Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Still (Clyfford)

Peintre américain (Grandin, North Dakota, 1904  – Baltimore 1980).

Après des études à la Spokane University de Washington, il enseigne le dessin et la peinture au Washington State College de Pullman (1933-1941). Lorsque les États-Unis entrent en guerre, il travaille dans des usines d'armement à San Francisco, où il reprend ensuite l'enseignement de la peinture à la California School of Fine Arts (1946-1950). Si les toiles qu'il expose en 1946 à la gal. Art of this Century portent encore la marque du Surréalisme, des peintures telles que 1943-A (1943) ou Jamais (1944, Venise, fondation Peggy Guggenheim) dénotent déjà le souci de restituer à la toile l'intégralité de son espace : composition décentrée, mise en évidence des limites du tableau ; celui-ci tend à apparaître comme le fragment d'un ensemble plus vaste, au champ indéterminé. Vers la fin des années 40, Clyfford Still, pionnier de l'Expressionnisme abstrait, cherche essentiellement à individualiser son style ; il voit dans la peinture " un acte inqualifiable " qui doit rompre " avec l'illustration de mythes éculés ou des divers alibis de notre monde contemporain ", et dont l'artiste " doit assumer l'entière responsabilité ". Ainsi en arrive-t-il, en même temps que Barnett Newman et Mark Rothko, à la réduction de sa gamme chromatique au profit de grandes surfaces de couleurs vives dont la luminosité et le degré de saturation — calculés — doivent provoquer des effets optiques déterminés. Cependant, à ces premières exigences vient s'ajouter un travail sur la texture de la couleur elle-même qui rapproche parfois Still de l'Action Painting (1948-D, 1948, New York, coll. William Rubin). À New York, où il enseigna à partir de 1950 au Brooklyn College, le maître participe à l'exposition " Fifteen Americans of the M. O. M. A. " (1952) : les toiles qu'il y présente sont d'un format " mural ", et les taches en forme de flammes font place à de grandes nappes sans volume, jouant sur les rapports de deux ou trois couleurs (Painting, 1951, New York, M. O. M. A.). Le noir, " non-couleur privilégiée ", tend bientôt à envahir presque toute la toile, préservant la continuité du plan (1957-D n° 1, 1957, Buffalo, Albright-Knox Art Gal.). C'est de cette insistance mise sur la " limite " que certains peintres de la Nouvelle Abstraction sauront tirer parti. L'artiste est revenu ensuite à des effets de couleur où le noir intervient Peinture, 1964). Il est représenté dans les grands musées américains (New York, Chicago, Detroit, San Francisco, Saint Louis) et européens (Amsterdam, Londres, Paris, Stockholm). Une exposition lui a été consacrée (Buffalo, Albright-Knox Art Gallery) en 1996.

Stimmer (Tobias)

Peintre, dessinateur et graveur suisse (Schaffhouse  1539  – Strasbourg  1584).

Il était l'aîné des onze enfants de Christophe Stimmer (Constance 1520/1525 – Rottweil 1562), dessinateur et calligraphe, qui lui apprit probablement les rudiments du métier. Nous ignorons pratiquement tout de sa formation ; selon certains critiques, il étudia à Zurich chez Hans Asper ; pour d'autres, il demeura à Schaffhouse auprès de Félix Lindtmayer ou se rendit à Constance. Il acheva son apprentissage v. 1556. Peut-être se rendit-il alors en Italie, où il aurait travaillé avec Giambattista Zelotti et ses élèves aux fresques du Palazzo Trevisan de Murano ; une autre hypothèse le fait suivre Lindtmayer dans son voyage le long du Danube. Quoi qu'il en soit, il n'ignorait ni la peinture vénitienne ni l'école d'Altdorfer. Les premiers dessins datés que nous possédions attestent une précocité surprenante : le Christ au mont des Oliviers (1557, Dessau, Gg). Dans un paysage nocturne tourmenté, dramatisé par la tension qui domine les clairs et les obscurs, la scène est saisie avec une intensité qui rappelle Grünewald. La composition, encore en surface, pose néanmoins les problèmes qui seront résolus plus tard : lumière et espace. En 1560, il est mentionné au registre fiscal de Schaffhouse ; il semble avoir déjà joui d'une certaine célébrité, car il reçoit des commandes de portraits : Conrad Gessner (1564, Schaffhouse, musée de Tous-les-Saints) et le double portrait en pied de Jacob Schwytzer et de sa femme Elsbeth Lochmann (1564, musée de Bâle). Les figures sont vivement découpées dans une lumière que rehausse la richesse du coloris. La composition, sobre et serrée, a la vigueur de certaines œuvres de Niklaus Manuel. L'artiste fournit le modèle d'un gobelet d'argent que la ville de Schaffhouse offrit à Conrad Dasypodius, le mathématicien, en récompense de sa dédicace de la Géométrie d'Euclide, parue à Strasbourg chez C. Mylius. Il fournit aussi à des éditeurs strasbourgeois, à Bernard Jobin notamment, de nombreuses illustrations.

   De 1567 à 1570, il réalise pour Hans von Waldkirch la façade de la maison Zum Ritter à Schaffhouse (restaurées en 1919, les fresques sont au musée de Tous-les-Saints, mais ont été reconstituées sur la façade par Karl Rösch). Concentrant la double tradition décorative de Titien, de Véronèse et de Holbein, ces peintures sont distribuées selon un programme historico-mythologique plus ou moins précis sur les thèmes de la guerre et de la paix. Vers 1570, le peintre s'établit à Strasbourg et exécute dans le même style la décoration de l'Horloge astronomique de la cathédrale (thèmes du Salut et de la Chute, la prophétie de Daniel, les quatre saisons, Uranie et Copernic). Il commence alors à graver sur bois, reçoit de nombreuses commandes et s'adjoint ses frères Josias et Christophe. En 1576 paraissent chez Thomas Guarin, à Bâle, 170 gravures sur bois d'après des dessins de scènes bibliques. Elles eurent un succès considérable : Sandrart rapporte qu'en 1637 Rubens en avait copié un certain nombre. Dans les années suivantes, Stimmer décore la grande galerie du château du margrave Philippe II de Baden-Baden, dont il deviendra le peintre officiel. Ces peintures furent détruites en 1689 par les troupes françaises. Une description de l'artiste, datée du 17 mai 1578, concernant ces peintures, est conservée aux Archives municipales de Strasbourg ; elle évoque les portraits en pied des margraves de Bade et les silhouettes des empereurs leurs contemporains, les signes des mois et ceux du zodiaque, des figures allégoriques, des illustrations de la vie vertueuse et de la vie dissipée de l'homme, les Parques enfin sous la voûte, le Rédempteur dans le cercle des élus.

   En 1580, Stimmer écrit et illustre de dessins d'une étonnante liberté une œuvre satirique, la Commedia. En 1582, il est de retour à Strasbourg ; il y travaille pour le couvent de Saint-Jean-in-Undis, prodigue ses conseils à de nombreux artistes de passage, surtout des compatriotes, comme C. Murer, B. Lingg et Hans Plepp. Il est la première grande personnalité artistique apparue dans cette région depuis Holbein. Son originalité est d'avoir su intégrer aux principes maniéristes de son siècle des éléments de l'école du Danube et de l'esthétique de Dürer et de s'être ainsi forgé un langage autonome, intermédiaire entre les traditions italiennes et germaniques, annonciateur du futur Baroque de l'Allemagne méridionale.