Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Carpeaux (Jean-Baptiste)

Peintre et sculpteur français (Valenciennes 1827  – Courbevoie 1875).

Arrivé à Paris en 1842 avec le désir de faire carrière de sculpteur, Carpeaux débuta misérablement. Admis à l'École des beaux-arts en 1844, il fut l'élève de Rude, puis de Duret, et remporta le prix de Rome en 1855. Malgré ses succès, malgré la faveur de Napoléon III, qui l'attira dans son intimité et le combla d'honneurs, sa vie fut pleine d'amertume. Incompris de ses contemporains, déçu dans ses affections, miné par la maladie, il connut bien des découragements. Sculpteur génial, Carpeaux fut aussi un grand peintre. Il confiait : " J'ai barbouillé bien des toiles... j'aime cet art avec passion. " Très tôt, il copia Rubens, Géricault, Delacroix. Pensionnaire à la Villa Médicis, il s'imprégna des fresques de la Sixtine. Il accomplit néanmoins un œuvre peint parfaitement original. Étranger aux concessions, il fouettait sa toile de zébrures sombres et colorées, lui conférant avec ces accents emportés un aspect pathétique : caractère bien assorti à certains sujets (l'Attentat de Berezowski, 1867, Paris, musée d'Orsay), mais qui se retrouve dans les représentations de fêtes (Bal costumé aux Tuileries, 1867, id.).

   Peintre visionnaire des tumultes et des foules vibrantes, il fut aussi un portraitiste pénétrant, laissant de ses familiers et de lui même des images tendres ou cruelles, toujours intenses (la Marquise de Cadore, 1862, musée de Valenciennes). Il devait ce don de la spontanéité et du fugitif à la promptitude de son œil, à la rapidité de son dessin. À tout instant, il prenait des notes, aussi bien dans la rue qu'aux réunions de la Cour. Les peintures nées de ces croquis, avec une apparence voulue d'ébauche et de premier jet, sont, dans un esprit moderne, l'expression même de la vie et du mouvement.

   Le musée de Valenciennes, le château de Compiègne, le Petit Palais et le musée d'Orsay à Paris conservent de belles séries de peintures de Carpeaux.

Carpioni (Giulio)

Peintre italien (Venise 1613  – Vicence 1679).

Il s'orienta très tôt, sans doute après un voyage à Rome, où il aurait connu Poussin, vers une position classique, qui fit de lui une personnalité singulière de la peinture vénitienne du XVIIe s. Son attention s'attache surtout au dessin, dans une recherche formelle toujours plus élaborée, accompagnée toutefois d'une couleur précieuse avec des tons froids et aigres. À partir de 1638, Vicence devient le centre de son activité. Dans cette ville, il exécute les tableaux commémoratifs des podestats, parmi lesquels, en 1651, le Portrait allégorique de F. Grimani à Monte Berico, énorme toile d'ordonnance classique. Un sens de la beauté idéale, non dépourvu d'un subtil charme mélancolique, se fait jour dans quelques portraits surprenants (Autoportrait, Brera ; Musicienne, musée de Vicence), où la précision graphique est accompagnée d'un jeu de timbres aigrelets qui semblent évoquer des images plastiques. Parmi ses décorations à fresque, la plus significative, par le naturel du trait et la limpidité du paysage, est celle de la villa Pagello à Caldogno (Vicence). Ses œuvres les plus caractéristiques sont cependant les tableaux mythologiques (le Règne d'Hypnos, Vienne, K.M. : Triomphe de Silène, Venise, Accademia ; Mort d'Adonis, Dijon, musée Magnin ; Fête de Silène, Bordeaux, M. B. A.), où son sens classique trouve son atmosphère la plus naturelle, même si parfois un expressionnisme plus marqué peut leur donner, de façon inattendue, un convaincant accent dramatique.

Carr (Emily)

Peintre canadien d'origine britannique (Victoria, Colombie-Britannique, 1871  – id., 1945).

Elle étudia d'abord à San Francisco (1889-1894) puis en Angleterre à partir de 1899, à la Westminster Art School, ou à Saint Ives en été. Elle y souffrit notamment d'anémie et devait toujours être en butte à de constants problèmes de santé. Établie en 1905 à Vancouver comme professeur de dessin, elle visita des réserves et des villages indiens de la côte ouest du Canada (1907) et commença à peindre en s'inspirant de la culture indienne.

   Jugeant nécessaire de parfaire sa formation, elle entama de nouvelles études, cette fois à Paris (1910), notamment à l'académie Colarossi. Elle travailla aussi en Bretagne, où il est probable qu'elle rencontra l'artiste néo-zélandaise Frances Hodgkins (1869-1947), et en Suède. De retour à Vancouver, elle entreprit une nouvelle série de peintures, qu'elle exposa en 1912 et 1913 (Potlatch Figure, 1912) mais qui n'eurent aucun succès dans une ville peu préparée à accueillir les tendances les plus neuves de l'art européen. Découragée, E. Carr abandonna alors la peinture jusqu'à ce que l'ethnologue Marius Barbeau remarque et contribue à faire exposer certaines de ses œuvres de 1912 à la N. G. d'Ottawa (1927). Elle recommença à peindre, exposa avec les Sept (1930) et trouva alors l'équilibre de son style (Sky, Forest Landscape II, tous deux v. 1935, Ottawa, N. G. of Art ; Scorned as timber beloved of the sky, 1935, Vancouver, Art Gallery). Peu à peu, elle fut reconnue par le grand public mais sa santé l'obligea à cesser tout travail en 1942-43. Elle laissa une autobiographie, publiée après sa mort (Growing Pains, Toronto, 1946), et un journal (Hundreds and Thousands, The Journals of Emily Carr, id., 1966).

Carrà (Carlo)

Peintre italien (Quargnento, Alexandrie 1881  – Milan 1966).

Autodidacte, il travaille comme décorateur d'abord à Milan, puis à Paris et à Londres. En 1906, il entre à l'Académie de Brera et étudie sous la direction de Cesare Tallone. Il expose, pour la première fois, à Milan en 1908 et se fait connaître par une série de paysages tout imprégnés par la tradition du XIXe siècle lombard, puis fortement marqués par le Divisionnisme ; c'est le début du profond renouvellement de son style (la Sortie du théâtre, Londres, Tate Gal., 1909). Après sa rencontre avec Marinetti, il participe en 1910, avec Balla, Boccioni et Russolo, à la rédaction du Manifeste de la peinture futuriste. Les œuvres de cette période sont très importantes pour l'histoire du Futurisme : les Funérailles de l'anarchiste Galli (1910-11, New York, M. O. M. A. ; Ce que m'a dit le tram, 1911) Commes les autres futuristes, il passe du Divisionnisme au Cubisme (la Galerie de Milan, 1912), puis il cherche par le moyen de la décomposition de la forme et de la " simultanéité des images " à traduire le mouvement : Simultanéité, la femme au balcon (1912). À ce moment, il donne des articles dans la revue Lacerba, puis commence la pratique du collage (Bouteille et verre, 1914, New York, coll. part.), dans laquelle la décomposition des objets laisse une certaine lisibilité à l'image. En 1914, au cours d'un long séjour à Paris, il se lie avec Apollinaire et Picasso : cette période culmine avec le Manifeste interventionniste Fête patriotique , un collage abstrait de 1914, parfait représentant du " cubo-futurisme ", où, dans une composition centrifuge fondée sur des cercles concentriques et des diagonales rayonnantes, en jouant du clair-obscur, Carrà introduit soit par le moyen du collage, soit en les peignant, des lettres, des mots, des chiffres, des bouts de phrases, des onomatopées qui constituent pour lui l'équivalent d'une manifestation avec ses bruits et ses rumeurs et qui représentent l'équivalent pictural des poèmes que Marinetti écrira sous le nom de Mots en liberté futuriste. Il collabore ensuite avec le groupe florentin de La Voce. Une crise intellectuelle l'amène à démissionner en 1915 du mouvement Futuriste de Marinetti : c'est l'époque des œuvres qualifiées par lui d'" antigrazioso " (1916). Il publie dans La Voce des essais sur la peinture ancienne, en particulier Giotto (" Parlata su Giotto ") et Paolo Uccello (" Paolo Uccello costruttore "). Il rencontre alors Giorgio De Chirico et Alberto Savinio à Ferrare en 1916. Il adopte tout en suite l'iconographie et la facture de la peinture métaphysique, mais en lui donnant une coloration particulière (Gentilhomme ivre, 1916). Les tableaux qu'il va réaliser alors (la Muse métaphysique, 1917, ou encore le Fils du constructeur, 1917-1921) connaîtront autant sinon plus que celles de Giorgio De Chirico, une influence considérable sur le plan international, en particulier par l'intermédiaire de la revue Valori Plastici (1918-1921), à laquelle collabore Carrà. En Allemagne, particulièrement, George Grosz, Rudolf Schlichter, Max Ernst, mais aussi Oskar Schlemmer seront particulièrement marqués par ses œuvres. Dès 1919, Carrà évolue en adoptant à la fois des sujets plus traditionnels, paysages ou compositions tirés de la Bible (les Filles de Loth, 1919 ; le Pin au bord de la mer, 1921) et surtout en adoptant un style et une facture volontairement archaïsants. C'est le début d'une période qui durera jusqu'en 1930, que l'on peut qualifier de " réalisme magique " et qui participe bien de ce retour à l'ordre auquel on assiste à l'époque en Europe et dont il est l'un des principaux artisans. Cette recherche aboutit parfois à des compositions qui peuvent paraître arides, à la fois par la simplification de la forme et la sécheresse de la facture. La Maison de l'amour (1922) est à cet égard un exemple carctéristique de cette tendance archaïsante qui peut déboucher sur une maladresse apparente. À partir de 1925, le " réalisme " de Carrà évolue avec utilisation de thèmes plus classiques, composés de natures mortes, de paysages terrestres et maritimes, très solidement construits et où se remarque le souvenir de Cézanne mélangé à une facture naïve issue de la peinture primitive. Mais un tableau comme les Pêcheurs (1929-1935, Milan, Civica Galleria d'Arte Moderna) reste monumental par sa composition et le traitement de ses formes. Carrà poursuivra jusqu'à la fin de sa vie cette veine qui peut le conduire jusqu'au dépouillement total : la Dernière Campagne (1963) montre seulement une plage dénudée avec une maison stylisée à l'extrême et une barque flottant sur la mer. De très nombreuses expositions ont été consacrées à son œuvre, les plus significatives étant celles qui ont été organisées à Milan en 1942, à Brera et au Palazzo Reale en 1962. En 1950, Carrà a obtenu le premier prix de la Biennale de Venise. Une grande exposition rétrospective de son œuvre a été organisée à la Kunsthalle de Baden-Baden en 1987. Ses peintures et dessins ont été présentés (Bergame, G. A. M. ) en 1996.