Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
P

Pontormo (Iacopo Carucci, dit)

Peintre italien (Pontormo 1494  – Florence 1556).

Pontormo est la personnalité dominante de la peinture florentine v. 1520, après le départ de Raphaël et de Michel-Ange, opposant aux solutions classiques de Fra Bartolomeo et de son école un art tendu, contrasté, aux effets imprévus et étranges. Très tôt présent à Florence, il a peut-être connu Léonard de Vinci. Après un passage dans les ateliers de Piero di Cosimo et d'Albertinelli, il entre en apprentissage chez Andrea del Sarto (1512-1514), dont il imite tout d'abord le style narratif et les rythmes bien ordonnés (fresque avec la Madone et quatre saints provenant de S. Ruffilo, v. 1514, auj. à la SS. Annunziata, et Visitation, 1514-1516, fresque dans l'atrium de la même église) ; puis, en 1515-18, il participe, avec quatre panneaux, à l'ensemble réalisé par Andrea del Sarto, Bachiacca et Granacci pour la famille Borgherini : Histoire de Joseph (Londres, N. G.). Il exécute peu après son premier tableau d'autel pour S. Michele Visdomini à Florence, brisant le cadre convenu des " sacre conversazione " en superposant de longues courbes aux inflexions subtiles (Madone et cinq saints, 1517-18). L'emprise de plus en plus marquée de l'art de Michel-Ange, préconisant une peinture claire, valorisée par le contour, est surtout sensible à cette date dans ses dessins, inspirés à plusieurs reprises par les nus de la Bataille de Cascina. On a tenté d'y voir la preuve d'un voyage de Pontormo à Rome v. 1520 pour y étudier le plafond de la Sixtine, voyage précédant le séjour, plus certain, de 1539.

   La faveur du cardinal Ottaviano de' Medici lui vaut d'être appelé à décorer la grande salle d'entrée de la villa de Poggio a Caiano, ensemble commandé par le pape Léon X en mémoire de son père, Laurent le Magnifique, et réunissant les noms d'Andrea del Sarto, de Franciabigio et de Pontormo, responsable des deux lunettes se faisant face, percées d'un oculus. À la mort de Léon X (1521), le projet inachevé était abandonné. Pontormo n'avait réalisé qu'une seule des deux lunettes (Vertumne et Pomone), mais avait donné au maniérisme florentin sinon son chef-d'œuvre, du moins l'expression la plus libre et la plus heureuse de sa fantaisie décorative en d'élégantes arabesques d'un graphisme serein et dépouillé, détachant des harmonies rares sur un fond clair.

   Dans le cloître de la chartreuse de Galluzzo, près de Florence, il peint un cycle de six fresques sur le thème de la Passion (1522-1524), complété plus tard par une toile, les Disciples d'Emmaüs (1525, Offices ; l'ensemble en mauvais état est détaché et conservé au musée de la chartreuse.

   Au-delà de l'inspiration durérienne, évidente et souvent notée, l'ensemble frappe par sa force dramatique, l'allongement des silhouettes crispées, l'exaspération de la ligne, portée à son plus haut degré de vibration. Même tension dans la Déposition de S. Felicità de Florence (v. 1526-27 ; ce tableau d'autel est complété par une admirable décoration avec l'Annonciation, à fresque, et les Évangélistes, exécutés avec la collaboration de Bronzino, 1526-28), aux harmonies singulières où n'apparaissent ni croix ni tombeau, mais seulement des figures hallucinées et comme privées de poids, dans lesquelles la douleur s'exprime en élans de tendresse. La Visitation de l'église de Carmignano, dans les environs de Florence (v. 1528), détache quatre personnages au lieu des deux traditionnels sur fond de perspective architecturale, en un bloc ondulant dans des tons de rouge et de jaune décolorés. Rythmes agités, figures instables, lignes brisées se retrouvent dans le Martyre des Dix Mille, peint pour l'hôpital des Innocents de Florence (v. 1529-30, Offices), très marqué par l'art de Michel-Ange. Le portrait d'Alessandro de' Medici (v. 1525, musée de Lucques) prélude à une série de figures longues, lisses, aux poses compliquées, détachées en clair sur un fond neutre : Portrait de Cosimo 1er en hallebardier (v. 1527-28, Los Angeles, The Paul Getty Museum). Il ne reste pas trace, hormis les projets dessinés, des réalisations décoratives de Pontormo aux villas de Careggi (1535-36, pour Alessandro de' Medici) et de Castello (1537/38-1543, pour le duc Cosimo). Réparties sur les murs des loggias ouvertes de part et d'autre du cortile d'entrée, elles étaient consacrées à des allégories des Vertus et des Arts libéraux. Deux tapisseries de l'Histoire de Joseph (Rome, palais du Quirinal), exécutées sur ses cartons (v. 1546-1553), dans une série de 20 scènes commandées à Pontormo, à Bronzino et à Salviati par le duc Alessandro pour le Palazzo Vecchio, témoignent néanmoins du caractère monumental du style tardif de l'artiste, qui trouvera sa forme la plus achevée dans la grande entreprise des dix dernières années : les fresques de S. Lorenzo (entre 1546 et 1556). L'ensemble commandé par la famille des Médicis était développé en 2 registres sur les 3 murs du chœur. Laissé inachevé par Pontormo et terminé par Bronzino, il fut détruit au XVIIIe s. De surprenants enchevêtrements de nus relataient les scènes de la Chute, du Déluge, de la Résurrection. Le programme général n'est connu que par les descriptions anciennes (Vasari) et le Journal du peintre (Florence, B. N.), qui mentionne les travaux de S. Lorenzo au cours des deux années qui précèdent sa mort. Sorte d'ultime et rigoureuse manifestation du style tardif de Pontormo, cet ensemble, dont l'ampleur apparaît comme un écho des recherches de Michel-Ange à la chapelle Sixtine, ne nous est parvenu qu'à travers une suite de plus de 30 projets dessinés, la plupart à la pierre noire (aux Offices, notamment), faisant éclater une force plastique et une tension dramatique qui échappèrent totalement à la compréhension des contemporains de l'artiste et témoignent de son isolement.

   La carrière solitaire de Pontormo, le caractère personnel de ses recherches, parallèles à celles de Rosso, excluent toute notion d'atelier. L'artiste eut des imitateurs (Naldini, Poppi), mais peu d'élèves, à l'exception de Bronzino, dont le faire précieux et froid prolongera fort avant dans le siècle la " maniera fiorentina ". Certaines œuvres de Jacopino del Conte, de Vasari, de Salviati, en reprenant des éléments semblables, ne constitueront parfois que des commentaires aux propres réalisations de Pontormo.