Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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maniérisme (suite)

Parme et l'Émilie

Au début du siècle, l'art émilien est dominé par Corrège, dont les chefs-d'œuvre de Parme (Camera di San Paolo, 1519 ; coupole de San Giovanni Evangelista, 1520-1523 ; coupole du Dôme, 1524-1530), par leur illusionnisme et leurs nouveautés iconographiques, inspirèrent les maniéristes avant de séduire les artistes du Baroque et du Rococo. Ses madones suaves préludent aussi aux recherches de Parmesan, dont l'influence devait s'étendre bien au-delà des frontières de l'Émilie, où il laissa, cependant, ses réalisations les plus importantes, l'exquis " boudoir " de la Rocca di Fontanellato ou la voûte monumentale de la Steccata de Parme. Ses dessins, d'une virtuosité raffinée, et ses tableaux imposent un nouveau type de beauté, aux formes allongées, aux rythmes sinueux, prototypes de la grâce maniériste (Madone au long cou, Offices), qui, largement diffusé par la gravure, influença profondément toute une génération d'artistes. Tout un groupe de peintres, au talent délicat, reprirent ses trouvailles avec une originalité personnelle, comme Michelangelo Anselmi, Girolamo Mazzola Bedoli, Lelio Orsi, Jacopo Bertoja. Leur art allie la grâce à la fantaisie parfois la plus étrange (Bertoja, Palazzo del Giardino, Parme).

   Bologne fut l'une des premières villes à être touchée par le message de Parmesan, à qui elle avait été préparée par les élèves de Raphaël (Innocenzo da Imola, Bagnacavallo, Pupini) ou de Lorenzo Costa et par le séjour qu'y fit Parmesan lui-même à son retour de Rome (Saint Roch, Bologne, S. Petronio ; la Vierge avec sainte Marguerite et des saints, Bologne, P. N.). Nicolò Dell'Abate en fournit la preuve dans les exquises décorations de Modène et surtout du palais Poggi à Bologne (Salle des Paysages, Salle des Concerts) avant d'aller porter loin cette grâce en terre de France avec le Bolonais Francesco Primaticcio, un des premiers décorateurs de son temps, qu'il retrouve à la cour de Fontainebleau.

   À côté de ces artistes élégants, gracieux, propagateurs à l'étranger du Maniérisme italien, Bologne compte, aussi, des maîtres plus expressifs : l'un des plus séduisants est l'étrange Amico Aspertini, qui puise sa culture à des sources diverses (en particulier dans l'antique) et dont l'émotion et la liberté d'expression semblent si modernes (Pietà, Bologne, S. Petronio ; oratoire Sainte-Cécile, S. Giacomo Maggiore).

   Marqué davantage par Michel-Ange, Pellegrino Tibaldi peint au palais Poggi les Histoires d'Ulysse dans un style brillant avec une virtuosité teintée d'humour et S. Giacomo la grandiose Chapelle du cardinal Poggi. Après lui, un grand nombre de décorateurs, qui firent aussi carrière à Rome, peuplèrent les palais et les églises de compositions savantes, mais moins plaisantes, qui se rattachent à la dernière vague du Maniérisme, comme Prospero Fontana, Ercole Procaccini, Lorenzo Sabbattini et Orazio Sammachini : leurs tableaux d'autels sont parfois d'indéniables réussites (Prospero Fontana : Pietà ; Ercole Procaccini : Annonciation, Bologne, P. N.).

Venise, Gênes et Milan

C'est aussi le mérite des historiens modernes d'avoir cherché à étudier l'épisode maniériste de la peinture vénitienne, qui avait été, jusqu'ici, exclue des avatars de la " maniera ". En fait, le nouveau style, préparé par Pordenone et Lotto, est définitivement présent à Venise après 1530 : les séjours de Giovanni da Udine (1539), de Vasari, de Salviati (1541), enfin de Zuccaro y contribuèrent grandement. À la première vague maniériste se rattache Giuseppe della Porta Salviati, dont les rapports avec l'art vénitien ont été diversement interprétés (décorations en grande partie détruites, par exemple la villa dei Friuli à Trévise [1542], dont le programme annonce celui de Zelotti et de Véronèse à Soranza). Une seconde vague maniériste est marquée à Venise même par les grands décors du Palais ducal (plafond de la salle X, de la chambre des " Trois Cai " (1553-54), de la Scala d'Oro (1559-60), où les fins ornements de stuc sont de goût romano-mantouan.

   À Rome, Titien lui-même, principalement au contact des chefs-d'œuvre de Michel-Ange, modifie profondément sa manière, et le plafond de la Salute (v. 1543-44) en est la preuve la plus nette, ainsi que certains grands tableaux d'autel, en particulier le Christ couronné d'épines (v. 1542, Louvre), où revit l'exemple du Laocoon, un des antiques les plus étudiés par les maniéristes.

   C'est aussi au Maniérisme que se rattache totalement l'œuvre de Tintoret, qui cherche à rivaliser avec Michel-Ange dans d'immenses cycles, où son imagination visionnaire est servie par un dessin audacieux, un coloris vibrant et de violents contrastes lumineux. Il crée un univers irréaliste où l'émotion personnelle reste toujours présente (Venise, Scuola di San Rocco, décoration du Palais ducal). Véronèse, lui, adapte son maniérisme aux charmes des palais, dont il reste le plus beau décorateur, brossant, dans une gamme harmonieuse et claire, des figures influencées, visiblement, par la grâce de Parmesan. Il exalte aussi l'un des thèmes chers au Maniérisme, le paysage de fantaisie ou de ruines, sur lequel il brode de multiples et d'exquises variations (Villa Maser). C'est de Parmesan, aussi, que procède Andrea Schiavone : son style esquissé préserve, en peinture, le charme et la fraîcheur de la création en restant proche de l'art graphique, qui est une des composantes du Maniérisme. Parmesan marque également les Bassano (Jacopo Bassano, Décapitation de saint Jean-Baptiste, Copenhague, S. M. f. K.) avant qu'ils n'évoluent vers le type des compositions paysannes qui firent leur célébrité.

   L'étude des courants maniéristes dans les autres centres de l'Italie est également l'une des conquêtes de la critique moderne (Gênes avec Luca Cambiaso, Naples avec Roviale Spagnolo, Milan et la Lombardie avec Gaudenzio Ferrari et, plus tard, au XVIIe s., Del Cairo, Morazzone, Tanzio da Varallo). À Crémone, la peinture est dominée par les Campi (Antonio, Vicenzo, Bernardino), héritiers de Giulio, qui exploitent les tendances mantouane et parmesane de sa dernière manière, et dont les relations avec Milan, spécialement pour Bernardino, qui séjourna dans cette ville entre 1550 et 1556, sont importantes. Le dernier peintre de Crémone qui se rattache à la " maniera ", mais évoluera plus tard dans le sens de la réforme des Carrache, est Trotti, dit Malosso.

Extension internationale du Maniérisme

À partir de 1530, presque toute l'Europe est marquée par le Maniérisme : on peut évoquer ici pour chaque époque certains aspects particuliers en rappelant les artistes les plus significatifs.

Espagne

D'abord dominée par l'influence de Ghirlandaio ou de Francia, l'Espagne s'ouvre à la Renaissance italienne (Léonard, Michel-Ange, Raphaël), et son admiration va d'abord à certains maîtres. Sebastiano del Piombo, dont les œuvres sont bien connues et copiées, inspire un style monumental, profondément religieux (Vicente Masip, Pietà cathédrale de Segorbe). Un courant plus moderne se crée autour des artistes qui séjournèrent en Italie et dont certains, comme Alonso Berruguete, servirent de " ferment " à la formation de la " maniera ". Ces peintres offrent des images d'une singulière liberté, comme Pedro de Campana (Adoration des bergers, Berlin-Dahlem) ou comme l'étrange Pedro Machuca, dont les madones semblent refléter celles de Léonard dans un miroir déformant. Trop originaux pour plaire, ils ont été moins appréciés que le suave Moralès, interprète de la piété populaire dans un de ses thèmes traditionnel, la Pietà.

   La remise en valeur de Berruguete, Campana ou Machuca est due à la critique récente et à son effort pour situer à Florence la naissance de la " maniera ". Le premier artiste espagnol qui intéressa les historiens du Maniérisme fut Greco. Dvořák insiste sur cette personnalité passionnante dont l'indépendance et le mysticisme lui paraissaient hautement significatifs du spiritualisme du Maniérisme. On a cherché aussi à rattacher au Baroque l'art de Greco, dont les tableaux audacieusement composés sur plusieurs plans (Enterrement du comte d'Orgaz, Tolède, Santo Tomé), aux couleurs froides, parfois livides, offrent un univers irréel, où des acteurs aux corps excessivement allongés expriment avec passion la souffrance, l'extase ou la foi. Le climat de tension spirituelle de l'œuvre de Greco est d'une qualité unique dans la peinture de son temps.