Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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néo-impressionnisme (suite)

Techniques et méthodes

" Divisionnisme ", " pointillisme ", l'originalité du mouvement néo-impressionniste se caractérisait en effet dès cette époque avant tout par sa technique : Gauguin devait se gausser du " ripipoint ". Prolongement des expériences sur la couleur entrevues par Delacroix et poursuivies empiriquement par les impressionnistes, la méthode divisionniste s'appuyait sur la théorie du mélange optique, dans une tentative de reconstitution des tons traditionnels de la palette par la juxtaposition et l'opposition non seulement des complémentaires, mais aussi des 18 tons du prisme. Comme l'écrivait plus tard Signac dans son livre D'Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme (1898), il s'agissait de " s'assurer tous les bénéfices de la luminosité, de la couleur et de l'harmonie : par le mélange optique de pigments uniquement purs (toutes les teintes du prisme et tous leurs tons) ; par la séparation des divers éléments (couleur locale, couleur d'éclairage, leurs réactions) ; par l'équilibre de ces éléments et de leurs proportions (selon les lois du contraste, de la dégradation et de l'irradiation) ; par le choix d'une touche proportionnée à la dimension du tableau ". Si, comme l'a montré Robert Herbert, la théorie du mélange optique était illusoire et constamment supplantée par l'usage d'une modulation de la couleur locale, la méthode néo-impressionniste était plus encore pratique que théorique. Peignant en petits points très nettement juxtaposés et superposés à sec, ce qui justifia le terme couramment employé de pointillisme, Seurat et les néo-impressionnistes recherchaient la richesse, la solidité et l'éclat des tons. Ils prêtaient une très grande attention à la préparation des supports (plâtre liquide, parfois encaustique), préféraient la vitre au traditionnel vernis jaunissant, poussaient leur souci d'unité jusqu'à peindre, à partir de 1889, des lisérés de bordure autour de la toile, puis couvrir de couleurs complémentaires le cadre blanc des impressionnistes. Mais Seurat ne s'était pas uniquement attaché à l'alchimie de la couleur pure. Sa formation classique l'avait préparé aux préoccupations harmoniques, qui lui semblaient absentes dans le laisser-aller impressionniste. Il avait étudié, comme Charles Henry, l'expression psychologique des lignes telle qu'elle était analysée dans les ouvrages de Charles Blanc et d'Humbert de Superville et partageait les théories des " signes émotifs ", qui étaient alors répandues par les symbolistes et la Revue wagnérienne de Theodor de Wyzewa. Aussi, chaque tableau était-il pour lui occasion d'une prodigieuse analyse formelle, parfois établie sur la " section d'or ", comme dans la Parade (1887-88, Metropolitan Museum), toujours sur une grille harmonique de la plus grande rigueur. Cet aspect de sa méthode, qui confère à l'œuvre de Seurat sa poésie unique dans un sentiment de permanence et d'immémorial, était moins aisément assimilable, et n'a guère été imité par ses amis français. Il donne en revanche leur qualité aux toiles peintes entre 1889 et 1892 par le Belge Finch, à celles qui furent exécutées par Henry Van de Velde en 1888 et 1889. Probablement influencé par l'art nouveau partout sous-jacent, séduit par Chéret, intéressé par les réflexions de Charles Henry sur le pouvoir " dynamogène " des lignes et des couleurs, Seurat introduisait à partir de l'été 1888 (Paysages de Port-en-Bessin) des sinuosités dans ses compositions, qui, développées dans le Chahut, puis dans le Cirque, inachevé, laissaient prévoir de nouveaux développements au Néo-Impressionnisme. Signac l'avait d'ailleurs suivi et dépassé sur ce plan de l'Abstraction ornementale dans son Portrait de Fénéon (1890, New York, M. O. M. A.).

   Plus tard, Cross en tira les conclusions pour l'Abstraction, que Mondrian, issu du Néo-Impressionnisme, devait appliquer dans leur plus extrême logique : " Et je reviens à l'idée d'harmoniques chromatiques établies de toutes pièces et en dehors de la nature, comme point de départ " (1902).

   Cette évolution avait été sanctionnée sur le plan théorique par 2 ouvrages écrits en 1888 par Charles Henry avec la collaboration de Signac : l'Éducation du sens des formes et l'Éducation du sens des couleurs. Elle conduisait à une vision sociale de l'art que Signac poursuivait et elle correspondait au glissement des néo-impressionnistes belges et néerlandais vers les arts décoratifs. Elle encourageait Seurat, d'ordinaire réticent, à divulguer ses méthodes, à expliquer son système dans une lettre fameuse à Maurice Beaubourg datée du 28 août 1890 : " L'art c'est l'harmonie. L'harmonie c'est l'analogie des contraires, l'analogie des semblables, de ton, de teinte, de ligne, considérés par la dominante et sous l'influence d'un éclairage en combinaisons gaies, calmes ou tristes. " Mais le contenu théorique du Néo-Impressionnisme commençait à peser à ses défenseurs. Au moment où Seurat modifiait sensiblement son orientation, où le Néo-Impressionnisme était tout-puissant au Salon des Indépendants, où la doctrine était partout interprétée ou pillée, nombreux étaient ceux qui dénonçaient l'arbitraire de la méthode et l'autoritarisme de Seurat. Hayet, Camille Pissarro, Henry Van de Velde firent ouvertement sécession. C'est alors que mourut Seurat, presque subitement, le 29 mars 1891.

Extension et influences

Si les proches fidèles revenaient à plus de liberté, l'extension du Néo-Impressionnisme se poursuivait dans les domaines et auprès des artistes les plus variés. C'est alors seulement que Cross, qui appartenait depuis longtemps au cercle de Seurat, adopta, pour peu de temps, la division pointilliste systématique (les Îles d'or, îles d'Hyères, v. 1891-92, musée d'Orsay) avant de s'affirmer grand coloriste, précurseur trop souvent négligé des fauves. Hippolyte Petitjean tentait aussi, entre 1890 et 1894, d'allier sa vénération pour Puvis de Chavannes à une technique divisionniste, obtenant des résultats d'une rare délicatesse qui l'apparentent à un suiveur, tardif mais très fidèle, du mouvement, Achille Laugé. Devant la poussée des impressionnistes, universellement reconnus, l'incontestable finesse du Divisionnisme et la caution morale apportée par le Symbolisme littéraire, des peintres académiques — Ernest Laurent, Edmond Aman-Jean, Henri Martin, Le Sidaner — devaient bientôt, dans la confusion technique, tenter de récupérer à leur profit le caractère novateur du Néo-Impressionnisme. Leur pointillisme respectait à peine la division des tons, mais il conférait un cachet de prétendue modernité à leurs productions.

   La nouvelle manière de Signac, largement conçue en mosaïques éclatantes, devait exercer une influence plus considérable encore. Au-delà des proches, telles Lucie Cousturier ou Jeanne Selmershein-Desgrange, elle touchait en effet Matisse, qui réalisait en 1904 auprès de Signac, à Saint-Tropez, son fameux Luxe, calme et volupté (musée d'Orsay) ouvrant ainsi le chemin aux fauves : Derain adoptait cette technique dès 1905 pendant son séjour à Collioure avec Matisse. Ils étaient eux-mêmes suivis en 1906 et 1907 par Metzinger et Robert Delaunay, par Gino Severini et Giacomo Balla : le Cubisme optique et le Futurisme empruntaient à leur tour leur expression au Néo-Impressionnisme. La séduction du Pointillisme n'avait, en fait, épargné aucun mouvement. Anquetin, Van Gogh, Bernard et même Gauguin l'avaient chacun un moment adopté avant de le rejeter violemment. La finesse du procédé avait retenu certains Nabis, notamment Vallotton et Vuillard, et elle permit aux cubistes de poursuivre après 1914 une nouvelle définition dynamique de l'espace. À l'étranger, la mort de Seurat n'avait en rien compromis l'extension du mouvement. C'est alors que l'action de Toorop produisit ses effets en Hollande, rassemblant notamment Aarts, Bremmer et Viljbrief. En Italie, Pellizza da Volpedo s'associait aux recherches françaises, tandis que se développait parallèlement le courant autonome des Divisionisti (Segantini, Previati, Grubicy), qui poursuivaient dans une technique moins rigoureuse la tradition académique idéaliste. C'est par la Belgique, et précisément sous l'influence de Van Rysselberghe et de Henry Van de Velde, que les Allemands Paul Baum, Curt Hermann et Christian Rohlfs devaient, au tournant du siècle, adopter à leur tour le faire pointilliste. Ivo Hauptmann, en relation avec Paul Signac entre 1908 et 1912, maintiendra jusque v. 1920 l'esthétique néo-impressionniste en Allemagne.