Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

chansonnette

1. Titre donné au XVIe siècle à une chanson polyphonique imitée de la canzonetta italienne.

2. Diminutif ou sens péjoratif de la chanson.

chansonnier

1. Terme désignant tout auteur de chansons et, plus spécialement, de textes de chansons. Mais on l'applique particulièrement à une certaine catégorie d'auteurs-interprètes puisant leur inspiration dans l'actualité, appliquant les paroles de leur invention sur des airs en vogue et chantant leurs œuvres satiriques sur des scènes de cabaret. Béranger, Nadaud furent de célèbres chansonniers.

2. Nom donné à tout recueil, imprimé ou manuscrit, musical, comportant soit le texte seul, soit le texte et une notation de chansons profanes du Moyen Âge émanant de divers auteurs. Il peut s'agir de recueils d'œuvres de trouvères ou de troubadours ou, au XVe siècle, de recueils de chansons à une ou plusieurs voix.

chant

Le chant, une des expressions orales de l'homme, demeure le reflet de chaque ethnie et de son évolution. Ainsi que le chant dit « classique », le chant qui relève des traditions orales exige parfois un apprentissage minutieux dont témoignent les chanteurs de ragas aux Indes, les griots de l'Afrique noire, etc. Mais le genre qui nous intéresse ici, lié au développement d'une musique élaborée, souscrit en toutes circonstances à des préoccupations communes : destiné à traduire par la voix une partition musicale plus ou moins immuable, le chant, en dehors de toute considération technique ou artistique, doit répondre à des exigences de constante audibilité et d'élocution intelligible, ces facteurs tenant compte de l'acoustique du lieu et de l'utilisation de la voix soit en solo, soit soutenue par un ou plusieurs instruments de musique. Les données essentielles de cet art bien policé n'ont pas subi de bouleversements fondamentaux depuis le XVe siècle, quand bien même les moyens de parvenir à de mêmes fins diffèrent encore selon le milieu, la culture, la langue et tous les éléments qui conditionnent les facultés d'audition du chanteur, celles-ci déterminant évidemment sa capacité de reproduction de sons connus. L'apprentissage du chant est, en effet, quelque peu semblable à la conquête de la parole par le nouveau-né. Certains principes physiologiques identiques et immuables gouvernent donc l'émission vocale du chant et précèdent toute spécialisation, que ce chant soit ensuite plus particulièrement orienté vers le théâtre, le lied, l'oratorio, etc.

   Depuis l'Antiquité, et quel que fût son objet (art profane ou sacré, acte cultuel ou divertissement), le chant s'est toujours réclamé de l'une ou l'autre de deux conceptions opposées : il peut être un geste vocal pur, chant vocalisé sans paroles, de caractère incantatoire ou hédonistique (dit chant mélismatique), plus particulièrement lié aux civilisations magiques latines et orientales, type auquel se rattachent par exemple le chant de la synagogue et du temple, les lectures ornées du Coran, le chant flamenco ou les coloratures de l'opéra italien. Il peut, au contraire, se mettre au service de la transmission intelligible d'un texte (on le nomme alors chant syllabique, c'est-à-dire une note par syllabe) et se présente comme une sorte de récitation chantée. Cette seconde conception est davantage celle des civilisations rationnelles et nordiques, plus essentielle dans le lied germanique et la mélodie, dans la lecture des textes scripturaires de la liturgie, dans le Sprechgesang et ses prolongements au sein de l'opéra moderne. Elle est néanmoins également à la base du récitatif de l'opéra classique. Bien que ces choix relèvent avant tout de l'évolution de l'esthétique des genres lyriques, les interférences inévitables entre les deux conceptions ont considérablement influencé l'évolution du chant jusque dans sa technique même. Cet antagonisme entre « son » et « verbe », véritable pierre de touche des exercices du culte en tous lieux et en tous temps, fut notamment ressenti par l'Église chrétienne qui, tout en entretenant un enseignement vocal dont se réclamèrent plus tard les premiers chanteurs d'opéra, manifesta une méfiance vigilante envers les pouvoirs expressifs du chant : on en vint donc à observer une distinction stricte entre la récitation quasi syllabique des textes sacrés essentiels, d'une part, et, de l'autre, la libération jubilatoire des officiants, qui, par un effet de compensation inévitable, en vinrent à orner par d'interminables vocalises le chant du kyrie et surtout de l'alleluia. Dans le domaine de la musique profane, une luxuriance vocale tout à fait comparable est attestée par le traité de l'Espagnol Diego Ortiz (Rome, 1553), qui enseignait avant tout aux chanteurs comment composer eux-mêmes leurs variations et passages de virtuosité. Les mêmes tendances laissent des traces dans l'écriture des madrigaux pour voix soliste exécutés par de véritables professionnels du chant lors des fêtes princières de la fin du XVIe siècle en Italie, lorsque le triomphe définitif de la monodie accompagnée sur la polyphonie eut fait du chant le moyen primordial d'expression des compositeurs modernes.

En Italie, jusqu'à Rossini

Auteur et interprète de plusieurs de ces madrigaux, Giulio Caccini énonça les objectifs de ce nouvel art dans les deux préfaces qu'il écrivit pour ses Nuove musiche (1602, 1614) : se faisant le porte-parole des humanistes florentins et romains des camerate (v. Camerata fiorentina), il posa la définition d'un recitar cantando (« dire » en chantant), récitatif très mélodique et volontiers ornementé permettant la compréhension du texte sans négliger pour autant la beauté du chant. Cette façon de favellare in armonia (raconter par les sons) se réclamait d'une voix ferme, riche, et de l'attaque du son bien ample. Il préconisait une grande liberté rythmique (la sprezzatura), l'emploi de toutes les nuances de coloris et de dynamique, ainsi naturellement que la maîtrise d'une parfaite virtuosité dans la vélocité, l'exécution des différentes espèces de trilles, mordants, gruppi, esclamazioni, etc., à l'usage de tous les types de voix « afin de se rapprocher au mieux du sens des mots et du goût ». Néanmoins, alors que Luzzaschi avait fait vocaliser la célèbre Vittoria Archilei (1550-1618) sur plus de deux octaves, Caccini préconisait généralement des tessitures plus restreintes, bien que, à son époque, la basse Melchior Palantrotti ait témoigné d'une extrême agilité sur une tessiture étendue (1-fa3), cependant que la voix aiguë masculine, rarement sollicitée au-delà du sol3, correspondait, en fait, à celle du baryton actuel. Enfin, cette buona maniera di cantare faisait obligation aux interprètes d'improviser leurs propres « passages » de virtuosité en fonction du style et des « points d'orgue » que leur ménageaient les auteurs. Cette double exigence de technique vocale et de science musicale fut particulièrement assumée par les castrats, grâce à leur formation musicale sans équivalent, plus encore qu'à la nature de leur voix. Monteverdi confia au castrat Giovanni Gualberti le rôle titulaire de son Orfeo (1607), œuvre où il appliqua les principes de Caccini : un sobre recitar cantando suffit à narrer la mort d'Eurydice, tandis que c'est par la magie d'un chant très orné qu'Orphée charme les divinités infernales (aria Possente spirto). Confirmant le caractère, en quelque sorte abstrait, que revêtait alors le chant, il confia encore à un castrat le rôle de Néron dans le Couronnement de Poppée (1642), tandis qu'une voix aiguë masculine y incarnait une femme âgée : la notion de correspondance entre un type de voix et un caractère ne devait apparaître que bien plus tard.

   Avec l'art de Baldassare Ferri (1610-1680), la virtuosité vocale atteignit le même niveau de perfection que les vertus expressives du chant, jusque-là tenues pour l'essentiel, et c'est cette virtuosité qui devint l'élément prédominant de ce que nous nommons aujourd'hui le bel canto, dont Pier Francesco, dans son Traité (1723) posa ainsi les principes : une technique identique pour tous les types de voix, un chant ferme et assuré, et un sain usage de toute l'étendue vocale, le chanteur devant se garder aussi bien de rechercher la puissance des notes aiguës que de détimbrer les notes graves par l'usage inconsidéré du fausset au-dessous de sa limite naturelle. En rappelant que « plus la voix monte vers l'aigu, plus les sons doivent être attaqués avec douceur », et que le mélange des registres était le seul moyen d'obtenir un chant modulé à l'infini, Tosi enseigna comment « utiliser les premières résonances de tête, dès le bas médium de la voix, afin que les dernières résonances de poitrine disparaissent au-delà du mi3 (le de notre diapason actuel), car c'est le fausset qui domine au-delà ». Notons qu'il convient d'entendre ce terme fausset, non comme l'actuel falsetto, mais comme le falsettone ainsi défini par la phoniatrie moderne. Enfin, il reconnaissait néanmoins « la voix de tête comme plus apte à l'agilité » (c'est seulement avec Rossini que l'exécution des coloratures en bravura, c'est-à-dire en pleine voix, fut adoptée) et recommandait naturellement « l'étude des valeurs longues et lentes avant celles de la virtuosité et de l'interprétation ». Il ne fut guère écouté, en revanche, lorsqu'il préconisa une agilité qui fût propre au chant et qui différât du style instrumental, autre objectif qui ne fut atteint qu'à l'époque de Mozart ou de Rossini.

   En effet, avec Haendel et ses contemporains, l'art des castrats avait atteint son apogée dans une débauche de virtuosité au caractère purement instrumental. Cette perfection portant en elle-même un élément de saturation et de rupture, ces chanteurs en revinrent à cultiver à nouveau l'art de l'expression et du pathétique, et ils laissèrent peu à peu à d'autres types d'interprètes le soin de maintenir le flambeau de cette virtuosité. Haendel et Hasse s'intéressèrent à la voix de ténor, et le premier fit largement appel à l'agilité de basses telles que Montagnana, et, surtout, Giovanni Boschi, doué d'une belle étendue vocale (1-fa3), mais apporta tous ses soins à l'émancipation de la voix féminine qu'allait réhabiliter le XVIIIe siècle : interdites de séjour sur les scènes des États pontificaux en Italie, en raison de leurs mœurs relâchées, les cantatrices recevaient, au contraire, à Londres un accueil favorable. La voix de contralto de Francesca Vannini-Boschi fit merveille dans Rinaldo de Haendel en 1711, puis Antonia Merighi et surtout Vittoria Tesi (1700-1775) imposèrent davantage ce type vocal ; Hasse écrivit pour cette dernière cantatrice dans un registre véritablement approprié (sol2-fa4). Pourtant, le phénomène caractéristique plus particulier du chant haendelien fut l'intérêt sans précédent que le compositeur prêta au registre aigu des castrats et des sopranos. Et encore les textes écrits ne nous fournissent-ils qu'une idée relative des possibilités réelles de ces interprètes, qui donnaient leur véritable mesure dans les « embellissements » apportés aux arias, et notamment dans le da capo de ceux-ci, précisément destiné à mettre en valeur les possibilités les plus originales de chacun d'entre eux. De la célèbre Faustina Bordoni-Hasse (env. 1700-1781), une soprano grave habituellement limitée au sol4, Haendel exigea parfois le si bémol5, cependant qu'il écrivit le do5 pour sa rivale Francesca Cuzzoni (1700-1770), une cantatrice qui, la première, mit vraiment en valeur les caractères de pureté et d'expressivité propres à la voix féminine aiguë. Gluck, dans ses premières œuvres, puis Piccinni usèrent avec bonheur de cet engouement nouveau, alors même que, par un effet contraire, les castrats recherchaient dans la richesse de leur registre central des ressources insoupçonnées, car, ainsi que le remarque Rodolfo Celletti (La Vocalità, in Storia dell' opera, Turin, 1977) « une des lois du XVIIIe siècle voulait que le chant expressif requière des voix de tessiture moins étendue » : un siècle plus tard, nous le constaterons, le chant wagnérien et vériste allait souscrire à cette théorie.

   Ayant désormais le champ libre, les sopranos rivalisèrent en exploits souvent gratuits et se lancèrent à la conquête des sons adamantins d'un registre suraigu que nul ne leur disputait : on vanta la qualité du chant de Brigida Banti ou bien les cas exceptionnels de l'Anglaise Élisabeth Billington (1766-1818), qui, à Naples et à Vienne, fit acclamer son étendue vocale de trois octaves (la2-la5), ou du contralto russe Ouranova, qui pouvait aussi chanter le rôle très élevé de la Reine de la Nuit dans la Flûte enchantée de Mozart ! Mais les spécialistes de ce type de chant se regroupèrent autour de l'école viennoise : l'Allemande Gertrud Mara (1749-1833) et Anna de Amicis (1733-1816), pour qui écrivit Mozart, atteignaient le mi5, Élisabeth Wendling et la Polonaise Antonia Campi (1773-1822) le fa ; Mozart, toujours, écrivit fréquemment cette note, notamment pour sa belle-sœur Josefa Weber, qui créa le rôle de la Reine de la Nuit, pour Francisca Lebrun-Danzi (1756-1791), qui donnait le sol5 (une note qu'en France Grétry requiert également dans Renaud d'Ast) et pour Aloysia Lange Weber, à l'intention de laquelle il composa l'air Popoli di Tessaglia, une page dont la tessiture aiguë n'a jamais été dépassée. Enfin, Mozart entendit en Italie la fameuse Lucrezia Agujari (dite la Bastardella, 1743-1783) gravir la gamme jusqu'au do6, seulement égalée au XXe siècle par Erna Sack et par Mado Robin.

   Mais cette aventure particulière se développa, en fait, à contre-courant par rapport à l'esthétique dominante. Si les schémas essentiels du bel canto régissaient encore l'œuvre vocal de Haydn, de Cimarosa et de Mozart, celui-ci, particulièrement sensible aux courants réformistes réclamant un chant « plus naturel », réduisit la liberté d'ornementation habituellement concédée aux interprètes, assigna volontiers une fonction dramatique à la colorature et commença à définir une correspondance entre les caractéristiques de timbre et de tessiture des voix et l'âge, le sexe, le caractère des personnages. Dans cette typologie, la voix de ténor, encore mal définie, trouva son meilleur emploi avec les rôles de jeune premier, un amoureux encore timide, généralement un type de ténor grave, virtuose au timbre parfois assez dramatique, s'opposant déjà au castrat, symbole évident de l'abstraction théâtrale : c'est en 1774 qu'avaient précisément paru les fameuses Réflexions de G. B. Mancini, très important théoricien de l'art vocal, où celui-ci déplorait la baisse de qualité musicale de l'enseignement du chant, la décadence de l'art des castrats, et, le premier, il se pencha sur les données physiologiques de la voix.