luther et ses collaborateurs (ou leurs successeurs) modifient ces mélodies, quand ils n'en créent pas eux-mêmes, en leur donnant une carrure franche et bien découpée, résolument strophique, aux respirations régulières. Le premier des recueils de cantiques luthériens est le Geistliches Gesangbüchlein (« Petit Livre de chant spirituel »), publié en 1524 par Johann Walter (1496-1570), avec une préface de Luther, et contenant, entre autres, des poèmes et des chorals de Luther lui-même. Luther préfacera encore de la même façon des recueils de chorals postérieurs, en 1528, 1538, 1542 et 1545. En 1525, Johann Walter et Konrad Rupsch (ou Rupff) travaillent avec Luther à mettre au point des genres et des textes musicaux devant composer la messe allemande. Le fruit de ces travaux est consigné dans un ouvrage du réformateur daté de 1526, Messe allemande et ordre du service divin présentés à Wittenberg. Luther reviendra sur les questions musicales à bien d'autres reprises, à travers de nombreux écrits, notamment la Lettre à Ludwig Senfl (1530). Senfl est, en effet, l'un des principaux compositeurs luthériens de la première génération, avant Hans Leo Hassler, Melchior Franck et Praetorius. Luther meurt en 1546, un an après la convocation du concile de Trente, qui aura, lui aussi, et sans doute sous son influence, à s'occuper de musique (cf. le pape Marcel II, en 1555). Mais recueils de chant et psautiers continuent à se constituer : Psautier Lobwasser (1565), Psautier Wolkenstein (1580), Psautier Osiander (1586). Ainsi se trouve rigoureusement réalisée une liturgie musicale fondée sur des thèmes bien connus de tous et très régulièrement pratiqués. Les compositeurs ­ Schütz, Buxtehude ou Bach, pour les plus célèbres ­, qui les utiliseront dans leurs pièces polyphoniques, pour les voix ou pour l'orgue, ne le feront qu'en pensant précisément aux textes implicites qu'ils sous-tendent, et auxquels chaque croyant de la religion réformée peut mentalement associer les paroles qu'il a l'habitude de chanter, avec tout leur jeu de connotations spirituelles. Il n'y aura jamais, dans le monde luthérien, de citation musicale gratuite d'un thème de choral, mais toujours allusion précise à un texte de commentaire ou de réflexion religieux. Luther a mis au point une forme exemplaire de participation de la communauté au culte divin dont pourraient très utilement s'inspirer aujourd'hui ceux qui cherchent à réformer le chant religieux catholique.