Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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symbolisme (suite)

Les symbolistes néerlandais

Ils se rattachent à l'école belge, car ils exposèrent régulièrement au Salon de la Libre Esthétique. Jean Toorop mêla à son introspection continuelle la nostalgie des sagas nordiques et des souvenirs magiques javanais (les Trois Fiancées, 1892-93, Otterlo, Kröller-Müller). Il incline, sous l'influence de Redon et d'Ensor, vers des œuvres plus anxieuses et dépravées (les Rôdeurs, id.), mais rejoint Beardsley ou la Sécession par son souci du graphisme géométrique et de la stylisation curviligne. Il influença profondément Johan Thorn-Prikker, dans les compositions de qui on retrouve le même jeu décoratif de lignes courbes et des raffinements semblables de matière (Chérubins, 1892, id.). Toorop et Thorn-Prikker se convertirent au catholicisme et pratiquèrent, dès lors, un Symbolisme purement chrétien (Thorn-Prikker, la Madone des tulipes, 1892, id.).

Les rêves nordiques

Toute l'Europe a ressenti la sollicitation du Symbolisme et les pays scandinaves plus que tout autres. L'importante exposition Lumières du Nord (Paris, Petit Palais, 1987) a souligné l'ampleur de ce mouvement en Scandinavie dans les années 1890. Les artistes nordiques y projettent leur amour des anciennes mythologies de l'Edda, psalmodiées par les bardes et leur redécouverte du Kalevala. D'autre part, le Symbolisme imprègne l'œuvre des dramaturges Bjoernson, Strindberg et Ibsen, dont l'influence sera très grande sur le monde artistique. En fait, plus qu'ailleurs, la plupart des peintres chargent leurs œuvres d'un poids symbolique qui est dû à la transparence nette de la lumière sur des paysages souvent vides et à l'affrontement constant de l'homme et de la nature, mais ils y mêlent souvent le vérisme de la vie quotidienne et des traditions folkloriques. Quelques grandes figures symbolistes s'imposent par leur quête d'un ailleurs, intérieur ou légendaire. Au Danemark, Jens Ferdinand Willumsen peint des paysages de montagnes, à facettes froides comme des glaciers (Jotunheim, 1893, Frederikssund, musée Willumsen), et Vilhelm Hammershøi oppose subtilement ses noirs et ses blancs dans ses paysages stricts et ses intérieurs vides aux figures immobiles (Cinq portraits, 1901, Stockholm, Thielska Galleriet), qui influenceront Ejnar Nielsen, pétri d'angoisse et de morbidité ; en Finlande, Akseli Gallen-Kallela exécute des paysages spiritualistes (Hiver, 1902, Helsinki, Ateneum), d'étranges évocations de l'épopée finnoise (la Mère de Lemminkäinen, 1897, id.) et pose le problème du symbolisme artistique dans son tableau clé Symposion (1894). Son œuvre, très bien étudiée en 1984, a influencé les recherches primitivistes de Juho Rissanen et de Pekka Halonen, mais aussi les miniatures de Hugo Simberg, d'un mysticisme à la naïveté voulue. Magnus Enckell et Ellen Thesleff seront, par contre, à Paris, en 1891, très marqués par le Symbolisme français et Puvis de Chavannes. En Norvège, Edvard Munch, peintre déjà expressionniste par sa technique, reste essentiellement symboliste par le message désespéré qu'il hurle dans ses toiles (le Cri, 1893, Oslo, Ng) ou confie en sourdine (Puberté, v. 1895, id.). Ses gravures sur bois ont une grande force d'émotion dramatique (Madone). Ses paysages angoissants rejoignent ceux de Kitty Kielland et ceux de Harald Sohlberg, d'une inspiration plus mystique (Nuit, 1904, musée de Trondheim). Gerhard Munthe, plus proche des traditions folkloriques, exprime dans ses gravures et ses cartons de tapisseries toute la mélancolie fruste des temps passés. Les artistes suédois, Richard Bergh (Soir d'été nordique, 1899, musée de Göteborg) et le prince Eugen, vont préférer des paysages plus nostalgiques et mystérieux, caractéristiques du " romantisme national ", tandis que Gustav Fjaestad s'oriente vers l'Art Nouveau, August Strindberg vers l'Abstraction et Ernst Josephson vers un Surréalisme religieux, proche d'Ensor.

Le Symbolisme germanique

Les artistes du premier Symbolisme germanique se rattachent encore au Romantisme, à l'inspiration lyrique née des légendes des Nibelungen et du Walhalla et au souffle wagnérien, célébré par Louis II de Bavière, qui leur a redonné vie. Ce sont Moritz von Schwind (fresques du château de Hohenschwangau), E. J. von Steinle, Anselm Feuerbach (Au printemps, 1868, Kiel, Kunsthalle) ou Hans Thoma (la Nymphe de la source, 1888, Stuttgart, Staatsgal.). Bien des peintres allemands ont été ensuite attirés par le Symbolisme, mais ils l'ont abandonné très vite pour l'Expressionnisme coloré de Die Brücke ou l'esthétique abstraite de Der Blaue Reiter, exposée par Wassily Kandinsky dans Du spirituel dans l'art. Quelques-uns, au contraire, comme Marcus Behmer, Thomas Theodore Heine, Riemerschmid ou Emil Pretorius, l'accentuèrent dans les recherches exacerbées du Jugendstil. Otto Eckmann, visionnaire néo-idéaliste et maître du style floral, fonde en 1894 la Libre Association avec Corinth et Slevogt, puis à Munich, en 1896, la revue Jugend. Les peintres sont soutenus par les poètes berlinois Arno Holz et Richard Dehmel, par le cénacle du Charon d'Otto zur Linde (1904), par Hugo von Hofmannsthal et les esthètes viennois et surtout par Stefan George, le solitaire de Bingen, dont la méditation hermétique animait la revue Blätter für die Kunst. Ils furent aussi influencés par la pensée de Rainer Maria Rilke, par les découvertes de Freud et le développement à Vienne de l'école de psychopathologie. Ils purent s'exprimer dans les illustrations et les affiches de plusieurs revues nouvelles : Jugend, Pan, Fliegende Blätter et Simplicissimus, fondé en 1896 par Hans Thoma. L'Autrichien Koloman Moser dessinera de même pour Ver Sacrum. Ces artistes purent enfin se manifester dans les différentes expositions de la Sécession qui se succédèrent à Vienne, à Berlin et à Munich. Max Klinger, porte-parole du Symbolisme dialectique, peignit des évocations dionysiaques (le Soir, 1882, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum) et de vastes toiles allégoriques, pompeuses et illuminées (le Christ dans l'Olympe, 1897, Leipzig, Museum der bildenden Künste), où il tente, en formes tendues, la synthèse idéaliste des philosophies grecque et chrétienne, mais il exécuta aussi des eaux-fortes d'un surréalisme cruel (l'Incube). Il fut rejoint dans son goût pour le cauchemar par son ami le graveur Otto Greiner (la Tentation). Le dessinateur Alastair créa aussi des illustrations aux fantasmagories étranges (Ashtaroth, 1916, pour le Sphinx d'Oscar Wilde), tandis qu'Alfred Kubin, peintre et graveur, garde une place à part et privilégiée dans le domaine de la névrose exacerbée et des visions hallucinées (la Morte). À l'opposé, Fritz von Uhde recherche dans le symbolisme social une inspiration religieuse nouvelle (Viens, Seigneur Jésus, sois notre hôte, 1885, Berlin, Nationalgalerie) qui réapparaît dans le pré-expressionnisme de Louis Corinth (Descente de Croix, 1895, Cologne, Wallraf-Richartz Museum). Tandis que Ludwig von Hofmann se souvient de Puvis de Chavannes dans ses élégies aux scintillements colorés (Danse printanière, 1904, Brême, Kunsthalle), Hans von Marées entremêle réalisme et évocations antiques (les Hespérides, Munich, Neue Pin.). Il aime évoquer le rapport de l'homme avec la nature (Dans la forêt au crépuscule, 1870, Brême, Kunsthalle) et exalte dans ses fresques de l'Institut zoologique de Naples (1873) le repos méditatif à la manière des Le Nain. Franz von Stück s'attache aux apparitions violentes, aux visages pervers de femmes glacées entourées de serpents métalliques (le Péché, 1893, Munich, Neue Pin.), aux faunes lubriques. Son symbolisme Sécession, très stylisé, trahit une présence très forte de sexualité. Carlos Schwabe, à la bizarre personnalité sensible et lyrique, émigra à Paris, où il mourut, après avoir été un des chevaliers de la Rose-Croix (la Mort du fossoyeur, 1895-1900, Louvre, cabinet des Dessins). Gustav Klimt a su créer un style symboliste personnel, jouant à la fois avec les idées, les lignes et la matière. Il juxtaposait en kaléidoscope des facettes colorées scintillantes : la salle à manger de l'hôtel Stoclet, à Bruxelles, s'orne ainsi de figures lovées en étreintes profondes, aux harmonieuses marqueteries brillantes (le Baiser), dont les esquisses se trouvent à Vienne et à Strasbourg. Ses visages de femmes immobiles, ses allégories polychromes sont de sensuelles et envoûtantes icônes (Salomé, 1901, Vienne, Österr. Gal.).