Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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restauration (suite)

Technique

 I. Le support

Tout tableau de chevalet est constitué traditionnellement de 3 éléments essentiels : le support (bois, toile, papier, cuivre, ardoise...), la peinture (préparation et couches picturales), le vernis. Ces éléments, qui peuvent souffrir de vieillissements, de maladies, d'accidents ou d'altérations dues à l'intervention délibérée des hommes, doivent être soignés.

   Traitant des supports, nous ne parlerons que du bois et de la toile, supports les plus courants.

Le bois

Le bois est, jusqu'à la Renaissance, le plus ancien support utilisé par les peintres de chevalet. C'est un matériau " vivant " jamais inerte, hygroscopique, qui " travaille ", se dilate à l'humidité et se contracte à la sécheresse. C'est ce qu'on appelle le " jeu " du bois. Disons, de manière courante, que ce " jeu " est important dans le sens perpendiculaire au fil du bois. Il est donc indispensable pour la bonne conservation des panneaux peints de les maintenir dans des conditions climatiques satisfaisantes. Les principales altérations des panneaux sont la courbure, les fentes et les attaques des insectes xylophages.

– LA COURBURE

Les panneaux acquièrent avec le temps une courbure due à la fois au " jeu " naturel des planches, à leur choix et au retrait différentiel de la face non peinte par dessiccation progressive. Dans le passé, et jusqu'au milieu du XXe s., on a utilisé des méthodes diverses de redressement : humidification et pression progressive, amincissement puis élargissement du revers par introduction de flipots (" sverzature ")... Tous ces procédés ont souvent provoqué des soulèvements de la couche picturale. Celle-ci, qui avait acquis son état d'équilibre, ne possédait plus la souplesse nécessaire pour suivre les traumatismes imposés au bois. Bien souvent, les panneaux redressés étaient transposés de bois sur toile. On pensait ainsi résoudre tous les problèmes dus au support de bois. Cette intervention irréversible est de nos jours considérée comme une mutilation de l'œuvre, car elle enlève à celle-ci un élément original ; elle n'est plus pratiquée dans les musées de France, et la courbure acquise au cours du temps est conservée comme élément de son histoire.

– LES FENTES

Elles peuvent être dues à un choix malheureux des planches, à des zones noueuses ou à des systèmes de maintien au dos du panneau bloquant le " jeu " normal du bois. Bien des panneaux, jugés trop fragiles pour être laissés sans maintien au revers, ont, en effet, été pourvus de renforts fixes (traverses, parquets vissés, collés, cloués...) dès l'origine ou postérieurement. Comme ils ne permettent pas le " jeu " du bois, des fentes se sont produites.

   Autrefois, ces fentes étaient réparées de façon plus efficace par collage de bandes de tissu ou collage de taquets de bois en surépaisseur ou incrustations en forme de " papillons ". De nos jours, les fentes sont traitées par l'incrustation d'éléments de bois de fil en forme triangulaire, collés dans des incisions en V.

   L'invention du " parquet coulissant " en 1770 par l'ébéniste Jean-Louis Hacquin pour la Kermesse de Rubens (Louvre) fut une considérable amélioration en permettant à des lattes transversales mobiles de coulisser dans des lattes verticales collées dans le sens du fil du bois. Le choix de ce type de parquet a permis une bonne conservation des panneaux, mais a souvent eu aussi des conséquences néfastes, telles que des cassures lorsque les traverses mobiles se sont bloquées.

   Ces parquets traditionnels sont en général abandonnés et remplacés par des systèmes ingénieux et divers, suivant les pays, mais la tendance générale est d'alléger les systèmes de maintien au dos des panneaux en diminuant les surfaces de collage et de frottement.

   Dans les ateliers des Musées de France, les parquets sont remplacés soit par des traverses métalliques coulissant sur des galets en matière plastique (véritables roulements à billes) et maintenues par des taquets de bois, soit par des châssis-cadres en bois stabilisé...

   Pour des panneaux minces et de petites dimensions, un maintien peut être fourni par une simple plaque d'Altuglas transparente, elle-même tenue sur tout le pourtour par une cornière métallique. Cette plaque peut même être préformée artisanalement pour épouser une éventuelle courbure du panneau. Solution très satisfaisante puisqu'elle évite tout collage sur le tableau lui-même et laisse le dos de celui-ci totalement visible.

– LES INSECTES XYLOPHAGES

La présence d'insectes (" vrillettes ", " lyctus ", " capricorne "...) se décèle par des trous d'où s'échappe une poudre de bois : la " vermoulure " bien connue.

   Le panneau doit donc être désinfecté, puis, en général, consolidé. Il est d'abord badigeonné ou injecté de produits volatils toxiques ou passé en " chambre à gaz " sous vide partiel. La consolidation, dans le cas de vermoulure, fait appel aux résines durcissantes, appliquées aussi par badigeonnage.

   Une technique relativement récente est l'utilisation des rayons gamma comme agent de polymérisation d'une résine durcissante. Elle est pratiquée pour les bois non peints ou dorés, mais n'est pas applicable actuellement aux panneaux peints.

   Lorsque le bois est trop désagrégé, il faut amincir le panneau jusqu'au bois encore intact et le coller ensuite sur un nouveau support : panneau de bois classique dans le passé (opération dite " trésaille "), support inerte (latté, aggloméré, carton alvéolé...) de nos jours.

   Dans le passé, lorsqu'il n'existait plus assez de bois utilisable, on " transposait ", c'est-à-dire qu'on supprimait entièrement le bois et on collait la peinture sur un nouveau support.

   De nos jours, on ne " transpose " plus un panneau, on s'efforce de conserver un peu de bois, de le rigidifier et de coller l'ensemble sur un nouveau support inerte.

La toile

Depuis la Renaissance, la toile est le support le plus fréquemment utilisé en Occident par les peintres de chevalet. Le textile (en général lin ou chanvre) est un matériau hygroscopique, qui se détend et se retend suivant les conditions hygrométriques. Cette capacité de réaction diminue avec le temps, ce qui fait dire qu'une toile est plus ou moins " nerveuse ". Ces écarts hygrométriques sont à éviter, car ils causent une " fatigue " au textile ainsi qu'à la peinture, qui, avec le temps, perd de sa souplesse et de son aptitude à suivre ces mouvements. Des cassures de la préparation se forment alors et produisent des craquelures dites " d'âge ", amorces de soulèvements possibles futurs.

   Les principales altérations de toile sont la petite déchirure, la grande déchirure (quelle qu'en soit la forme) et l'affaiblissement du textile.

– LA PETITE DÉCHIRURE

Elle se répare soit par un raccordement des fils si cela est possible, soit, le plus souvent, par la pose au revers d'une pièce (morceau de gaze ou de demi-toile effilée) collée à la cire (à froid). Autrefois, on a collé des pièces à la céruse ou à la colle de peau, dont, à la longue, la marque transparaissait côté peinture.

– LA GRANDE DÉCHIRURE ET L'AFFAIBLISSEMENT DU TEXTILE

Ils correspondent à un vieillissement pouvant être dû à de mauvaises conditions de conservation, des bords déchiquetés, des marques du châssis et des coutures devenues saillantes, visibles côté peinture. Ils se réparent en général par un rentoilage. Cette intervention consiste à coller une toile neuve au dos de la toile originale.

   Il existe trois principales méthodes de rentoilage (à la colle, à la cire-résine et aux résines synthétiques), qui sont utilisées avec de nombreuses variantes suivant le cas à traiter. La France a une grande tradition artisanale du rentoilage à la colle, élaboré au XVIIe s. Cette technique a donné d'excellents résultats ; elle exige une grande expérience et des praticiens très habiles.

   Le rentoilage à la cire, dite méthode " hollandaise ", doit remonter au XVIIIe s. ; il semble né de la recherche d'un moyen de préserver les œuvres de l'humidité.

   La cire d'abeille et la résine naturelle ont été remplacées dans de nombreux ateliers par de la cire et de la résine synthétique. Le rentoilage aux résines synthétiques vinyliques ou acryliques, imaginé vers 1930, paraît bien convenir aux tableaux modernes.

   Chacune de ces méthodes a ses adeptes convaincus, mais tout esprit " partisan " doit être banni. Chaque tableau est un cas d'espèce à traiter comme tel.

   En dehors du rentoilage, la seconde intervention importante que peut subir la toile d'un tableau est la transposition. Cette intervention consiste à enlever le textile original et à le remplacer par un nouveau support. Le remplacement du support n'est pas une fin en soi, mais le moyen d'atteindre la préparation lorsque, désagrégée, elle n'adhère plus au support et entraîne la couche picturale dans un soulèvement généralisé. L'enduit d'origine est alors soit supprimé, soit régénéré, suivant son état, à l'aide d'une nouvelle préparation qui redonne à l'ensemble de la couche picturale cohésion et souplesse.

   Cette intervention, née en Italie dans le premier quart du XVIIe s., a été pratiquée en France de façon officielle au milieu de ce même siècle, comme nous l'avons dit plus haut. Appelée aussi " transfert " dans le passé, elle a été pratiquée en France de façon constante entre le milieu du XVIIIe s. et le premier quart du XXe s. Les rentoileurs français acquirent une réputation qui s'étendit à travers l'Europe. Pratiquée de façon même abusive dans le passé, aujourd'hui cette intervention ne l'est plus que dans de très rares cas extrêmes où aucune autre possibilité ne permet de sauver la peinture. Supprimer une toile originale est une opération contraire à la règle de la " réversibilité ".