Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
C

crevasse

Forme particulière de craquelure, très importante par sa dimension et sa profondeur. Elle est provoquée, le plus souvent, par l'emploi de bitume, soit qu'il ait été utilisé dans l'ébauche, soit qu'il ait été employé en pâte comme une autre couleur.

critique d'art

Définitions

Au sens étroit : genre littéraire spécifique dont l'apparition tardive coïncide avec la reprise, au XVIIIe s., de l'organisation régulière d'expositions publiques. Les Salons de Diderot en sont le prototype par excellence. Le critique d'art s'oppose ici à l'historien (il prend parti et cherche souvent à infléchir la production contemporaine) et au théoricien (dont il peut utiliser les principes, mais dans une perspective qui vise toujours l'individualité concrète de l'œuvre). Au sens large : tout commentaire sur une œuvre contemporaine ou du passé. La critique d'art peut alors s'intégrer à d'autres disciplines (esthétique, poétique ou théorie artistique, histoire de l'art) ou à d'autres genres (poésie, fiction romanesque, biographie, essai, correspondance, journal). Ses débuts sont à chercher dans un procédé littéraire cultivé par les Grecs sous le nom d'ekphrasis, dont la description par Homère du bouclier d'Achille est souvent citée comme le premier exemple.

   Quelle que soit l'extension que l'on donne à ce terme, toute critique d'art implique un jugement, explicite ou non, sur l'œuvre considérée, le fait d'en parler constituant à lui seul un choix. Et c'est ainsi que l'on a pu qualifier d'" actes critiques " (Longhi) l'achat, le vol, la falsification, la copie, la restauration ou la destruction d'œuvres d'art, tandis que Panofsky voyait dans l'attribution l'essence même d'une compréhension critique, celle du " connaisseur " défini comme " historien de l'art muet ". Qu'elle se veuille franchement normative ou objectivement analytique, la critique se réfère inévitablement à une échelle de valeurs et à une certaine conception de l'œuvre d'art. C'est dire qu'il n'y a pas de critique innocente (une simple description fait déjà appel à la notion d'imitation et suppose une première lecture, donc une interprétation) et que tout commentaire d'un tableau engage obligatoirement un goût, une praxis ou une doctrine artistique, une vision de l'histoire et une esthétique qui, même sous-entendue, ne peut que renvoyer à une ontologie implicite, voire à une idéologie. Toute critique est donc datée, en ce qu'elle prend racine dans un contexte socioculturel donné qui lui suggère à la fois ses normes de référence et ses catégories d'analyse. D'où l'intérêt de l'histoire de la critique comme branche d'une " histoire de l'esprit " aussi bien que comme discipline auxiliaire de l'histoire de l'art. Et si l'étude de commentaires anciens est précieuse pour restituer la situation et l'intention d'œuvres d'art du passé, il en découle que toute bonne critique ne peut être qu'historique, de même que toute histoire de l'art valable se doit d'être critique, les deux activités convergeant à la limite vers une prise de conscience qui vise à assumer la distance entre deux relativités, celle de l'œuvre à son milieu et celle du critique au sien.

   La découverte de cette interdépendance ainsi que la réflexivité croissante, depuis le siècle dernier, de l'œuvre d'art, qui tend à assumer elle-même une dimension critique, ont favorisé l'approfondissement récent d'une double interrogation relative au statut (nature, buts, devoirs, limites) et à l'histoire d'un genre que, par ailleurs, la multiplication des manifestations artistiques et la diffusion de la presse et de l'édition avaient contribué à vulgariser. Cristallisé d'abord autour de quelques centres (à Vienne : J. von Schlosser ; en Allemagne : A. Dresdner ; en Italie : L. Venturi et la revue L'Arte ; en Angleterre : D. Mahon, A. Blunt, E. Gombrich ; aux États-Unis : F. P. Chambers, E. Panofsky, R. W. Lee), l'intérêt pour ces problèmes semble aujourd'hui se généraliser.

Les débuts : l'Antiquité

La possibilité d'une critique d'art présuppose, de la part des écrivains, une certaine considération pour les artistes. Son avènement passe donc par l'émancipation du statut social du peintre et du sculpteur, longtemps relégués dans l'anonymat ou méprisés comme pratiquant un métier manuel et rétribué. À ce dédain de la part des " arts libéraux " s'est ajoutée la méfiance des philosophes, dévaluant le sensible au profit de l'intelligible et préférant la vérité à l'illusion, l'être à l'apparence. Enfin, la difficulté propre à la critique d'art étant l'hétérogénéité des langages (faire correspondre des mots à des images), sa réussite dépend d'un certain nombre de connaissances techniques ainsi que de l'élaboration d'une terminologie spécifique. Tout cela explique peut-être que les premières tentatives aient été souvent le fait des artistes eux-mêmes, tel le sculpteur Xénocrate, principale source de Pline l'Ancien. Mais si la critique des " professionnels " a le mérite d'une certaine technicité, son orientation théorique, voire pédagogique, risque de lui conférer une allure normative, et la codification de " canons " (Praxitèle), la définition de modèles idéaux (Apelle, Lysippe, puis Phidias) ou de critères dogmatiques (vérité de l'imitation, harmonie des proportions numériques) devaient la conduire tout naturellement à concevoir l'évolution comme un progrès ou une décadence.

   Avec le développement du marché, la constitution de collections, l'intégration des arts visuels dans les programmes d'éducation culturelle (Aristote) et la multiplication des voyages (Pausanias) apparaît une critique d'amateurs profanes, souvent hommes de lettres pour qui l'intérêt d'un tableau est plus dans le contenu (le sujet) que dans le mode de représentation (la forme). D'où les premiers conflits entre artistes et critiques, et l'apparition de la querelle de la compétence (Zeuxis). De plus, la spéculation sur la correspondance entre art et littérature (Aristote, Quintilien, Cicéron, Horace [ut pictura poesis]), mettant encore l'accent sur l'" histoire " figurée, encourage la pratique de l'ekphrasis (Callistrate, Ovide, Lucien, les Philostrate, etc.) et imprime aux commentaires un caractère narratif ou descriptif qui, lui aussi, aura la vie dure.

   L'Antiquité n'a pas connu la critique d'art stricto sensu, puisque aucun auteur ne s'est attaché à rendre compte d'œuvres de son temps. D'autre part, tous les textes qui nous intéressent ici sont insérés dans des genres non spécifiques (traités, vies, guides géographiques, fiction, etc.). Mais, bien que normative ou descriptive, la réflexion antique sur l'œuvre d'art a préparé les instruments de la future critique d'art. Certes, la terminologie reste embryonnaire, mais les concepts se dessinent, les catégories se précisent : " mimesis " (Platon, Aristote), vraisemblance et convenance, beauté (mais les domaines esthétique et artistique ne sont pas encore explicitement reliés), hédonisme, utilitarisme, mystique du nombre, etc. Vers la fin de l'Antiquité, les derniers obstacles semblent être levés lorsque, dans le contexte du stoïcisme et du néoplatonisme, se développe la notion de " fantaisie ", ancêtre de celle d'" imagination " et signe d'une reconnaissance de la créativité de l'artiste.

L'intermède médiéval

Mais le quasi-monopole de l'Église dans l'organisation de la production artistique, entraînant une brusque mutation des conditions socioculturelles, devait bientôt bloquer l'émancipation théorique du génie inventif et retarder de plus d'un millénaire la naissance d'une véritable critique d'art. En effet, renaît la vieille ségrégation que le Moyen Âge va systématiser en codifiant les arts mécaniques, où les peintres mettront d'ailleurs du temps à trouver une place, reconfinés d'abord dans l'anonymat, puis groupés tardivement dans des gildes professionnelles où ils voisineront parfois avec les droguistes. Lorsque ces artisans prendront la plume, ce ne sera que pour transmettre des procédés techniques, les recettes du métier : et les seuls écrits consacrés à la peinture seront longtemps des " manuels " d'ateliers (Heraclius, Schedula du moine Théophile, Hermeneia du mont Athos, etc.). De plus, toute la métaphysique théologique tendait à développer un contexte fort peu propice à la reconnaissance de l'œuvre d'art comme valeur sui generis : méfiance iconoclaste, ascétisme et dévaluation du monde terrestre, manichéisme de l'esprit contre la matière détournent l'attention de la forme individuelle et concrète vers un contenu transcendantal et exclusif dont le clergé se réserve la clé. C'est pourquoi les quelques notations critiques positives qui émergent de la littérature médiévale, et qu'a brillamment dégagées E. de Bruyne, assument parfois un caractère presque clandestin et sont à cueillir, souvent entre les lignes, dans des textes fort dispersés : tandis que des formes héritées de l'Antiquité se perpétuent, comme l'ekphrasis (descriptions de monuments chrétiens, réels ou imaginaires, où l'accent est toujours mis sur le programme iconographique et sa valeur édifiante : Paulin de Nole, Grégoire de Nysse, Asterius, Jean de Gaza, Paul le Silentiaire), les dérivés de l'épigramme (titulus, puis sonnet ou canzone), les guides topographiques (axés sur les trésors des itinéraires de pèlerinage), etc., de nouveaux genres doivent être pris en considération, comme les inventaires, les chroniques (Suger, Gervais de Canterbury) ou les écrits polémiques (Libri Carolini, Bernard de Clairvaux). Parallèlement, la spéculation esthétique se poursuit (saint Augustin, saint Bonaventure, saint Thomas), mais dissociée de la théorie artistique, tout comme la réflexion sur la perspectiva naturalis et les problèmes d'optique (Witelo, Peckham, Grosseteste).

   Cependant, et même sans tenir compte du XIVe s. florentin, où l'importance croissante des arts plastiques dans la vie culturelle de la cité suscite une première renaissance de la critique picturale (Dante et Boccace sur Giotto, Pétrarque sur Simone, Filippo Villani et les commentateurs de la Divine Comédie), le bilan demeure positif et certaines découvertes resteront acquises, comme celles de la valeur morale ou mystique de la couleur (Theophilus, Suger) ou de l'intérêt, pour une lecture symbolique ou allégorique de l'image, des méthodes de l'exégèse à plusieurs niveaux (pseudo-Denys l'Aréopagite, Scot Érigène).