Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Michel-Ange (Michelangelo Buonarroti, dit en français) (suite)

La chapelle Pauline et les derniers dessins

La décoration de la chapelle de Paul III au Vatican s'inscrit, elle aussi, dans la perspective des nouvelles méditations religieuses de Michel-Ange. La réalisation de la première fresque l'occupa de juillet 1542 à juillet 1545 (il s'agit vraisemblablement de la Chute de saint Paul), alors que la deuxième fresque, avec la Crucifixion de saint Pierre, fut exécutée entre mars 1546 et le début de 1550. Dans la Conversion de saint Paul, comme dans le Jugement, le Christ apparaît dans toute sa fulgurante puissance, enveloppé d'une nuée d'hommes nus attirés par sa personne, tandis que les mortels, en bas, se montrent bouleversés par l'événement inattendu ; Michel-Ange ne semble pas avoir sensiblement modifié son style par rapport au Jugement, sauf dans la gamme des couleurs, plus claire et plus tendre. Bien plus neuf est le style de la fresque avec la Crucifixion de saint Pierre. Le martyre du prince des Apôtres se déroule sur un rythme lent et dans une atmosphère hallucinée ; la côte volcanique sur laquelle on élève la croix au premier plan se dresse selon une perspective irrationnelle. La scène semble se poursuivre au-delà des murs, sur les côtés et en bas, les soldats et les autres assistants continuant à avancer pesamment, telles des larves que la peur fait hésiter. Aucune violence dans le supplice, mais plutôt l'accomplissement implacable d'un destin de tout temps établi.

   On n'a pu, jusqu'à présent, identifier aucun dessin pour la Chute de saint Paul ; pour le Martyre de saint Pierre, seules subsistent quelques esquisses à la pierre noire sur une feuille d'études d'architecture (Haarlem, musée Teyler) ; on conserve cependant, bien que repris et endommagé, un fragment de carton utilisé par Michel-Ange pour les soldats en bas à gauche (Naples, Capodimonte).

   Une fois terminée la décoration de la chapelle Pauline, Michel-Ange se consacre presque exclusivement à des travaux d'architecture pour l'église de Saint-Pierre, le Capitole, le palais Farnèse, l'église de S. Giovanni dei Fiorentini. Son activité de sculpteur se réduit à la méditation tourmentée sur le thème de la Pietà (dont il reste un dessin émouvant à l'Ashmolean Museum d'Oxford avec des variantes qui préludent à la Pietà Rondanini).

   C'est à la dernière activité de Michel-Ange et surtout aux années de dévotion fervente sous la papauté de Paul IV qu'appartiennent quelques dessins de thème sacré, constituant l'un des plus émouvants témoignages de l'intelligence vigilante et de l'intense passion religieuse qui animèrent encore l'ultime partie de la vie du maître. Le groupe de dessins avec le Christ chassant les marchands du Temple (3 études d'ensemble à la pierre noire au British Museum ; d'autres esquisses de détail, toujours à la pierre noire, sur une feuille, de l'Ashmolean Museum d'Oxford) est encore proche du Martyre de saint Pierre. N'étant plus tenu à la précieuse finition chère à Vittoria Colonna, Michel-Ange affronte avec fougue ce thème d'un caractère moral évident et corrige ses premières impressions en superposant anxieusement les repentirs et les variantes. Un autre thème sur lequel il médita longuement vers la fin de sa vie est celui du Christ en croix entre la Vierge et saint Jean, dont il reste des dessins à la pierre noire conservés au British Museum, à Windsor Castle, au Louvre et à l'Ashmolean Museum d'Oxford. Les contours des corps sont devenus palpitants et insaisissables, confondus dans un clair-obscur infiniment sensible. On peut rapprocher de ce groupe de dessins deux études à la pierre noire pour une Annonciation (British Museum) et la double étude à la pierre noire pour un Christ qui prend congé de sa mère (Cambridge, Fitzwilliam Museum). Les derniers dessins de figures tracés par la main de Michel-Ange sont sans doute l'Annonciation de l'Ashmolean Museum d'Oxford (datable entre 1556 et 1561) ainsi que la Vierge avec l'Enfant du British Museum (tous les deux à la pierre noire). D'une main de plus en plus hésitante et insatisfaite, Michel-Ange, âgé de quatre-vingts ans, évoque des corps rongés et défaits par l'atmosphère qui les enveloppe.

   Après ces feuilles, on ne connaît plus d'autres dessins de figures de Michel-Ange, mais une idée de ce que durent être les dernières images de son imagination visionnaire nous est conservée par la Pietà Rondanini, à laquelle Michel-Ange travailla durant les derniers jours de sa vie, et par les dessins pour la Porta Pia, postérieurs à 1561 et qui déjà semblèrent " tous extravagants et très beaux " à Vasari (Florence, Casa Buonarroti ; Windsor Castle ; Haarlem, musée Teyler).

Michel-Ange dessinateur

Si l'on en croit Francisco de Holanda (Dialogues), Michel-Ange a été le premier à définir le dessin comme le " seul art et science existant sur la Terre... dont tous les autres dérivent et font partie ". Il est difficile de déterminer dans quelle mesure cette conception relève de la pensée néo-platonicienne, dont Michel-Ange était imbu, et d'affirmer par conséquent que le dessin était pour l'artiste la traduction immédiate d'une vision fulgurante du monde supraterrestre des " idées ". Il est certain par contre qu'il le considérait comme l'expression d'une " image intérieure ", conçue au-delà de l'expérience physique, et déjà Vasari (Introduction aux Vite), en interprétant de toute évidence son maître, entoure la notion de dessin d'un " halo ontologique " (Panofsky) ; d'où l'origine d'une conception dualiste de la création artistique, sur laquelle reposent la théorie et la pratique du Maniérisme tardif.

   La valeur intellectuelle conférée au dessin, reconnu comme le dénominateur commun et le facteur premier des arts plastiques, ouvrait un nouveau terrain d'intérêt aux collectionneurs, pour lesquels les feuilles dessinées, notamment celles de Michel-Ange, commencèrent à acquérir une signification autonome. Michel-Ange fournit lui-même des cartons et des dessins pour leurs propres œuvres à certains artistes, Sebastiano del Piombo par exemple.

   Leur circulation en Italie et à l'étranger, sans doute plus précoce qu'on ne l'imagine d'habitude, pourrait avoir eu un impact égal, sinon supérieur, aux gravures et aux miniatures exécutées d'après ses sculptures, ses fresques et ses dessins dits " de présentation " pour Tommaso Cavalieri et Vittoria Colonna, dont le caractère très particulier a été mis en évidence plus haut. On peut rattacher à cette série les dessins représentant des " figures idéales ", probablement des portraits où la recherche de la beauté parfaite aboutit à d'inhabituels effets de préciosité. Le corpus des dessins de Michel-Ange, reconstitué à l'heure actuelle non sans controverses quant à leur autographie et chronologie, est considérable. Mentionner tel ou tel relèverait d'un choix arbitraire : il semble préférable d'en résumer les principales étapes, caractérisées chacune par des moyens expressifs qui illustrent d'une façon plus intense et plus immédiate que les œuvres peintes et sculptées l'itinéraire spirituel et formel de l'artiste. Les copies d'après les maîtres du passé, exercices de sa toute première jeunesse, nous sont hélas parvenues en petit nombre ; ensuite, Michel-Ange s'oriente avec décision vers cette recherche de tension plastique qu'il poursuivra jusqu'à la fin de sa maturité et qui, appliquée au corps humain, traduit de façon obsédante la conception néo-platonicienne du " voile mortel " dont l'âme prisonnière s'efforce de se libérer. Sa technique de prédilection est d'abord (1501-1505) l'encre noire, qui permet des contours nets isolant les corps de l'atmosphère et des hachures vigoureuses soulignant les parties privilégiées de la composition, celles dont se dégage le mouvement. Ensuite, pendant le deuxième séjour romain (1505-1516), la préférence est donnée au crayon noir et à la sanguine, avec une manière plus fondue et des effets chromatiques qui relèvent presque du " ténébrisme " dans les études exécutées pour aider son ami Sebastiano del Piombo.

   Ensuite, le code expressif semble s'inverser : les zones à mettre en valeur sont éclairées par des " coups de flash " violents dont le correspondant pictural se retrouve dans le Jugement dernier ; les corps tendent à s'intégrer à l'espace environnant, jusqu'à en émerger comme des visions imperceptibles, suggérées par des contours quasi transparents. À ce point, l'activité artistique de Michel-Ange se réduit presque totalement au dessin. Il suffit de rappeler que c'est au cours de cette même période que se situent aussi ses plus importants dessins d'architecture. Il faut enfin mentionner la découverte des dessins muraux exécutés par Michel-Ange en 1530 dans une cave située au-dessous de la chapelle S. Lorenzo (Florence), lorsque, après la chute de la république, dont l'artiste avait été le partisan, la répression des troupes pontificales l'obligea à se cacher pendant quelque temps. Tracés sous l'impulsion d'un état émotionnel très particulier, ces dessins, qui ont à la fois la puissance monumentale des peintures et des sculptures et l'impulsivité des esquisses sur papier, constituent une sorte de synthèse de l'activité créatrice de Michel-Ange. On y retrouve l'évocation de la totalité de son monde figuratif, sous les formes qu'on pourrait qualifier de souvenirs et d'anticipations, si elles ne prouvaient, avec une force jusqu'ici inconnue, l'unité et l'immuabilité de l'univers poétique michélangelesque.