Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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paléochrétienne (peinture)

De l'art chrétien primitif, au moins celui du IIe et du IIIe siècle, nous conservons aujourd'hui surtout le témoignage de la peinture. Pendant les deux premiers siècles de son histoire, le christianisme, religion de la Parole révélée, s'était passé d'images. Et si les premières représentations apparaissent peut-être dès la fin du IIe s., sûrement au début du IIIe, c'est plus pour céder aux besoins de la piété populaire que pour répondre à une exigence impérieuse de la spiritualité nouvelle.

   Aussi, la peinture paléochrétienne est, dans ses premières créations, un art populaire qui utilise très largement le langage de l'iconographie et des formes contemporaines : les images chrétiennes ne sont que des expressions particulières d'un art dont l'esthétique triomphe aux derniers siècles de Rome. À la fin du IIe siècle, en réaction contre le classicisme de l'époque antonine, se développe un expressionnisme " populaire " dont témoignent l'œuvre de peintres à Ostie, de mosaïstes en Afrique (Zliten) et, dans le domaine de la plastique, les reliefs de la colonne de Marc Aurèle à Rome. Les artistes s'attachent de moins en moins à rendre les formes, les volumes du corps humain et cherchent en revanche à exprimer une réalité intérieure. Populaire, l'art chrétien l'est aussi dans la mesure où il ne constitue pas alors un art officiel de l'Église. En fait, l'hostilité aux images, héritée de la tradition juive, n'a pas totalement disparu : le concile d'Elvire, dans les premières années du IVe s., interdit encore les représentations divines dans les édifices du culte. Cette méfiance ne signifie pas cependant refus ou indifférence : ainsi, au début du IIIe s., Clément d'Alexandrie, dans le Pédagogue, explique aux fidèles quels symboles doivent être gravés sur leurs anneaux (colombe, pêcheur, ancre...). Si la spontanéité populaire n'a donc pas été étouffée par un programme officiel, on a écarté le libre foisonnement d'initiatives incontrôlées. On comprend ainsi que se soit constituée très rapidement une koinè, une communauté du langage chrétien, et qu'à travers toutes les provinces romaines le répertoire des images ait présenté une assez grande unité.

L'iconographie aux deux premiers siècles

Ce répertoire d'images dans lequel puisent les peintres du IIIe s., comment s'est-il constitué ? On a souvent souligné les emprunts faits au langage iconographique du monde romain. Les chrétiens trouvaient d'abord dans les compositions contemporaines des symboles qu'ils pouvaient utiliser directement sans les christianiser : les saisons, dont la succession traduit déjà pour les païens le regain de la vie au-delà de la mort ; le phénix, symbole de résurrection ; les jardins des pastorales, évoquant les lieux paradisiaques ; mais aussi le navire, la palme, le pêcheur, le banquet, la colombe, l'agneau. En d'autres cas, les figures empruntées à l'art romain ont dû faire l'objet d'une traduction chrétienne : le Bon Pasteur (Luc, XV, 4 ; Jean, X, 11) est représenté sur le modèle de l'Hermès criophore, symbole de l'humanitas. Jonas sommeillant sous les cucurbitacées rappelle Endymion endormi. La représentation de Moïse dérive de celle de l'Hermès rattachant sa sandale ou, lorsqu'il est figuré en train de faire jaillir l'eau du rocher, d'une image mithriaque. L'Orante est présentée dans la même attitude que la Pietas, personnification de la piété. Mais on a cru pouvoir faire place aussi à des influences judaïques, surtout depuis la découverte à Doura-Europos d'une synagogue richement décorée de peintures pariétales, qui présentent un répertoire iconographique insoupçonné jusqu'alors. Les représentations chrétiennes de Daniel dans la fosse aux lions ou de Noé, par exemple, seraient empruntées à des modèles juifs. Il reste cependant difficile d'établir par quelles voies ces emprunts ont pu s'opérer. Il n'est d'ailleurs pas exclu que les répertoires d'images chrétiennes et d'images juives se soient développés parallèlement et rien n'interdit même de penser qu'en certains cas l'iconographie chrétienne ait exercé une influence sur les représentations judaïques. Ajoutons d'autres emprunts à l'Ancien Testament : la représentation d'Adam et d'Ève près de l'arbre paradisiaque, des scènes tirées de la vie de Suzanne, plus rarement l'image de Job ou du prophète Balaam.

   Les peintres chrétiens ont créé d'autre part leur propre langage iconographique ; ainsi sont apparues des images inspirées par l'Évangile : scènes des miracles, la Multiplication des pains, la Guérison du paralytique, scène de l'Hémoroïsse et surtout la Résurrection de Lazare, représenté souvent comme une momie à la porte d'un petit édicule, son tombeau, d'où le tire le Christ tenant la virga du thaumaturge. Mais aussi, pour illustrer la vie de Jésus, apparaît la représentation du Baptême ou celle de l'Épiphanie (adoration des mages).

Catéchèse par les images ou symbolique funéraire ?

On voit qu'en un siècle s'est créé un langage très varié. Ainsi se pose le problème de sa signification. Les thèses les plus anciennes (celles de Garrucci et de Rossi) insistent sur le caractère symbolique de ces images et sur leur valeur dogmatique : on serait en présence d'une véritable catéchèse en images. Cependant, ces figurations sont loin de constituer un traité complet de théologie, puisque l'acte essentiel, la Rédemption, n'est jamais représenté. À noter, d'autre part, que certaines images ont pu apparaître en dehors des communautés ecclésiales orthodoxes, comme en témoigne l'iconographie d'un hypogée hétérodoxe, celui des Aurelii (Rome, viale Manzoni). Par conséquent, si les images offrent un reflet de la catéchèse, elles ne constituent pas un mode d'enseignement. D'autres historiens, comme Le Blant ou Wilpert, prêtent également aux images chrétiennes une signification symbolique, mais en mettant l'accent sur le caractère funéraire de l'art chrétien à ses débuts. On trouverait dans les catacombes une sorte d'illustration de l'office des morts, de la " commendatio animae " : l'histoire de Daniel, celle de Jonas, souvent représentées, offrent en effet aux chrétiens des exemples du salut. L'hypothèse est difficile à vérifier, car nous ne connaissons que des versions plus tardives de cette liturgie funéraire. D'autre part, il n'existe pas avant le IVe s. de véritable cycle de ces images sotériologiques. Enfin, un grand nombre de représentations sont irréductibles à ce système d'explication : le Baptême du Christ évoque moins la vie future que la préparation par les sacrements à la vie future. L'Épiphanie et les Mages symbolisent la conversion ; Adam et Ève, le péché originel.

   Faut-il donc dénier toute signification symbolique aux représentations chrétiennes ? C'est la thèse soutenue par Styger, qui leur accorde une valeur purement narrative, car il suppose que l'iconographie a d'abord été créée pour l'ornementation des demeures chrétiennes et n'a été adoptée qu'ensuite dans les cimetières. L'absence de documents ôte toute solidité à cette hypothèse. On aurait tort de s'acharner dans la recherche d'un système d'explication unique. Il vaut mieux se borner à voir dans les images chrétiennes le reflet de la piété contemporaine, un mode d'expression religieuse encore lié aux influences du langage contemporain, limité à l'origine à un vocabulaire simple, à des symboles élémentaires ; puis les peintres s'inspirent de thèmes plus complexes, où s'expriment les espérances du salut, en images de miracles ou de martyres.

Les peintres du IIIe siècle

De cette première période de la peinture paléochrétienne, nous connaissons surtout les peintres des catacombes (Calliste, Domitille, Priscille, saints Marcellin-et-Pierre). La décoration n'y est pas d'un style très différent de celui de l'art populaire contemporain : les artistes se sont contentés d'insérer quelques figures plus spécialement chrétiennes dans un décor qui est analogue à celui des hypogées païens ou rappelle même celui des maisons privées, comme celles d'Ostie au IIIe s. : sur le fond blanc des voûtes s'organise une géométrie de traits rouges ou verts dessinant un réseau au centre duquel se trouvent des animaux (oiseaux près du canthare ; paons) ou des formes petites, sans volume, représentant le Bon Pasteur, l'orante, ou encore des symboles comme les poissons ou la corbeille de pains. L'hypogée de Lucina (près de la voie Appienne, Calliste), le cubiculum d'Ampliatus (catacombe de Domitille) offrent au IIIe s. les meilleurs exemples de cet art. Cependant, dans un hypogée rattaché par la suite à la catacombe de Priscille, la Capella graeca, le répertoire iconographique est plus riche : Moïse qui fait jaillir la source du rocher, l'Épiphanie, les Trois Enfants dans la fournaise. Dans le cimetière de Calliste (" chapelle des sacrements "), la Résurrection de Lazare, le Sacrifice d'Abraham, la Scène des banquets offrent des compositions schématiques, mais colorées, dans lesquelles les contours des personnages sont cernés de couleurs vives.

   Une évolution se dessine à l'époque de Gallien (253-268), avec qui, pour un temps, renaissent des traditions hellénistiques. Le cubiculum de la Velatio à Priscille donne le témoignage d'un artiste qui maîtrise assez bien les traditions du réalisme formel cher à l'expression picturale classique, mais qui exprime en même temps la spiritualité nouvelle. La fin du siècle est marquée par le retour à un expressionnisme brutal mis au service d'un répertoire plus riche, par exemple l'image du Christ enseignant le collège. Les visages tracés à larges coups de pinceau n'apparaissent que par le contraste heurté des couleurs (catacombes de Prétextat, catacombe de via Anapo). Le témoignage de la plastique, que nous connaissons mieux grâce aux sarcophages, démontre le goût pour un style " négatif ", accentuant les contrastes et burinant les traits. Dans la mouvance de l'art chrétien travaillent au IIIe s. des artistes païens (hypogée du viale Manzoni).