Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
C

Cruz (Manuel de la)

Peintre espagnol (Madrid 1750  – id. 1792).

Madrilène, neveu de Ramón de la Cruz, auteur dramatique notamment des Saynètes sur la vie madrilène, il étudia à l'Académie de San Fernando dont il devint académicien en 1789. À l'instar de son oncle, la vie contemporaine l'a beaucoup inspiré : la plus connue de ses scènes populaires est La Plaza de la Cebada (Madrid, Musée municipal). Dans ce domaine du " costumbrismo ", son apport le plus important est l'ensemble de dessins (Madrid, B. N., Musée municipal), gravés par son oncle Juan de la Cruz Cano pour la Colección de Trajes de España, costumes d'Espagne (1777-78). Comme Paret, il peignit aussi des vues de ports ; son œuvre religieuse, d'un niveau honorable, compte les saints décorant les pendentifs de la vieille cathédrale de Carthagène (1789, disparus en 1936) et sa participation en 1790 avec d'autres peintres contemporains, dont Bayeu et Goya, au décor de San Francisco el Grande à Madrid (huit scènes de la vie de saint François).

Cruz (Marcos da)

Peintre portugais (actif de 1648 à 1674).

Il se forma peut-être à Séville. Son œuvre, dispersée parmi les églises de Lisbonne, disparut en partie lors du tremblement de terre de 1755. Les Vie de saint François d'Assise et Vie de saint Antoine de Padoue, qui subsistent encore dans l'église du Jésus (Lisbonne), manifestent, dans la technique du dessin, dans le jeu du clair-obscur et dans les tonalités, l'influence de Murillo. Au palais des ducs de Bragance (Vila Viçosa) sont également conservés 10 panneaux signés, consacrés aux Scènes de la vie de la Vierge. Marcos da Cruz fut le maître de Bento Coelho da Silveira.

Csontváry (Mihaly Tivadar Kosztka, dit)

Peintre hongrois (Kisszeben  1853  – Budapest  1919).

Pharmacien à Igló, il commença à peindre en 1880 sous l'effet d'une crise de mysticisme. En 1894, il abandonna sa profession pour étudier la peinture à Munich chez Hollósy, puis à Paris, où il fréquenta l'Académie Julian (1896). Mais ces expériences, de courte durée, n'ont pas laissé de trace dans ses œuvres. Peintre de plein air, il évoquait sur la toile, dans un style naïf et très coloré, les visions poétiques que lui suggéraient les " grands motifs " recherchés au cours de ses voyages en Afrique et au Proche-Orient (Clair de lune à Taormina, 1901 ; Promenade en voiture à Athènes, 1904). En marge de la production artistique, il reflète dans son univers pictural étrange certaines aspirations de la peinture moderne (Orage à Hortobagy, 1903). Mort dans l'indifférence et la misère, il n'eut d'influence importante sur les jeunes peintres qu'après 1945. Un grand prix à l'exposition de Bruxelles (1958) consacra l'originalité de ce " Douanier Rousseau " de l'Europe orientale. L'essentiel de son œuvre se trouve dans une collection particulière, mais est exposée par roulement à la G. N. H. de Budapest, où a eu lieu, en 1958, une vaste rétrospective, suivie par celle de Belgrade en 1963.

cubisme

 

Les débuts du Cubisme. Picasso et Braque

" Quand nous avons fait du Cubisme, a dit Picasso, nous n'avions nullement l'intention de faire du Cubisme, mais seulement d'exprimer ce qui était en nous. " Qui eût pu en effet prédire l'importance qu'allait avoir ce groupe de 5 nus féminins, connu depuis sous le nom de Demoiselles d'Avignon (New York, M. O. M. A.), que Picasso entreprit de peindre en 1906, à peine sorti de sa " période rose " ? Comme dans cette dernière période, les corps étaient au début peints à plat presque sans modelé, mais, durant l'hiver de 1906-1907, l'artiste se proposa brusquement d'y suggérer le volume sans pour autant recourir au clair-obscur traditionnel. Pour cela, après bien des essais, il finit par remplacer les zones d'ombre par de longs traits de couleurs parallèles, dans le traitement du moins des deux figures de droite, l'œuvre restant en partie inachevée.

   Le jeune peintre fauve Georges Braque, amené chez Picasso par Apollinaire, en fut lui-même médusé. " Mais, malgré tes explications, lui aurait-il dit, ta peinture, c'est comme si tu voulais nous faire manger de l'étoupe ou boire du pétrole. " Il ne resta pourtant pas insensible au problème posé et chercha lui-même à le résoudre, de manière assez semblable, dans le grand Nu qu'il peignit peu après, durant l'hiver de 1907-1908 (Paris, coll. part.).

   On a beaucoup parlé au sujet de ces œuvres de l'influence que l'art nègre aurait exercée sur ces deux artistes, et il est certain que, à la suite de Vlaminck, de Derain et de Matisse — qu'ils connaissaient bien —, Picasso et Braque se passionnèrent à leur tour pour cet art, dont la liberté plastique les fascinait. S'il est vrai qu'on peut découvrir parfois une certaine similitude d'aspect entre tel masque nègre et telle étude pour les Demoiselles, par exemple, la comparaison raisonnée des moyens techniques utilisés dans les deux cas rend toutefois improbable toute influence directe.

   En fait, s'il est exact que le problème résolu par Picasso était bien celui d'une nouvelle figuration des volumes sur une surface plane — et il semble difficile de le nier —, il se trouvait posé d'une manière bien plus aiguë dans les œuvres de Cézanne, celles des dix dernières années de sa vie en particulier, et il est au demeurant significatif que l'exposition rétrospective consacrée au maître d'Aix en octobre 1907 par le Salon d'automne ait constitué pour les jeunes fauves et futurs cubistes une véritable révélation. La solidité des formes cézanniennes, contrastant fortement avec les brouillards colorés de l'Impressionnisme, répondait en effet d'avance à leurs propres préoccupations. Cette influence semble toutefois s'être exercée moins sur les données mêmes du problème que sur les moyens pratiques de le résoudre. Ce que Picasso et Braque retinrent surtout de la leçon de leur aîné, ce fut la volonté de rendre aux objets leur solidité et leur densité, qui s'étaient peu à peu évanouies dans la recherche trop exclusive des effets lumineux.

   Le premier dans ses Natures mortes (Philadelphie Museum of Art, coll. A. E. Gallatin) et dans ses Paysages de la Rue-des-Bois, le second dans ses Vues de l'Estaque (New York, M. O. M. A.) cherchent tous deux, en 1908, à retrouver, surtout, la forme durable des objets en éliminant les détails accidentels et en dégageant très nettement les principaux solides : polyèdres, cylindres, cônes. On a voulu en trouver la raison dans la lettre de Cézanne à Émile Bernard du 15 avril 1904 (" Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône... "), mais c'était oublier que son auteur y parle aussi de " faire sentir l'air ", un air qui est justement totalement absent dans leurs œuvres, les deux artistes relevant la ligne d'horizon et limitant le cube scénographique de manière à éliminer toute expression atmosphérique. L'éclairage y est réduit à un clair-obscur plus idéal que réaliste, qui modèle les volumes sans tenir compte des reflets ou des variations d'intensité de la source lumineuse. Quant à la couleur, loin d'être " à sa richesse ", elle est provisoirement sacrifiée à l'expression des volumes.

   Bien que ce procédé ait déjà été employé par Cézanne dans certaines de ses œuvres, l'introduction en 1909 de passages, c'est-à-dire de légères interruptions de la ligne de contour, va accentuer l'originalité de la tentative de Picasso et de Braque. Pour eux, en effet, il ne s'agit pas de " points de contact " entre représentation linéaire et représentation colorée, mais d'une manière nouvelle d'atténuer les effets trop continus d'ombre et de lumière créés par le clair-obscur le long des arêtes des volumes. Pour la même raison, d'ailleurs, Picasso se met à rompre les grands volumes en les fragmentant en une série de volumes plus petits qui lui permettent de faire jouer à son gré l'éclairage des objets représentés (Femme aux poires, Chicago, coll. Samuel A. Marx ; Femme assise, Paris, M. N. A. M. ; Jeune Fille nue, Moscou, musée Pouchkine).

   L'étude des volumes cède ainsi progressivement la place à celle des plans, qui permet à la fois de mieux respecter la vérité de l'objet et de limiter considérablement le clair-obscur afin d'obtenir des éclairages mieux maîtrisés, mais le passage d'une technique à l'autre se fait de manière purement expérimentale et par approximations.