Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
D

Dufresne (Charles)

Peintre français (Millemont, Yvelines, 1876  – La Seyne-sur-Mer, Var, 1938).

Graveur en médailles, assistant d'Alexandre Charpentier, il exécuta d'abord (1906-1910) des croquis de mœurs, de nombreux pastels (Paris, musée Carnavalet ; musée de Gray), tout en menant la vie aimable d'un " canotier ". Il se lia avec Dunoyer de Segonzac v. 1903 et avec le graveur américain Herbert Lespinasse, qui, la même année, fut son compagnon de voyage en Italie (Assise, Rome, Naples, Paestum). Une bourse lui permit d'effectuer, de 1910 à 1912, un séjour à Alger qui fut capital pour son évolution ; il découvrit en Algérie la lumière et la couleur et adopta, en 1911, la peinture à l'huile (le Patio, 1912, Paris, M. N. A. M.). Mobilisé en 1914, gazé, il termine la guerre dans la section de camouflage de Dunoyer de Segonzac, avec la Fresnaye, Despiau, le poète Vildrac. De 1918 à 1924, Dufresne subit l'influence de Cézanne et du Cubisme ordonné de La Fresnaye, s'exprimant dans un style ample et simplificateur, au coloris sourd, qui présente l'une des premières, mais brèves, contributions au Réalisme expressif de l'immédiat après-guerre (le Plâtre, 1918 ; Maternité, 1920, Paris, musée d'Art moderne de la Ville de Paris ; Autoportrait, 1924, musée d'Alger). Il fit sa première exposition personnelle, en 1922, à Paris, gal. Barbazanges. À partir de 1925 environ, délaissant le modernisme, il suivit la leçon de Delacroix et du Baroque vénitien en exploitant, à la manière de Delacroix, ses souvenirs algériens (le Marché d'esclaves, 1925, Paris, M. N. A. M.). En 1921, fut chargé des décors et des costumes du ballet Antar pour l'Opéra et, en 1924, Louis Sue et André Mare lui demandèrent un carton de tapisserie, Paul et Virginie ; il participa à la décoration du palais de Chaillot à Paris en 1937 (le Théâtre de Molière) et, en 1938, termina, peu avant sa mort, 5 peintures murales pour la faculté de pharmacie de Paris.

   Ces différents travaux portent la marque du Cubisme éclectique et décoratif qui s'était imposé à partir de 1925. L'artiste est bien représenté à Paris (M. N. A. M.) et en Province (musées d'Avignon, de Grenoble et d'Art moderne de Troyes, donation Lévy). En 1987-88, le M. A. M. de Troyes lui a consacré une importante rétrospective.

Dufresnoy (Charles-Alphonse)

Peintre et théoricien français (Paris 1611  – Villiers-le-Bel, [auj. Val-d'Oise], 1668).

Élève de Perrier et de Vouet, Dufresnoy partit en 1633 pour Rome, où il devait se lier d'une amitié durable avec Pierre Mignard. En 1655, il regagne Paris après un séjour de dix-huit mois à Venise. Sa Sainte Marguerite peinte pour l'église homonyme à Paris (1656, auj. au musée d'Évreux ; dessin préparatoire à l'Albertina de Vienne, qui est un des rares tableaux de l'artiste parvenu jusqu'à nous, réinterprète celle de Raphaël (Louvre) dans un style qui doit autant à Mignard qu'au Dominiquin. Mais les 2 tableaux de Potsdam (Sans-Souci), Vénus à Cythère et Vénus et les Amours (1647), détruits pendant la dernière guerre, s'ils doivent beaucoup à Poussin, sont des œuvres de belle qualité, d'un classicisme qui évoque l'Albane. Dufresnoy est l'auteur d'une Mort de Lucrèce (Kassel), d'une Mort de Socrate (Offices) et d'un Renaud qui hante Armide (coll. part.). Nombre de ses dessins passèrent longtemps pour des œuvres de Poussin, artiste dont il exploite souvent les inventions ; ils ont été regroupés en 1994 sous le nom provisoire de " Maître de Stockholm ". Le théoricien (De arte graphica, paru en 1668 dans la traduction française de Roger de Piles, augmentée des remarques de ce dernier) joua un rôle capital dans l'élaboration de la critique d'art en France au XVIIe s.

Dufy (Raoul)

Peintre français (Le Havre 1877  –Forcalquier 1953).

Son enfance se passe au Havre, dans une famille très musicienne, ce qui expliquera le choix de nombreux thèmes de son œuvre. Dès quatorze ans, il doit travailler dans une maison d'importation, mais suit, à partir de 1892, les cours du soir du peintre Lhuillier à l'école municipale des beaux-arts du Havre, où il rencontre Othon Friesz. Ses premières admirations vont à Boudin, découvert au musée local, et à Delacroix, dont la Justice de Trajan (musée de Rouen) lui " fut une révélation et certainement une des impressions les plus violentes " de sa vie. En 1900, trois ans après Friesz, Dufy obtient une bourse municipale pour aller travailler à Paris. Inscrit à l'E. N. B. A. (atelier Bonnat), il s'intéresse surtout aux impressionnistes, en particulier à Manet, Monet, Pissarro, qui l'influencent, et aux postimpressionnistes, surtout à Lautrec, dont le trait incisif l'enthousiasme. Il commence à obtenir un certain succès, que son nouveau style, de 1904 à 1906 environ, va provisoirement éclipser. Pendant cette période, Dufy et son ami Marquet travaillent, côte à côte et dans des styles voisins, à Fécamp, à Trouville et au Havre. La Rue pavoisée et les Affiches à Trouville (1906, Paris, M. N. A. M.) sont, par la touche, la couleur et les thèmes, des toiles fauves, mais d'une sensibilité encore impressionniste. Dufy date lui-même de 1905, avec la découverte au Salon d'automne de Luxe, calme et volupté, de Matisse, sa propre évolution vers une peinture nouvelle : " Le réalisme impressionniste perdit pour moi son charme, à la contemplation du miracle de l'imagination traduite dans le dessin et la couleur. " Jeanne dans les fleurs (1907, musée du Havre) trahit une nette influence de Matisse ; puis la grande rétrospective Cézanne (1907), le voyage fait avec Braque à l'Estaque l'année suivante renforcent chez lui un besoin de structure qui ne l'entraîne pourtant pas jusqu'au Cubisme (Arbres à l'Estaque, 1908, Paris, M. N. A. M.). La grande vivacité de couleurs jointe à un graphisme net de la Dame en rose (1908, id.) fait également penser à Van Gogh et n'est pas sans évoquer l'Expressionnisme allemand, vraiment connu de l'artiste l'année suivante au cours du voyage fait avec Friesz à Munich.

   Autour de 1909, l'art de Dufy s'allège, s'empreint de grâce et d'humour, avec déjà quelque agrément décoratif dans l'agencement des taches et des silhouettes (le Bois de Boulogne, 1909, musée de Nice ; le Jardin abandonné, 1913, Paris, M. N. A. M.).

   Après avoir illustré de bois gravés plusieurs livres de ses amis poètes (Bestiaire d'Orphée d'Apollinaire, 1910), Dufy s'intéresse à l'art décoratif ; il fonde avec l'aide du couturier Paul Poiret (1911) une entreprise de décoration de textiles, dessine des tissus (de 1912 à 1930) pour la maison Bianchini-Ferrier. En 1920, il exécute avec Fauconnet les décors du Bœuf sur le toit (texte de J. Cocteau, musique de D. Milhaud) ; enfin, il s'affirme décorateur autant que peintre en exposant régulièrement, à partir de 1921, au Salon des artistes décorateurs, en exécutant des fontaines et des projets de piscines avec le céramiste Artigas ou en décorant (1925) les trois célèbres péniches de Poiret : Amours, Délices et Orgues.

   Après la guerre, à partir des grandes compositions de Vence en 1919 (musées de Chicago et de Nice), la peinture de Dufy s'épanouit dans son style définitif. Il superpose désormais, selon une formule à laquelle il restera attaché, un dessin vif, baroquisant et comme " bouclé " d'arabesques, à des " plages " de couleurs pures délimitées avec un arbitraire apparent, le trait et la couleur étant parfaitement autonomes. D'où le choix des thèmes où il peut opposer un fourmillement mouvementé, traduit par le graphisme, à une unité ambiante assurée par ses aplats de couleurs vives : tout ce qui est mouvement ponctué sur un espace calme, pelouse, plan d'eau, canotiers sur la Marne (Fête nautique au Havre, 1925, M. A. M., Ville de Paris ; Nogent, pont rose et chemin de fer, v. 1933, musée du Havre), champ de courses (Courses à Epsom, v. 1935, M. A. M., Ville de Paris). Après la guerre, il abandonne la gravure sur bois pour la lithographie et pratique de plus en plus l'aquarelle ; en 1935, il adopte un nouveau médium : les couleurs mises au point par le chimiste Maroger, qui lui permettent d'obtenir la légèreté et la fraîcheur de l'aquarelle. L'aboutissement de ces années de recherches décoratives est, en 1937, la Fée Électricité, décoration gigantesque pour un pavillon de l'Exposition internationale, où la fantaisie dans le détail, imprévue dans un sujet sévère, se tempère de rigueur dans la composition générale (Paris, M. A. M. de la Ville).

   À la fin de sa vie, Dufy tend vers un plus grand dépouillement, où son enjouement s'enrichit d'une intensité nouvelle : la série des Ateliers (1942), des toiles presque monochromes (la Console jaune, 1947 ; le Violon rouge, 1948). En 1952, un an avant sa mort, il reçoit le Grand Prix international de peinture à la XXVIe Biennale de Venise. On ne saurait omettre dans sa longue carrière ce qui, pour beaucoup, semble constituer le meilleur de son œuvre : ses dessins à la plume et au crayon gras, où se déploient sa fermeté, sa concision, sa vivacité et son humour (un grand nombre au M. N. A. M. de Paris). Dufy fut, entre les deux guerres, le " reporter " visuel amusé des spectacles offerts par un monde pacifié et jouisseur, tantôt naturel (champs de blé, moutonnement des vagues), tantôt mondain (plages, régates, ports, salle de concert).