Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Daumier (Honoré)

 Peintre français (Marseille 1808  – Valmondois 1879).

Fils d'un vitrier de Marseille, il arriva enfant à Paris ; son père, se croyant des dons littéraires, venait y tenter fortune. Daumier manifesta tôt des aptitudes pour le dessin et, après avoir été saute-ruisseau, puis commis de librairie, il convainquit les siens de sa vocation. En 1822, il devint l'élève d'Alexandre Lenoir, qui lui inculqua son amour de l'antique et sa dévotion pour Titien et Rubens. Il préféra vite un travail solitaire à l'Académie Suisse et au Louvre, où il dessina d'après les sculptures grecques et copia les maîtres, habitude qu'il garda sa vie durant. Il gagnait son pain chez un lithographe quand le polémiste Philipon, fondateur de la Caricature, l'engagea. Un dessin, Gargantua (1831), raillant Louis-Philippe, lui valut six mois de prison et une célébrité qui s'affirma en 1834 avec Enfoncé La Fayette, le Ventre législatif et la Rue Transnonain. Ces trois œuvres recèlent déjà tout son art de dessinateur : un trait cursif engendrant un volume, une science de la composition par masses due à son instinct de sculpteur, qui le conduisit souvent à modeler ses figures avant de les dessiner ou de les peindre (Paris, musée d'Orsay, importante série de figures modelées dans la glaise). Son esprit y réside aussi : une intelligence du grotesque dénuée d'acrimonie, une pudeur devant l'outrance qui sublima l'horreur de la Rue Transnonain. La loi de censure de 1835 le contraignit à taire ses opinions républicaines. Il entreprit alors et poursuivit jusqu'à la fin de sa vie son immense œuvre de lithographe, composé de près de 4 000 pièces, parues pour la plupart dans le Charivari, où, soit au travers de célèbres séries (Robert Macaire, 1836-1838 ; les Baigneurs, 1839 ; les Dieux de l'Olympe, 1841 ; les Gens de justice, 1845-1848 ; Locataires et propriétaires, 1848), soit par des dessins indépendants groupés sous les titres d'Actualités ou de Tout ce qu'on voudra, il stigmatisa les fripons, moqua les bourgeois ou, avec une bonhomie avoisinant la tendresse, taquina les humbles.

   Le premier tableau où se révéla son génie de peintre est la République (1848, Paris, musée d'Orsay). Cette esquisse répondait au concours institué par le nouveau gouvernement ; retenue par le jury, elle resta pourtant sans lendemain. Daumier témoigna toujours de son besoin de contact avec la vie, et l'allégorie ne l'inspira guère. À l'aide de thèmes peu variés, avocats, scènes de rue et de chemin de fer, saltimbanques, amateurs et artistes (l'Amateur d'estampes, Paris, Petit Palais), il pénétra avec un sens divinatoire l'homme et sa condition au-delà du réalisme et de l'individu. Dans ce sentiment, il traita quelques sujets religieux (Nous voulons Barabbas, v. 1850, Essen, Folkwang Museum) et ceux que la mythologie ou les fables de La Fontaine lui offrirent. Ses deux sculptures fameuses les Émigrants (1848, Paris, musée d'Orsay) et Ratapoil (1850, id.) concrétisent chacune sa double tentation de peintre classique et baroque. Il fut classique par sa retenue, l'ordonnance mesurée de ses mises en page, où se retrouve souvent le parti pris d'une composition en frise : les Joueurs d'échecs (v. 1863, Paris, Petit Palais), l'Attente à la gare (v. 1863, musée de Lyon), la Parade (v. 1866, Bucarest, musée Simu) et tant d'autres, dont le chef-d'œuvre est le Wagon de IIIe classe (v. 1862, Metropolitan Museum). Il fut baroque par ce qu'il hérita de Rubens, c'est-à-dire le sens de la couleur et d'un rythme endiablé (Nymphes poursuivies, v. 1848, musée de Montréal ; le Meunier, son fils et l'âne, v. 1849, Glasgow Art Gal. ; Silène, v. 1849, musée de Calais), par son goût des contrastes lumineux, qui l'incita à rendre les éclairages artificiels des salles de spectacle (le Drame, v. 1859, Munich, Neue Pin.), par son goût des oppositions de volumes, d'une pâte généreuse aux tons sourds, se détachant sur un fond clair. Il accentua ainsi la puissance plastique de la figure installée devant un décor suggéré (la Blanchisseuse, v. 1863, Paris, musée d'Orsay ; l'Homme à la corde, v. 1858-1860, Boston, M. F. A.). À cette dualité de tendances s'ajouta parfois un caractère visionnaire qui rapprocha Daumier de Goya et exprima son lyrisme, dont il empreint ses souvenirs de théâtre (Crispin et Scapin, v. 1860, Paris, musée d'Orsay) et ses Don Quichotte (id. ; Munich, Neue Pin. ; Otterlo, Kröller-Müller ; Metropolitan Museum). Sa technique picturale fut infiniment variée. Sa touche tantôt grasse, tantôt fluide ou même flochetée évolua sans cesse. Cette diversité nous paraît encore accrue par le fait que nombre de ses peintures (quelque 300 numéros) restèrent inachevées.

   Daumier fut admiré sans réserve par les romantiques, Delacroix, Préault, les assidus de l'hôtel Pimodan, les peintres de Barbizon, Millet en particulier. Il fut loué par la critique (Baudelaire, Banville), mais il demeura mal compris du public. Il vécut sans gloire et mourut aveugle dans une quasi-misère malgré l'aide fraternelle de Corot. Étroitement suivi par les dessinateurs de son temps (Gavarni, Cham le démarquèrent souvent), son influence de peintre fut immense. Elle s'exerça directement sur ses contemporains et sur la génération suivante, Manet, Degas, Monet, Toulouse-Lautrec, Van Gogh, et les derniers échos de l'art de Daumier retentissent encore, avec des sons différents, chez les fauves, les expressionnistes allemands, chez Soutine et chez Picasso.

Dauphin (Charles-Claude)

Peintre français (1620 ? – Turin 1677).

Établi à Turin avant 1655, Dauphin, dans les rares toiles qui sont parvenues jusqu'à nous (les décorations du Palais Royal ont disparu), reprend les types mis à la mode par Simon Vouet, dont il a sans doute été l'élève (Sainte Famille, Nantes, M. B. A. ; Saint Augustin, Turin, San Carlo ; Extase de saint Paul, Turin, Istituto Bancario San Paolo). Dauphin fut le premier peintre du duc de Savoie. Parmi ses portraits, on peut citer celui de Christine de France (Racconigi, château).

Dauzats (Adrien)

Peintre français (Bordeaux 1804  – Paris 1868).

Formé tout d'abord à Bordeaux, auprès du peintre de décors de théâtre T. Olivier, de 1821 à 1822, il travaille à Paris dès 1823, aux décors du Théâtre-Italien avec Blanchard père et Mathis. Il complète ses études dans l'atelier de M. J. Gué, qui l'oriente vers le paysage. À partir de 1827 débute sa collaboration avec Taylor et Nodier, aux Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, pour lesquels il fournit, tout au long de sa vie, un nombre considérable de dessins et d'aquarelles. Fréquentant le Salon de l'Arsenal de Nodier, il entre en contact avec les milieux romantiques, lie amitié avec Delacroix, et débute une carrière de dessinateur et peintre d'architectures au cours de nombreux voyages. En 1830, il accompagne le baron Taylor en Égypte afin d'obtenir le don de l'obélisque de Louqsor pour la France. Il poursuit son voyage jusqu'au Sinaï, périple qu'il relate dans Quinze Jours au Sinaï. En 1835, il participe à la mission en Espagne chargée de constituer le fonds de la " Galerie espagnole " de Louis-Philippe. En 1839, il prend part à l'expédition d'Algérie avec le duc d'Orléans, qui lui fournit le thème de ses cinq grandes aquarelles, le Passage des Bibans (musée du château de Versailles). Il crée, par ailleurs, de nombreuses lithographies pour des revues telles que l'Artiste (de 1833 à 1858), la Mode, l'Illustration, et illustre de multiples ouvrages : le Journal de l'expédition d'Algérie de C. Nodier (1844), le Voyage en Égypte d'A. Rhoné (1864). L'œuvre de Dauzats, constituée de dessins, d'aquarelles et de peintures, révèle un art de la mise en page, une écriture précise, alliés à un traitement contrasté, parfois dramatique, de la lumière et de la perspective qui, outre une valeur documentaire, lui confère une dimension esthétique issue du Romantisme.