Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
V

Valenciennes (Pierre Henri de)

Peintre français (Toulouse 1750  – Paris 1819).

Élève de Despax et de Bouton à Toulouse, il passa à Paris dans l'atelier de Doyen (1778), mais fut essentiellement un paysagiste autodidacte qui se rendit plusieurs fois en Italie (1769, 1777, 1781) et au Proche-Orient (1782-1784), d'où il rapporta des carnets de dessins (Paris, Louvre et B. N.). Il fut reçu académicien (Cicéron découvrant le tombeau d'Archimède, 1787, musée de Toulouse) et, depuis lors, exposa régulièrement aux Salons. Convaincu de l'insuffisance de la réalité descriptive des paysagistes hollandais, il publia ses théories esthétiques (Éléments de perspective pratique à l'usage des artistes, réflexions et conseils sur le genre de paysage, Paris, 1800), dans lesquelles il montre la grandeur du paysage tel que Poussin le recompose, en communion intime avec le drame humain qui s'y déroule. Ses grands tableaux, peut-être un peu froids, relèvent de la même conception humaniste, plus soucieuse d'unir l'idée à la nature que de reproduire des impressions visuelles (Ancienne Ville d'Agrigente, 1787, Louvre ; Colloque d'Archelaüs et de Sylla, 1819, musée de Toulouse). Au contraire, ses Études peintes (150 au Louvre) de paysages italiens et ses dessins montrent une tout autre fraîcheur de sensation et une attention portée à l'enveloppe de l'atmosphère, aux jeux lumineux (Étude de ciel au Quirinal, Louvre), à la netteté des structures ou à la minutie du détail (Sous-bois, Louvre). Par cette vaste enquête sur la nature, qui lui servit ensuite dans des compositions plus élaborées (Villa Borghèse, id., et Paysage avec figures, Barnard Castle, Bowes Museum), Valenciennes oriente le paysage vers le Néo-Classicisme, mais annonce aussi les descriptions plus frémissantes et sensibles du XIXe s. On voit souvent en lui un précurseur du Corot d'Italie.

Valentin de Boulogne, dit Valentin

Peintre français (Coulommiers 1591  – Rome 1632).

Le prénom Moïse qu'on donnait parfois à Valentin provient d'une déformation du terme Monsu (" Monsieur ") qui précède souvent les noms des Français dans les textes romains du XVIIe s. On ne connaît rien de la première formation du peintre, issu d'une famille d'artisans et d'artistes établie en Brie depuis le XVe s. On ne sait quand il gagne Rome : selon Sandrart, il y était arrivé avant Vouet, avant 1614 donc. On ne rencontre pourtant son nom dans les documents d'archives qu'à partir de 1620. Il est possible que le peintre ait fréquenté l'atelier de Manfredi, mais rien ne l'atteste ; il semble avoir fréquenté davantage les peintres nordiques que les Français et est affilié à partir de 1624 à l'Académie des Bentvögels, où il reçoit le surnom d'Inamorato (l'" amoureux "). On connaît très mal la carrière de Valentin, qui ne devait plus quitter Rome et y mourir. Son activité de peintre n'est documentée que dans les 5 dernières années de sa vie, où il est en rapport étroit avec le milieu, francophile et ami des arts, de la famille Barberini, notamment avec le cardinal Francesco, son principal mécène : de 1627 datent un David et une Décollation de saint Jean-Baptiste (perdue) ; de 1628, l'Allégorie de Rome (Rome, Villa Lante) ; de 1630, un Samson (musée de Cleveland). Le Martyre des saints Procès et Martinien (1629, Vatican), peint pour la basilique Saint-Pierre (en remplacement d'un tableau commandé, en un premier temps, à l'Albane) et comparé par tous les " curieux " au Martyre de saint Érasme de Poussin mis en place l'année précédente, témoigne de la renommée de Valentin dans la Rome artistique de son temps. Baglione nous raconte les circonstances de la mort du peintre, consécutive à un bain glacé dans une fontaine pris après avoir trop bu, et indique que Cassiano dal Pozzo, l'un de ses mécènes, pourvut aux frais des obsèques. Les scènes de taverne et les réunions musicales restent les plus nombreuses et les plus caractéristiques de l'art de Valentin et ont contribué à répandre la légende du peintre indépendant, à l'existence bohème et dissipée. Citons au Louvre 2 Concerts, la Réunion dans un cabaret, la Diseuse de bonne aventure, autrefois coll. Schönborn à Pommersfelden, auj. dépôt à Toronto, Art Gallery of Ontario, la Réunion avec une diseuse de bonne aventure (1631 ?), à Dresde (Gg) le Tricheur. Mais l'auteur de l'Allégorie de Rome, audacieuse traduction d'une allégorie dans le langage " vériste " des caravagesques, est aussi celui de toiles à sujets mythologiques (Herminie et les bergers, Munich, Alte Pin.), de portraits (le Cardinal Francesco Barberini, le Cavalier dal Pozzo, perdus ; ce dernier autref. dans la coll. de la reine Christine de Suède ; le Bouffon Menicucci, Indianapolis, Herron Art Museum) et de nombreuses toiles religieuses d'un sourd et violent lyrisme : Suzanne et les vieillards (Louvre) ; Jugement de Salomon (id., et Rome, G. N., Gal. Corsini) ; la Cène (id.), le Sacrifice d'Isaac, musée de Montréal, le Couronnement d'épines (2 exemplaires à Munich, Alte Pin.), Judith et Holopherne (Malte, musée de La Vallette), Jésus chassant les marchands du Temple (Rome, G. N. [Gal. Corsini] et Ermitage), le Reniement de saint Pierre (Florence, fondation Longhi, et Moscou, musée Pouchkine). Toutes ces toiles, auxquelles il faut ajouter plusieurs figures religieuses à mi-corps, en hauteur (Judith, musée de Toulouse ; Moïse, Vienne, K. M.) ou en largeur (4 Évangélistes, Versailles), dénotent, dans une filiation caravagesque fidèlement assumée jusqu'au moment où le caravagisme passait de mode à Rome, un art bien personnel, sensible aux nuances les plus subtiles, plein d'ardeur fiévreuse et de délicate mélancolie, " romantique " si l'on veut, qui apporte à la peinture du XVIIe s. une note irremplaçable de poésie.

valeur

La valeur d'un ton désigne son degré d'intensité par rapport à la lumière ou à l'ombre. En peinture, on peut obtenir une même valeur à partir de tous les tons. Pour chaque ton, il existe une échelle de valeurs que l'on utilise dans les dégradés, allant du sombre au clair. Les valeurs ont été réparties sur la surface des tableaux soit pour suggérer le volume des objets (voir DÉGRADÉ et MODELÉ), soit pour donner l'illusion de la profondeur de l'espace.

   Dans le premier cas, les lumières ont été exprimées par l'éclaircissement de la couleur, et les ombres par son assombrissement. Les valeurs du modelé intérieur des figures — presque inexistant avant le XVe s. — se sont amplifiées progressivement du XVe au XVIIe s. jusqu'à se transformer en nappe d'ombre et de lumière et à supprimer les lignes des contours délimitant les plans et les formes (Caravage et les " tenebrosi "). En marge du clair-obscur traditionnel, la répartition des grandes masses claires et sombres a été réalisée au XIXe s. (Impressionnisme) et au XXe s. (par les cubistes et par Matisse) à partir de teintes de différentes intensités (ombres bleues).

   Dans le second cas, c'est-à-dire pour rendre compte de la profondeur de l'espace sur le plan d'un tableau, les peintres ont eu recours, à partir du XVe s., notamment Léonard de Vinci, à une certaine dégradation de la lumière et de la couleur résultant de la position des objets vus dans l'espace : à mesure que les objets représentés sont plus éloignés, leur clarté diminue et leur couleur se dégrade dans le bleu. Cette diminution en valeur et en intensité colorée, qui varie selon les distances, la couche d'air interposée et la position de la source lumineuse, relève de la perspective aérienne. Pour suggérer la profondeur, les peintres ont également superposé dans le plan de leurs tableaux, dès le XVe s., des " écrans ", ou bandes de formes irrégulières, alternativement sombres et claires (paysages de Patinir), les transitions, les zones de fusion entre ces différentes bandes s'opérant au moyen de valeurs presque identiques (voir PASSAGE).

   Selon les époques, la distribution des valeurs est différente : " Dans un tableau, l'ombre et la lumière ensemble ne doivent pas excéder le tiers de la surface, les deux tiers étant occupés par des demi-teintes ", conseille Rubens (De coloribus). Techniquement, les procédés ont également changé : les peintres flamands du XVe s. ébauchaient leurs tableaux à la détrempe ou " a tempera " en grisaille dégradée et laissaient transparaître les fonds blancs (voir PRÉPARATION) à travers une mince pellicule colorée (glacis successifs) aux endroits où devaient se trouver les lumières. Ils empâtaient au contraire les zones sombres pour dissimuler la préparation. Chaque teinte était préparée à l'avance, méthode que suivra encore Rubens. Cennino Cennini décrit ainsi dans son traité la pratique en usage en Italie à la fin du Moyen Âge : " Prends trois vases, mets dans l'un, supposons, du rouge pur, pour les deux autres, une des couleurs sera plus claire et la troisième, pour les demi-tons, sera faite en prenant du premier vase et de ce second clair. Prends maintenant le premier, c'est-à-dire le plus obscur avec un pinceau un peu gros et peu pointu, suis les plis de ta figure dans les lieux les plus obscurs et ne dépasse jamais le milieu de la grosseur de cette figure ; ensuite prends la couleur du milieu, couvre tes plis en partant du ton obscur. Alors, prends la couleur la plus claire et couvre le côté de la lumière, en conservant toujours le nu sans coloris ; puis, avec un autre vase de blanc pur termine avec soin les reliefs les plus saillants. "

   À la fin du XVIe s., les préparations blanches étant le plus souvent recouvertes d'une couche isolante d'impression colorée (" imprimatura ") en brun ou en rouge, les valeurs claires furent établies à l'aide d'empâtements de blanc, disséminés çà et là (Tintoret, Titien), et les valeurs sombres furent, inversement, exécutées en glacis sur les préparations brunes. La pellicule colorée dans les tons sombres diminua ainsi d'épaisseur. Ce procédé fut utilisé jusqu'au XIXe s., avec quelques variantes (valeurs sombres exécutées à l'aide de jus bitumineux à l'époque romantique), et fut abandonné au XXe s. Corot travaillait encore de la sorte.