Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Hugo (Victor Marie)

Écrivain et dessinateur français (Besançon 1802  – Paris 1885).

L'influence exercée par Victor Hugo sur la peinture romantique a été primordiale : ses poèmes, ses drames ont été les thèmes favoris de nombre de ses amis, peintres ou graveurs, notamment Louis Boulanger et Célestin Nanteuil. Parallèlement à son activité littéraire, il s'adonna aussi au dessin. À partir de 1834-1836, durant ses voyages, il s'essaya à dessiner, à la mine de plomb ou à la plume, des croquis de monuments (le Beffroi de Douai, 1837, Paris, maison de Victor Hugo). Puis, au cours de ses randonnées en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, de 1837 à 1839, Hugo, passionné par l'art gothique, crayonnait sur le motif et réalisait ensuite à l'auberge, ou plus tard, à Paris, des lavis de sépia plus élaborés (le Mythen, Suisse, 1839, id.). Lors de son périple en Rhénanie (1840), le lavis devint son deuxième moyen d'expression lyrique. Hugo illustra son récit le Rhin (1842) par des visions romantiques, d'une grande force poétique (la Tour des rats, première version, sept. 1840, reprise en 1847, id. ; la Ville en pente, 1840-1842, id. ; Château-des-cris-la-nuit, 1840-1842, Paris, B. N. ; le Burg à la croix, 1850, Paris, maison de Victor Hugo ; le Burg sans nom, 1857). Pendant son exil, le dessin prit une place très importante dans sa vie, celle du délassement. Hugo exécuta d'après nature les paysages mélancoliques ou tourmentés des îles Anglo-Normandes (Marée basse, 1855, Paris, B. N.), des marines lourdes d'épaves, d'embruns et de tempêtes (la Vague, ma destinée, 1857, Paris, maison de Victor Hugo). Il réalise également de nombreuses caricatures et quelques dessins spirites. Sa technique devint une véritable alchimie : il mêlait à l'encre du fusain, du charbon, de la suie et même du café qu'il estompait, frottait, grattait ; il procédait par taches, par pliure, par application de pochoirs découpés, de fougères ou de dentelles (le Phare d'Eddystone, 1866, id. ; Souvenir d'un burg des Vosges). Cette œuvre graphique —près de 3 000 dessins, dont les travaux de P. Georgel permettent de préciser la chronologie—, très appréciée de Théophile Gautier, Baudelaire et Philippe Burty, est conservée à Paris, à la B. N. (legs Hugo) et dans les collections de la maison de Victor Hugo (fonds Paul Meurice). Une exposition a été consacrée à " Hugo peintre " (Venise, G. A. M.) en 1993.

Huguet (Jaume)

Peintre catalan (Valls v.  1415  –Barcelone 1492).

Il travailla d'abord à Saragosse, puis à Tarragone, où l'archevêque mécène Dalmau de Mur attirait de nombreux artistes, avant de s'établir à Barcelone en 1448. Figure dominante de la peinture gothique de la seconde moitié du XVe s., il représente le dernier stade de l'âge d'or barcelonais. Après la mort de Martorell, son atelier est le plus actif et le plus productif de Barcelone. Huguet ajoute aux recherches de Martorell et de Luis Dalmau une émotion contenue, un sens du mysticisme et de la grandeur qui lui sont personnels. Mais, s'il s'intéresse à l'aménagement de l'espace, aux effets d'éclairage, à l'observation du paysage naturel, il est généralement forcé par les exigences de sa clientèle artisanale et marchande de rester fidèle aux fonds d'or traditionnels, qui donnent souvent à sa peinture un aspect somptueusement archaïque. Plusieurs peintures d'origine aragonaise lui sont attribuées avec vraisemblance : l'Annonciation (musée de Saragosse) provenant d'Alloza et une toile représentant l'ange gardien devant la Vierge (musée de Saragosse) provenant du couvent du Saint-Sépulcre. Le modelé délicat des figures et le caractère intime de ces scènes annoncent le chef-d'œuvre de cette première période : Le Triptyque de saint Georges (Barcelone, M.A.C. ; Berlin, K.F.M., détruit en 1945).

   D'un séjour à Tarragone (1445-1448) date probablement le Retable de Vallmoll (Barcelone, M.A.C. ; musée de Tarragone), dans lequel on perçoit les modèles flamands utilisés par Dalmau dans sa Vierge des Conseillers (1445, Barcelone, M.A.C.). Entre 1450 et 1455, Huguet peint la Mise au tombeau (Louvre), image traditionnelle, traitée ici avec relief et se détachant sur fond de ciel ; à la même époque appartient l'admirable Flagellation (id.), devant d'autel exécuté pour la confrérie des cordonniers de Barcelone ; au-delà d'une élégante arcature d'arrière-plan se déroule un paysage lumineux avec des arbres, une église, les collines bleuâtres.

   Désormais parvenu à la maturité, Huguet réalise ses chefs-d'œuvre dans un style beaucoup plus large. Le Retable de S. Vicente de Sarriá (Barcelone, M. A. C.), dont 5 panneaux subsistent, aurait été exécuté entre 1458 et 1460. Au faste liturgique s'ajoutent l'étude minutieuse de chaque physionomie, sensible dans l'étonnant groupe des chanteurs de l'Ordination de saint Vincent, ainsi qu'une rigueur géométrique et une grandeur monumentale attestant le souci de construction plastique, qui détache l'artiste des motifs purement linéaires du Gothique international. Le Retable de saint Antoine abbé (1455-1458) a été malheureusement détruit dans les émeutes de 1909. Du Retable des revendeurs, dédié à saint Michel-Archange (1455-1460, Barcelone, M. A. C.), seuls subsistent la charmante Vierge et l'Enfant avec quatre saintes et 3 des tableaux latéraux.

   Le grand Retable des saints Abdón et Senén, resté intact (1459-60, Tarrassá, église S. Maria de Egara), est consacré aux patrons des agriculteurs catalans. Sur un pavement mosaïqué, les deux jeunes gens se dressent en pleine lumière, élégamment vêtus, fiers et mélancoliques. Les panneaux latéraux montrent des scènes de leur martyre, souvent d'un réalisme pittoresque. Le monumental Retable du connétable fut commandé par Pedro de Portugal, devenu Pierre IV, pour la chapelle royale de Barcelone (1464-65, musée d'histoire de Barcelone) ; il décrit les Joies de la Vierge, parmi lesquelles domine l'Épiphanie, avec son riche cortège de rois, dont l'un serait, dit-on, un portrait de Pierre IV. Le Retable de saint Augustin (contrat de 1463) ne fut achevé qu'en 1480 ; il avait été commandé par la confrérie des tanneurs pour leur chapelle de l'église des Augustins ; 8 panneaux en sont conservés (Barcelone, M. A. C.). D'un retable destiné à la confrérie des maîtres vanniers a été conservée la scène centrale : Saint Michel-Archange et Saint Bernardin (1468, Barcelone, musée de la cathédrale). Enfin, 3 figures séparées, Sainte Anne, Saint Bartolomé, Sainte Marie-Madeleine (Barcelone, M. A. C.), provenant de Saint-Martin de Portegas, ont fait partie d'un retable dont le contrat date de 1465.

   Pendant ses dernières années, Huguet, vieilli, semble avoir vécu sur sa réputation et quelque peu industrialisé sa production (Retable de sainte Thècle, 1486, cathédrale de Barcelone) ; sa personnalité disparaît parmi les collaborateurs de son atelier, dont les plus actifs appartenaient à une même famille de peintres, les Vergos.

   La part de Huguet dans la peinture espagnole du XVe s. est considérable : personnalité de stature européenne lié à la tradition catalane par son goût du décor somptueux et sa grâce narrative, encore attaché au lyrisme médiéval, il n'en est pas moins " moderne ", soucieux d'unité spatiale et lumineuse autant que de construction monumentale. Il rejoint ainsi un courant méditerranéen de recherches qui passe par l'Italie et la Provence.