Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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futurisme (suite)

Diffusion et fin du Futurisme

Le Futurisme connut une diffusion rapide en Italie et à l'étranger : en 1912, une exposition chez Bernheim-Jeune le présentait à Paris (ce fut également l'occasion d'un premier contact avec le Cubisme, et les relations devinrent plus étroites grâce surtout à Severini, qui habitait Paris). La même exposition, accompagnée de façon spectaculaire par Marinetti et les autres artistes du groupe, fut accueillie dans différentes villes d'Europe : à Londres, Bruxelles, Berlin, Amsterdam. En même temps, le mouvement organisait des représentations provocantes avec ses " soirées futuristes " dans les théâtres des villes italiennes.

   Après la Première Guerre mondiale, le Futurisme perdit de sa vitalité. La mort des deux protagonistes majeurs (Boccioni et Sant'Elia), la difficulté de s'insérer dans un milieu culturel — et politique — pendant les années qui précédèrent l'avènement du fascisme, les contradictions et la faiblesse des théories (en particulier celles de Marinetti, qui devint à partir de ce moment l'idéologue et le " leader " incontesté du Futurisme) expliquent l'abandon des recherches initiales. Carrà passa à d'autres expériences, Severini et Balla continuèrent en isolés des recherches personnelles et parfois opposées aux prémisses du Futurisme, Russolo se consacra à l'expérimentation musicale. Les mêmes motifs expliquent aussi la transformation interne du mouvement, qui, naguère " rebelle " et " maudit ", s'installa confortablement à l'intérieur de la culture officielle du fascisme (en 1924 parut le manifeste Futurisme et fascisme). Des rétrospectives du Futurisme ont eu lieu à la Biennale de Venise (en 1950, 1958, 1960), à Rome (palais Barberini, 1959), à New York (M. O. M. A., 1961), à Édimbourg, à Newcastle et à Londres (1972), jusqu'à l'exposition du Palazzo Grassi à Venise (1986).

Le Second Futurisme

Cette expression, imposée récemment par la critique, couvre une période qui débute vers 1918 et se prolonge au-delà de 1930. Le " Second Futurisme " a trouvé son identité critique grâce à une série d'expositions, à partir de 1957 (Turin, Gall. Notizie) et au M. A. M. en 1962), à Rome (G. A. M. en 1962, lors de l'exposition Prampolini) et à Bassano lors de la rétrospective Depero (1970). Ce mouvement couvre des phénomènes culturels très complexes liés aux vicissitudes que représentèrent à cette époque, pour l'art italien, la pénétration dans le futurisme tardif d'une culture européenne marquée par le Purisme et le Constructivisme, tout en gardant des rapports avec l'esprit dada transmis par l'œuvre de Prampolini.

   Aux côtés de quelques membres de la vieille garde futuriste (Balla, Marinetti), un groupe important d'artistes, représentant la seconde génération du mouvement, commence à travailler dans la période qui suit la Première Guerre mondiale : ces artistes s'insèrent dans le courant du Futurisme à un moment d'arrêt ou presque, par rapport à l'activité des années précédentes. Avec la disparition de Boccioni et de Sant'Elia ainsi que la rupture de Carrà et de Severini avec le groupe, l'unité du programme initial fait place à un réseau plus complexe de recherches. Les centres du mouvement se multiplient aussi : à Milan comme à Rome, Balla est le chef de file d'un groupe d'artistes, tels que Crali, Dottori, Tato, Prampolini et Benedetta, la compagne de Marinetti. Turin devient aussi un point de rencontre important, où un groupe nombreux est actif : Fillia, Alimandi, Oriani, Franco Costa, le sculpteur Mino Rosso et l'architecte d'origine bulgare Nicolay Diulgheroff. Toujours à Turin commence en 1915 une série d'expositions qui atteignent leur point culminant avec le célèbre pavillon de l'Architecture futuriste, dessiné par Prampolini pour l'Exposition internationale de Turin en 1928.

   Les recherches des seconds futuristes peuvent être divisées en deux périodes. La première, conditionnée par les recherches postcubistes, puristes et constructivistes, d'origine surtout française, va de 1918 à 1928 env. En dehors des artistes déjà cités, en font aussi partie Korompay et Marasco. Dans la seconde période, au contraire, l'influence du Surréalisme est sensible et provoque un retour à l'image vue sous un angle absurde ou fantastique : outre Prampolini et Depero, qui en furent les principaux interprètes, cette phase est représentée par des artistes tels que Munari, Tullio d'Albisola, Caviglioni ou Farfa.

   Ce qui relie les représentants du Second Futurisme aux expériences précédentes est la recherche d'une " recomposition " de la réalité, recomposition qui penchait parfois vers de rigoureuses reconstructions abstraites d'origine néo-plastique, mais qui, plus souvent, tendait à une récupération de l'image-objet, qui s'introduit dans le répertoire du Second Futurisme et en devient un élément important. Le mythe de la " modernité " et de la technique, cher aux futuristes de la première génération, trouve sa concrétisation dans l'objet-emblème du " moderne ", la machine, mais aussi dans l'homme-robot. Le mécanisme de l'absurde, la causalité d'un univers parfaitement technique viennent doubler — et souvent remplacer — l'élément apologétique. Les prémisses posées par Marinetti quand, dans le manifeste du Teatro di varietà (le Music-Hall, 1913) il insistait sur la valeur libératrice et culturelle du rire, trouvent leur parfaite expression dans ce monde automatique. Deux manifestes suivirent : Ricostruzione futurista dell'universo (1915), signé par Balla et Depero, et le Manifesto dell'arte meccanica (1923), signé par Prampolini, Pannaggi et Palaolini. Ces mêmes années, Severini, Depero et Sironi animent et désarticulent dans leurs toiles des hommes-robots tubiformes, tandis que Balla reconstruit son univers lumineux dans des Paysages printaniers semblables à de miroitants jouets en matière plastique. Un courant inquiétant d'art fantastique naissait au cœur même d'un univers issu de certitudes technologiques rassurantes. En même temps, la " reconstruction futuriste de l'Univers " développait l'utopie d'un nouvel espace urbain — aspect qui a été le sujet d'une vaste rétrospective organisée à Turin par E. Grispolti (Ricostruzione futurista dell'universo, Turin, 1980).

   Ce même univers engendrait pourtant aussi l'Aeropittura, dont le manifeste, lancé en 1929, était un produit direct des théories de Marinetti, encore agissantes et en particulier sur le groupe romain. L'aéropeinture, " expression de l'idéalisme cosmique ", voulait être la glorification du symbole le plus frappant de la modernité, l'aéroplane, et, par son intermédiaire, une apothéose de ton presque mystique, célébrant à la fois la " spiritualité de l'aviateur " et celle de personnages-symboles du régime fasciste (le Constructeur). Effleurant toujours de plus près la glorification mystique, Marinetti, en 1929, dédiait à Mussolini les derniers vestiges du Futurisme en lançant le Manifesto dell'arte sacra futurista.