Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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marines

Nom donné aux peintures ayant la mer pour sujet et, par extension, genre que constituent ces peintures.

   On peut trouver dans les tableaux italiens du XIVe et du XVe s. ou dans les tableaux des " primitifs " flamands différentes représentations de la mer associées à des sujets religieux. Mais c'est dans les Pays-Bas du XVIe s. qu'apparaissent, à proprement parler, les " marines ".

Le XVIe siècle : premières marines aux Pays-Bas

On peut considérer comme la première marine le tableau peint v. 1520 par Cornelisz Anthonisz et représentant une flotte portugaise qui ne semble pas prête à combattre, mais plutôt à cingler vers les riches escales de la côte africaine (Londres, Greenwich Maritime Museum). Quant à la première Tempête, isolée de tout contexte anecdotique, elle est due à Pieter Bruegel le Vieux (Vienne, K. M.) ; il suffit d'évoquer en outre la vue que celui-ci peint du Port de Naples (Rome, Gal. Doria Pamphili) durant son séjour en Italie, le développement de l'horizon marin dans une peinture comme la Chute d'Icare (Bruxelles, M. R. B. A.), enfin la série de gravures de navires exécutées d'après ses dessins pour évaluer son rôle dans la formation de la peinture de marines.

Le XVIIe siècle : développement de la peinture de marines aux Pays-Bas

Les peintres d'histoire tiennent aussi une place non négligeable. En 1533, Vermeyen avait accompagné Charles Quint en Tunisie et peint le Débarquement de Carthage. Au début du XVIIe s., Hendrick C. Vroom commémore les batailles navales contre les Espagnols. Il forme des élèves comme Aert Van Antum et C. C. Van Wieringen, au talent plus personnel. Mais le véritable chef de file des marinistes néerlandais est Jan Porcellis. Le seul sujet de ses tableaux, c'est la mer, loin des ports, loin des côtes, et le mouvement des vagues gris argent sous le ciel lourd. Porcellis influence toute une génération de peintres, préparant ainsi directement l'apogée du genre au milieu du siècle avec ses élèves S. de Vlieger et J. Van de Cappelle, peintre des mers calmes, aux reflets limpides, traités en glacis, mais dans une luminosité intense, puis les deux Van de Velde, qui se fixent à Londres en 1672. Le second Van de Velde surtout excelle à représenter aussi bien les ciels sereins que les orages ou la brume confondant les nuages et les embruns, les silhouettes élancées des navires affrontant la bourrasque ou balancés par la houle. Il influence à son tour Backhuysen, qui recherche lui aussi les effets de miroitement d'ombres mouvantes projetées sur l'océan par la fuite des images. L'épanouissement de la peinture de marines s'accomplit d'autant plus brillamment qu'il coïncide avec celui du paysage pur. Albert Cuyp s'affirme comme un maître dans l'un et l'autre genre, selon l'expression de Constable, avec ses " clairs-obscurs lumineux ", où les falaises, les voiles, les amas de nuages rythment l'espace en profondeur ; de même, Jacob Van Ruisdael peint la mer démontée, les coulées blafardes de clair de lune sur la crête des vagues. À partir de 1630, Jan Josephs Van Goyen, l'un des créateurs du paysage " réaliste " hollandais, donne une place de plus en plus importante à l'eau (lacs, fleuves hollandais) dans ses paysages (Embouchure de fleuve, 1655, Mauritshuis, La Haye).

Le XVIIe siècle en Italie

Parallèlement à cette lignée de maîtres actifs en Hollande, Paul Bril, émigré en Italie à la fin du XVIe s., préserve le lien ténu qui va relier la tradition flamande de Bruegel à l'art des paysagistes classiques et, par l'intermédiaire de son élève Agostino Tassi, à Claude Lorrain.

   Celui-ci peint certes plus des ports de mer que de véritables marines. Les rives baignées de soleil et les architectures dorées comptent autant que les reflets sur l'eau, mais il s'en dégage une poésie qui est celle de la mer, un mystère qui est celui des départs pour des voyages hors du temps. Venu de Naples, un autre courant se manifeste à Rome avec Salvator Rosa, dont les marines tourmentées, aux éléments déchaînés, aux horizons inquiétants, influencent Tempesta, qui trouve ainsi le moyen de dépasser la leçon néerlandaise apprise de son père, Pieter Mulier le Vieux, et d'atteindre, avec un savoir-faire étonnant, les effets dramatiques qui lui vaudront son surnom.

   À son tour, Tempesta ouvre la voie aux paysagistes lombardo-vénitiens, à Bartolomeo Pedone notamment et surtout à Marco Ricci. Celui-ci, gardant présent à l'imagination les fantasmes de Magnasco, accueillant, à travers Tempesta, les conceptions de Salvator Rosa, crée un univers de cataclysmes maritimes, d'explosions orageuses avant qu'un séjour à Londres et aux Pays-Bas ne l'oriente vers les ambiances plus subtiles, les compositions plus ordonnées.

Le XVIIIe siècle à Venise

Les œuvres de la dernière manière de Tempesta, celles aussi d'un Carlevarijs, peintre de marines sagement composées, celles enfin de Van Wittel, qui apporte sur la lagune un nouvel écho de la tradition néerlandaise, vont déterminer l'éclosion d'une forme proprement vénitienne du paysage marin, la " veduta " de Canaletto et de Guardi.

   Ni l'un ni l'autre ne sont peintres de marines. Seul le second s'aventure parfois en haute mer. Leur domaine, c'est Venise et l'Adriatique, parce qu'elle baigne Venise. Le papillotement des voiles sur l'eau ou celui des silhouettes masquées sur la Piazzetta ont la même valeur dans la composition. Mais celle-ci tient sa " respiration ", son ambiance particulière au recours aux conquêtes visuelles — et techniques — élaborées par les peintres de marines : irrisation de l'atmosphère, mouvance, réflexion sur l'eau.

Le XVIIIe siècle en France. Vernet

En France, la tradition de Claude et du paysage classique est transposée par Joseph Vernet dans la célèbre série des Ports de France (Louvre ; Paris, musée de la Marine). Mais ce n'est là qu'un aspect de l'œuvre de ce peintre, dont la production, abondante, diverse, très prisée de ses contemporains, lui vaut des éloges enflammés de Diderot : " Quelle immense variété des scènes et des figures ! Quelles eaux ! Quels ciels ! Quelle vérité ! Quelle magie ! Quel effet ! " La vérité, la magie, l'effet, c'est la Hollande, Claude et Tempesta réunis... " S'il suscite la tempête, écrit encore Diderot, vous entendez siffler le vent et mugir les flots [...]. C'est Vernet qui sait rassembler les orages [...]. C'est lui qui sait, quand il lui plaît, dissiper la tempête et rendre calme la mer, la sérénité aux cieux. "

Les marinistes anglais et Turner

L'art de Vernet connaîtra un rayonnement certain en Angleterre par l'intermédiaire de Richard Wilson, que Vernet fréquente à Rome. Arrivé en Italie comme peintre de portraits déjà fort coté, celui-ci en repartira paysagiste. Il sera l'un des grands maîtres du genre. Mais le choc majeur viendra de Hollande. Wilson lui-même proclame d'ailleurs son attachement à Momper, à Albert Cuyp. Celui-ci, en même temps que les Van de Velde, exerce une influence déterminante sur Brooking, Scott, Monamy, John Crome. Et Constable déclare : " J'ai commencé à peindre quand j'ai eu une petite peinture de Jacob Ruisdael à copier. " Enfin, Turner, dont la première manière dérive encore d'Albert Cuyp, dira à propos d'une gravure de Van de Velde : " C'est cela qui a fait de moi un peintre. "

   La dernière période de sa carrière, après 1835, est celle des éléments transmués, des visions, des mirages. Mais Turner reste pour Ruskin " le seul homme qui ait donné une transcription totale du système de la nature dans son ensemble, et par conséquent le seul véritable peintre de paysage que le monde ait jamais connu ".

Les marines romantiques

Pour les romantiques, en France, la mer est aussi l'élément terrifiant que l'homme affronte dangereusement, comme sur le Radeau de la Méduse, la Barque de Dante ou celle de Don Juan. Mais, en 1824, Constable expose à Paris. En 1825, Bonington entraîne Delacroix en Angleterre. Eugène Isabey part avec eux. Paul Huet fera lui aussi le voyage. Il peint des marées fracassantes, des orages, des inondations, des paysages dits " shakespeariens ", selon Théophile Gautier. C'est la Manche, furieuse ou calmée, qui inspire un peu plus tard à Courbet ce qu'il appelle ses " paysages de mer ".