Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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estampe (suite)

Le XIXe siècle et l'eau-forte de peintre

Vers le milieu du siècle, l'eau-forte, qui n'avait jamais été tout à fait abandonnée par les peintres, connut un grand essor, en partie sous l'influence, alors si vive, de l'art néerlandais du XVIIe s., surtout dans le paysage. Paul Huet est parmi les pionniers du mouvement, Daubigny l'un des plus féconds, Millet peut-être le plus accompli. Deux artistes se consacrent surtout à l'eau-forte, les graveurs Bresdin et Méryon. En Angleterre, Whistler et Seymour Haden, prestigieux techniciens, instaurent une manière qui deviendra tradition. Mais les successeurs les plus intéressants de ces aquafortistes du milieu du siècle sont les impressionnistes, Manet, Degas, surtout Pissarro, dont l'œuvre gravé assez vaste fait preuve d'une curiosité technique pleine d'invention : morsures multiples, teintes, impressions en couleurs.

L'estampe moderne

La génération postimpressionniste, plus particulièrement dans les années 1890, renouvela totalement l'art de l'estampe ; les volumes de l'Estampe originale en sont un témoin monumental. Les principales techniques mises en œuvre sont la lithographie, qui languissait depuis le Romantisme, et le bois gravé. La lithographie en couleurs, souvent réservée à des images vulgaires, refleurit grâce à des artistes de premier ordre. Le Polichinelle de Manet est un précédent intéressant, mais le vrai progrès s'opéra par l'affiche ; Jules Chéret, Mucha en furent les initiateurs. Bonnard et Toulouse-Lautrec produisirent dans ce genre des chefs-d'œuvre. Par l'affiche, la lithographie gagnait le mur, prenait des proportions monumentales et, sous l'influence du japonisme, exploitait les couleurs en aplats.

   Les artistes ne se limitèrent pas à l'affiche, et ces nouveautés apparurent aussi dans de nombreuses lithographies en feuilles ou en séries. Presque tous les Nabis s'y sont essayés avec succès dans les dernières années du siècle.

   Le renouveau du bois gravé, opposé à la gravure sur bois, qui déclinait, est lié aux tendances " primitivistes " de la fin du siècle. Les Anglais, tel William Morris, furent les premiers à s'y intéresser, pour l'illustration du livre. Mais Gauguin et Edvard Munch surtout, rendant visibles le travail de l'outil et le grain du bois, en firent un art puissamment et même violemment expressif.

   Munch a pratiqué aussi brillamment la lithographie en noir et en couleurs, l'eau-forte et la pointe sèche. Son œuvre, dont la part la plus frappante se place avant 1900, fut continuée par l'Expressionnisme allemand, qui a trouvé dans l'estampe un langage complet : Kirchner, Barlach, Nolde, Mueller, Schmidt-Rottluff, Heckel accusent de façon brutale l'effet déjà intense des bois de Munch.

   Le Cubisme a entraîné une certaine renaissance du métier classique de l'eau-forte et du burin. Picasso, dont l'œuvre gravé très varié embrasse toutes les techniques et reflète toutes les étapes de son développement, en a laissé de beaux exemples. Quelques planches de Braque dans ce style sont des chefs-d'œuvre. Marcoussis et Jacques Villon ont surtout contribué à ce renouveau.

   En dehors de ces principaux groupes, presque tous les artistes contemporains ont gravé, et ce sont en général les peintres qui ont obtenu les meilleurs résultats : Matisse, Klee, Chagall (planches pour les Fables de La Fontaine), Miró (premières eaux-fortes).

   La tendance moderne destine l'estampe (sauf lorsqu'elle est faite pour une illustration) à la décoration du mur et non au portefeuille du collectionneur.

   Ainsi s'explique l'expansion de la lithographie ; mais celle-ci, souvent confiée pour le principal de l'exécution à un technicien, tend trop facilement à devenir une reproduction de luxe. Font exception, notamment, les lithographies de Dubuffet. Aux États-Unis, l'estampe originale s'est aussi beaucoup répandue. Là encore, ce sont les peintres qui l'illustrent, et ceux de la nouvelle génération de New York s'y intéressent particulièrement, tels Jasper Johns et R. Rauschenberg. De nouveaux procédés ont acquis droit de cité, surtout la sérigraphie et, à un degré moindre, l'estampage.

estampes en couleurs

L'impression en couleurs des estampes se pratique de deux façons. L'une consiste à colorier une planche unique, qui est ensuite imprimée ; l'autre à imprimer successivement plusieurs planches de couleurs différentes sur la même feuille, procédé dit " au repérage ", parce qu'il faut repérer l'emplacement exact des planches sur la feuille. La méthode habituelle du repérage consiste à percer deux petits trous en haut et en bas des planches superposées ; lorsqu'on imprime la première planche, on perce le papier avec deux épingles, que l'on introduit dans les trous de la planche. Il suffit ensuite de placer les épingles dans les trous des autres planches pour assurer une superposition exacte des couleurs. Le principal procédé à une seule planche est dit " à la poupée ". Un procédé moderne, dit " en couleurs simultanées ", a été mis au point à Paris par l'Atelier 17, créé et dirigé par Hayter. Il est fondé, comme la lithographie, sur l'adhérence ou la non-adhérence de l'encre grasse sur les surfaces moins riches en huile ; combiné avec la pénétration plus ou moins grande de rouleaux plus ou moins durs, et encrés de couleurs différentes, dans les parties inégalement évidées de la planche, ce procédé permet des effets colorés très complexes.

   Une méthode de repérage pour l'impression des bois en clair-obscur fut réalisée en 1500 ; bien que peu précise, elle était suffisante pour ce genre de travaux. Un autre procédé était le coloriage des estampes après l'impression du noir ; dès le XVe s., pour qu'il soit plus rapide, ce coloriage fut parfois pratiqué au pochoir. Souvent plus économique que l'impression en couleurs, très délicate, il a été pratiqué jusqu'au XIXe s. C'est au XVIIIe s. qu'on voit apparaître les premières impressions de cuivre " à la poupée ", mais ce procédé peu efficace fut surtout employé en Angleterre au XVIIIe s. L'impression des cuivres au repérage, fondée sur le principe de la trichromie, fut mise au point par l'inventeur allemand J. C. Le Blon en 1704 et répandue par le Français G. d'Agoty. L.-M. Bonnet, dans ses fac-similés de pastels par Boucher, porta le nombre des planches jusqu'à huit (Tête de Flore, 1769). Au début du XIXe s., Engelman mit au point un procédé dit " chromolithographie ", mais les produits en furent longtemps médiocres et ce n'est que vers la fin du XIXe s. que Lautrec, Bonnard, Munch, notamment, en explorèrent les possibilités. Depuis, tous les procédés de la gravure en couleurs ont connu un développement considérable.