Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Martorell (Bernardo)

Peintre espagnol (documenté à Barcelone de 1427 à 1452).

Il est connu, de 1427 à 1452, par des documents prouvant qu'il fut alors le plus recherché des peintres de Barcelone, succédant dans ce rôle à Borrassá. Un seul de ces documents, daté de 1437, se réfère à une peinture conservée, le Retable de saint Pierre du château de Púbol (musée de Gérone). Mais des comparaisons stylistiques permettent maintenant de lui attribuer avec assurance un groupe d'œuvres longtemps rassemblées sous le nom du Maître de Saint Georges.

   À l'exception du Retable de saint Georges (Chicago, Art Inst. ; Louvre), qui valut à Martorell son nom provisoire, les meilleures de ses peintures, des retables à nombreux compartiments illustrant la vie du Christ ou des saints, sont encore conservées en Catalogne. Elles témoignent d'un tempérament très personnel, le plus original peut-être de l'Espagne du temps. Martorell dut sans doute sa formation à Borrassá, mais il enrichit cet enseignement de leçons apprises à des sources plus " modernes " : miniaturistes de Paris (et singulièrement le Maître de Boucicaut et les Limbourg), sculpteurs bourguignons et peintres de la jeune école flamande, peintres toscans et lombards. Il renouvelle ainsi complètement l'héritage catalan. Sans rien sacrifier du goût gothique de l'arabesque, de la fantaisie ornementale et poétique, il cherche à l'équilibrer par un désir nouveau d'expression des volumes d'unité lumineuse et en même temps d'efficacité dramatique, voire d'observation psychologique, ouvrant la voie à Jaime Huguet.

   Les œuvres que l'analyse stylistique a attribuées à Martorell sont assez nombreuses et jalonnent les différentes périodes de sa carrière. À la première appartient le Retable de saint Jean-Baptiste provenant de Cabrera de Mataró (Barcelone, musée diocésain), la Vierge entourée des Vertus théologales (Philadelphie, Museum of Art) et le Retable de saint Georges (av. 1435), dont l'Art Inst. de Chicago possède le centre (Saint Georges combattant le dragon) et le Louvre 4 panneaux latéraux. Du Retable de sainte Eulalie et de saint Jean-Baptiste (musée de Vich) subsistent 5 épisodes aux décors agrestes, la sainte, demi-nue, étant attachée à une croix de Saint-André entourée de bourreaux ; le Retable de saint Vincent (Barcelone, M. A. C.) provenant de Menarguens, non loin de Tarragone, porte l'écu du monastère de Poblet ; d'une composition très proche, le Retable de sainte Lucie (Paris, coll. part. ; Barcelone, coll. part.). Un triptyque dont le centre est consacré à la Descente de croix (Lisbonne, M. A. A.) révèle chez Martorell la recherche de la perspective, qu'il résout souvent par l'étagement des figures. Le grand Retable de saint Pierre du château de Púbol, unique peinture documentée, a été entrepris d'après un contrat de 1437. Au centre siège l'apôtre en habits pontificaux et portant la tiare. C'est un personnage dans la tradition des grands retables catalans, et agenouillées à ses pieds se tiennent les figures fort remarquables des donateurs : Bernardo de Corbera, à gauche, sa femme, Margarita de Campllonch, et leur fils, à droite, qui semblent empruntés directement à la réalité. Au revers de ce retable, deux croquis au fusain, une tête de femme, une figure de vieillard, donnent la mesure de l'art spontané de Martorell.

   Le grand Retable de la Transfiguration (1449-1452, cathédrale de Barcelone) reste sans doute le chef-d'œuvre de la maturité du peintre ; il est dû aux largesses de l'évêque Simó Salvador († 1445), dont le blason décore la partie supérieure du cadre.

   Font encore partie de l'œuvre de Bernardo Martorell deux panneaux, la Sainte Face et la Vierge (Palma de Majorque, Société archéologique lullienne), un retable provenant de Vnaixa, consacré aux deux saints Jean, un Retable de saint Michel provenant de Ciérvoles (cathédrale de Tarragone) et enfin un Retable de sainte Madeleine provenant de l'église de Parrella (musée de Vich). Il serait juste enfin, de tenir compte également des nombreuses miniatures issues de l'atelier du maître, à qui, avec vraisemblance, on attribue les enluminures (Annonciation, Calvaire, David jouant de la cithare) d'un livre d'heures conservé à Barcelone (av. 1444, Instituto municipal de historia).

Marzal de Sax (Andrés)

Peintre espagnol (documenté à Valence de 1392 à 1410).

Originaire de Saxe ou de Flandres (Sas, près de Gand), il apparaît comme l'un des artistes étrangers les plus influents dans la création du style Gothique international à Valence. Des documents entre 1392 et 1405 permettent d'établir qu'il est chargé de travaux importants exécutés en collaboration avec Pedro Nicolau, puis à partir de 1404 avec Gonzalo Pérez et le Catalan Gerardo Gener : peintures murales pour la salle du Conseil de l'hôtel de ville et 7 retables dont 3 destinés aux chapelles de la cathédrale. Le seul panneau qui puisse lui être attribué est l'Incrédulité de saint Thomas (Valence, cath.), provenant d'un retable pour lequel il signa un reçu en 1400. La puissance de ces figures réunies en groupe compact autour du Christ et l'expressionnisme des visages, inconnu jusqu'alors dans l'art valencien, apparentent cette composition à certaines peintures bohémiennes exécutées autour de 1360. À Valence, un groupe d'œuvres a été attribué à Marzal ou à son entourage, parmi lesquelles figurent : la Tête de moine (musée de Bilbao), 6 scènes d'un Retable des joies de la Vierge (Brooklyn, anc. coll. Cords), 3 panneaux d'un Polyptyque de la Vierge (1 au musée de Saragosse, 2 au musée de Philadelphie). Le monumental Retable de saint Georges (Londres, Victoria and Albert Museum), exécuté pour la confrérie des arbalétriers du Centenar de la Ploma, œuvre magistrale dont la violence confinant à la caricature est liée à la vivacité du récit et au réalisme des détails, semble réalisé dans la seconde décade du XVe s., à une époque où Marzal n'était plus en activité. Nous savons, en effet, qu'en 1410 il était malade et devenu indigent.

Masaccio (Tommaso di Ser Giovanni, dit)

Peintre italien (San Giovanni Valdarno, Arezzo, 1401  – Rome  1428).

Le nom sous lequel est universellement connu l'un des plus grands peintres du quattrocento est un surnom. La désinence-cio, en général péjorative, n'indiquait pas, comme le rapporte Vasari, " qu'il fût mauvais, étant la bonté même, mais plutôt la négligence de sa mise ".

   En janvier 1422, à vingt ans à peine révolus — il est en effet né le 21 décembre, jour de la Saint-Thomas, dont on lui donna le nom —, Masaccio, sans doute depuis quelque temps déjà à Florence, s'inscrit à la corporation des " Medici e speziali ", dont faisaient partie les peintres florentins. Un triptyque (la Vierge et l'Enfant avec San Giovenale et trois saints), à San Pietro de Cascia di Reggallo, daté de 1422, serait sa première œuvre. Cette attribution n'est pas unanimement acceptée.

Masaccio et Masolino

Dès son arrivée à Florence, Masaccio rencontra probablement Masolino da Panicale, son aîné d'une vingtaine d'années et son compatriote. Il collabora avec lui à deux reprises : à la " pala " de la Vierge et sainte Anne pour S. Ambrogio (auj. aux Offices) et au cycle de fresques de la Vie de saint Pierre, qu'un membre de la famille Brancacci commanda à Masolino en 1424 pour la chapelle homonyme de l'église du Carmine à Florence. On ne peut toutefois parler de Masolino comme maître de Masaccio dans le sens traditionnel du terme.

   En effet, dès ses premières œuvres, Masaccio se révèle absolument opposé, tant par son tempérament que par sa formation, à l'univers sensible et tendre de Masolino, le plus grand représentant, avec Starnina et Lorenzo Monaco, dans la Florence du début du quattrocento, du Gothique tardif. Dans les œuvres que ces deux artistes exécutèrent en collaboration, c'est vraiment Masolino qui subit l'ascendant provocant de son jeune compagnon, qui lui imposa sa nouvelle vision perspective et humaine. Dans la Sainte Anne, le groupe de la Vierge à l'Enfant, peint par Masaccio — qui aurait dû rester iconographiquement en position secondaire —, assume une présence physique et morale prédominante par l'importance du bloc formé par les deux figures, éclairé par une lumière naturelle qui vient de la gauche, alors que le personnage de sainte Anne, peint par Masolino, esquisse seulement un geste timide, la main tendue en perspective au-dessus de la Vierge, entourée par la fragile et gracieuse couronne formée par les anges autour du trône, dont un seul, le deuxième à droite, plus dense de couleur et plus précis dans le geste, appartient à la nouvelle manière, pleine d'assurance celle-ci, de Masaccio.