Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Titien (Tiziano Vecellio, dit) (suite)

La gloire européenne

La célébrité de Titien est dès lors à son apogée : les monarques et les aristocrates de la Renaissance s'identifient dans son art et y voient leurs aspirations sublimées. Aux rapports de l'artiste avec la cour d'Este ont succédé, dès 1523, les rapports avec les Gonzague et avec Francesco Maria della Rovere ; en 1530, Titien rencontre pour la première fois Charles Quint à Bologne ; trois ans plus tard, dans la même ville, l'empereur lui confère les titres de comte palatin et de chevalier de l'Éperon d'or, et lui manifestera de nouveau son admiration en l'invitant à la cour d'Augsbourg entre 1548 et 1550, puis en 1550-1551. Ce haut mécénat implique une activité intense de Titien dans le portrait, genre qui satisfait du reste pleinement ses tendances réalistes. Les portraits de Charles Quint (v. 1532-1533, Prado), du Cardinal Ippolito de' Medici (1533, Florence, Pitti), des Ducs d'Urbino (1538, Offices), de François Ier (1538, Louvre) et d'Alfonso d'Avalos (1536-1538, AXA, groupe d'assurances, en prêt au Louvre) répondent aux exigences de faste et de majesté de ses clients.

Tentations maniéristes

Le naturalisme, très poussé dans la Présentation de la Vierge au Temple (1534-1538, Venise, Accademia) et dans la Vénus d'Urbin (1538, Offices), cède à la vogue maniériste introduite à Venise dans ces mêmes années par Salviati et Giorgio Vasari, et qui a déjà dû impressionner Titien au cours de ses séjours dans la Mantoue de Giulio Romano : la tension plastique, propre au maniérisme, caractérise les douze Portraits d'empereurs romains – commencés en 1536 pour le salon de Troie au château de Mantoue, puis perdus et dont nous n'avons plus connaissance que par les douze gravures de E. Sadeler –, Alfonso d'Avalos haranguant ses soldats (1540-1541, Prado), le Couronnement d'épines (v. 1543, Louvre), l'Ecce homo (1543, Vienne, K. M.) et les trois plafonds – le Sacrifice d'Abraham, Caïn et Abel, David et Goliath – pour l'église S. Spirito in Isola (1542, auj. à la sacristie de S. Maria della Salute à Venise). Dans le portrait, cette tension se résout dans la vigueur que Titien met pour « surprendre le caractère » de ses modèles, qu'il nous présente avisés ou sournois, arrogants ou dévorés d'une fièvre mystérieuse (Ranuccio Farnese, 1541-1542, Washington, N. G. ; le Pape Paul III, 1546, Naples, Capodimonte ; le Doge Andrea Gritti, Washington, N. G. ; Charles Quint à la bataille de Mühlberg, Prado ; Charles Quint assis, Munich, Alte Pin. ; Antoine Perrenot de Granvelle, 1548, Kansas City, W. R. Nelson Gal. of Art ; Philippe II, 1551, Prado), ou dévots fervents (Tableau votif de la famille Vendramin, 1547, Londres, N. G.).

Dernière période

Après 1550, Titien semble encore accélérer son rythme créateur : en moins de deux décennies, il exécute parallèlement des œuvres pour Venise (la Pentecôte, 1555-1558, peinte pour S. Spirito, maintenant à S. Maria della Salute ; le Martyre de saint Laurent, terminé en 1559, Venise, Gesuiti ; le plafond pour l'Antisala de la bibliothèque Marciana, avec la Sagesse, apr. 1560) et pour Ancône (le Christ en croix avec la Vierge, saint Dominique et saint Jean, 1558, église S. Domenico) ; et, pour satisfaire les goûts singuliers de Philippe II d'Espagne, il peint les fameuses « poésies » érotico-mythologiques (Danaé, 1554, et Vénus et Adonis, 1553-1554, toutes deux au Prado ; Diane et Actéon et Diane et Callisto, 1556-1559, coll. duc de Sutherland, exposées à Édimbourg, N. G. ; le Châtiment d'Actéon, v. 1559, Londres, N. G. ; l'Enlèvement d'Europe, 1562, Boston, Gardner Museum) ainsi que des sujets sacrés (Sainte Marguerite, à l'Escorial, 1552, et au Prado, 1567 ; la Mise au tombeau, 1559, Prado ; le Christ au jardin des Oliviers, 1562 ; le Martyre de saint Laurent et Saint Jérôme, 1565, Escorial). Dans toutes ces œuvres, l'expression repose sur le pouvoir suggestif de la couleur, liquide, coulante, dans laquelle les formes semblent se dissoudre comme par autocombustion. Titien arrive maintenant à la dernière phase de son activité : la représentation d'une vision naturaliste ou la célébration d'un idéal classique déjà ébranlé ne l'intéressent plus ; il inaugure donc un style détaché à la fois du dessin et de la plastique, synthétique et brut, peut-on dire, où personnages et nature se matérialisent en taches, grumeaux, « balafres » de couleur, où seuls comptent les spectres informels qui peuplent sa réalité de créatures vouées à une autre existence. De la désagrégation fumeuse de la matière surgissent les étincelles d'or de l'Annonciation (1566, Venise, S. Salvador), les empâtements crépitants de Vénus bandant les yeux de l'Amour (1560-1562, Rome, Gal. Borghèse), de Saint Sébastien (v. 1570-1572, Ermitage) ou du Couronnement d'épines (Munich, Alte Pin.), l'éclairage rougeâtre du Tarquin et Lucrèce (1570-1571, Cambridge, Fitzwilliam Museum), plus dramatique encore dans la version de l'Akademie de Vienne, le ciel brouillé et mélancolique de la Nymphe et le berger (1570-1576, Vienne, K. M.), avant que n'explose le grand incendie qui baigne de pourpre le Supplice de Marsyas (1570-1576, Kromerí, château archiépiscopal). C'est cet « impressionnisme magique » (Pallucchini) qui caractérise aussi les derniers portraits : celui de Francesco Venier (1554-1556, Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza), celui de l'Antiquaire Jacopo Strada (1567-1568, Vienne, K. M.), celui de l'Artiste par lui-même (1568-1570, Prado), où de la matière agglutinée se dégage une image spectrale, ultra-terrestre. Quand, le 27 août 1576, Titien meurt à Venise de la peste dans sa maison de Birri, il laisse inachevée la Pietà (Venise, Accademia), une composition troublante et complexe qu'il destine à sa sépulture, à S. Maria dei Frari, et que terminera son disciple Palma il Giovane.

Titus-Carmel (Gérard)

Artiste français (Paris 1942).

Il étudie la gravure à l'école Boulle, à Paris, de 1958 à 1962. Dessinateur rigoureux et raffiné, il développe, à partir de l'idée d'une chose et de sa réalité matérielle, des séries de détériorations, usures, pourrissements du matériau ou de la forme (20 Variations sur l'idée de détérioration, 1971 ; Altérations d'une sphère, 1971), mettant ainsi en évidence les rapports modèle-représentation, mais aussi la notion de temps et de durée. Dans cette démarche se situent également ses « reconstitutions olfactives » (Giant's Causeway, 1970 ; Forêt vierge-Amazone, 1971 ; Paysage romantique ; hommage à Caspar David Friedrich, 1972). Dans un processus dialectique, l'artiste en vient à créer de toutes pièces (en bois, tissu, fourrure, corde, etc.) les objets qu'il traite par séries et variations, qu'il intègre parfois à l'œuvre graphique par collage ; le dessin crée l'objet, et l'objet, le dessin, et c'est ainsi que naissent les « Pourtours » et les « Déambulatoires » (1973), les « Agrès et biffures » (1976), The Pocket Size Tlingit Coffin (1975-1976, Paris, M. N. A. M.). Si la couleur est introduite par l'aquarelle, la gouache ou le pastel (« Notes d'hiver » et « Noren », séries de 1977), le noir (avec intervention de caches et de coups de gomme : Suite Narwa, 1977) demeure au centre d'une œuvre dont les investigations conceptuelles et graphiques s'interpénètrent.

   En 1984, il revient à la peinture, après un arrêt de quinze ans, avec les séries « Ombres » et « Nuits ». Ces peintures, souvent abstraites, présentent des couleurs vives : « Série autour de l'X », 1986. En 1989, la série « Extraits et fragments des saisons » ramène le dessin au premier plan, tandis que celle des « Forêts » (1995) s'organise à partir de grands papiers collés peints à l'acrylique. L'artiste est présent dans les collections du M. N. A. M. à Paris ainsi que dans de nombreux musées français.