Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Rouault (Georges) (suite)

Les paysages

Le paysage devait mieux convenir à cette tentative de spiritualisation. Souvent repris, à de longs intervalles, les paysages de Rouault se métamorphosent en permanence ; le statisme de leur ordonnance est démenti par les accidents qui les parcourent, par la situation des personnages allusifs renvoyant paradoxalement au sujet, évocation mystique le plus souvent (Christ et pêcheurs, 1937, M. A. M., Ville de Paris).

Les dernières années et les travaux décoratifs

Au cours de son ultime évolution (1950-1958), Rouault rencontra davantage de difficultés pour soumettre la figure au même allégement des repères superficiels, le rôle organisateur des noirs restant toujours très fort. Son besoin de perfection, donc d'achèvement, s'opposait à sa façon de travailler artisanale, patiente, et explique qu'il ait détruit beaucoup d'œuvres (315 toiles brûlées devant huissier en 1948) et que tant d'autres puissent être saisies par le spectateur dans un moment transitoire d'élaboration. Rouault a ressenti et fait ressentir, comme nul autre, la tension irréductible entre la matérialité brute de la peinture et la traduction de l'ineffable, néanmoins obligées de composer pour permettre à l'œuvre de naître. En 1929, il avait exécuté les décors et les costumes du Fils prodigue (musique de Prokofiev) pour Diaghilev ; en 1945, il reçut la commande de 5 vitraux pour l'église d'Assy et, à partir de 1949, donna les maquettes de ses émaux à l'abbaye de Ligugé ; son style s'adaptait aisément à ces techniques décoratives, et particulièrement à celle du vitrail.

   De même, le souci du cadre adéquat à ses toiles, la " bordure " médiévale, était grand chez lui : un Rouault exige un cadre également riche dans la quantité et la qualité visuelles, tactiles de sa réalisation. Rouault est bien représenté à Paris (M. N. A. M. et surtout M. A. M. de la Ville) ainsi que dans les grandes collections publiques et privées du monde entier. Son centenaire a été commémoré en 1971 par une ample rétrospective au M. N. A. M. de Paris, où furent présentées les " peintures inachevées " de l'artiste (près de 200 données à l'État français), révélant un aspect différent de son talent et montrant combien, à certain niveau de l'élaboration, il s'apparente à la puissance d'un Daumier (Étude de nu, 1946). Une exposition consacrée à la période 1903-1920 de Rouault a été présentée (Paris, M. N. A. M.) en 1992.

Roublev (Andreï)
ou Andreï Rublev

Peintre russe (v.  1360  – Moscou 1427 ou 1430).

Celui qui est considéré comme le plus grand peintre d'icônes commença par travailler comme fresquiste à la cathédrale de Zvenigorod, près de Moscou, puis avec Théophane le Grec à la cathédrale de l'Annonciation au Kremlin de Moscou (1405) et avec le peintre d'icônes Daniel à la cathédrale de la Dormition de Vladimir (1408). Son chef-d'œuvre est l'icône de la Trinité (Moscou, Tretiakov Gal.), représentant les trois anges qui apparurent à Abraham. La composition en est simple et savante, aux lignes délicates et harmonieuses, baignée d'une douce lumière et empreinte de spiritualité. On attribue à Roublev de nombreuses icônes, et notamment celles de l'iconostase de la cathédrale de la Trinité du monastère Saint-Serge de Zagorsk où l'artiste a travaillé v. 1422-1427. Un film historique d'Andreï Tarkovski a été consacré à l'artiste (Andreï Roublev, Prix de la Critique internationale, Cannes, 1969).

Rougemont (Guy de)

Peintre français (Paris 1935).

Élève de Marcel Gromaire, Guy de Rougemont s'est formé soigneusement de 1954 à 1958 à l'École des arts décoratifs. C'est d'abord à l'étranger qu'il se fait connaître à partir de 1962, à New York et en Espagne. Paris ne découvre qu'en 1967 un peintre qui a déjà défini son art comme totalement abstrait, très coloré et fondé sur la fragmentation. Lumière d'angle (1964), peint à l'acrylique, juxtapose des plages de couleurs au sein desquelles le peintre joue beaucoup des valeurs et des formes, dans leur majorité géométriques. Toute l'évolution de Rougemont va se faire dans le sens d'une rigueur croissante. Sur un champ uniforme, occupant tout ou partie de la toile, des aplats de couleur saturée ponctuent l'espace pictural, ne jouant que de la droite et de l'angle droit. Ce jeu si restreint offre pourtant des possibilités illimitées : Rougemont parle ainsi de " fragments ", de " non finito " et même de " lambeaux ". En face de ce travail si maîtrisé, Rougemont semble se donner un exutoire dans les techniques graphiques. La suite des Arabic Designs, poursuivie depuis 1982, ne contredit pas l'esthétique des acryliques mais reçoit vivacité et chaleur de l'usage des craies, des crayons, du pastel. Ce travail graphique l'a amené au design (table basse, tapis, tissus, assiettes, colliers). Il a aussi réalisé des œuvres monumentales (gare du R. E. R. de Noisy-le-Grand, 1976 ; environnement sur 30 km de l'autoroute de l'Est, 1977 ; aménagement de la place Albert-Thomas à Villeurbanne, 1982 ; pavement de l'esplanade du musée d'Orsay, 1986). La galerie Karl Flinker a organisé une rétrospective de son œuvre en 1980, et Pascal Gabert a montré en 1987, sous le titre parlant " de Lumières et autres travaux ", un important ensemble de ses travaux.

Rousse (Georges)

Artiste français (Nice 1947).

Georges Rousse crée ses propres œuvres en 1980 après plusieurs années au cours desquelles il est, à Nice puis à Paris à partir de 1976, photographe professionnel dans un laboratoire. Un long processus préside à la réalisation de ses photographies. Rousse voyage à l'intérieur de bâtiments abandonnés — hangars, parkings, cités désertées — voués à la démolition, à l'intérieur desquels il peint des personnages isolés ou groupés, des portraits, des graffitis dont le cliché retiendra par la suite les images. Après 1983, l'artiste rendra compte de dispositifs plus complexes. En référence aux fresques baroques, il introduira de savants raccourcis en trompe-l'œil. Dans les espaces réels, il dessinera, à l'aide de craies colorées, des surfaces dont les plans associés révéleront un volume que seul l'appareil– photo sera en mesure de restituer (Sans titre, Gare de la Bastille, 1984). Par illusion d'optique, les photos de l'artiste interrogent la présence-absence d'une forme. La peinture originale est éphémère mais la photo n'en livre pas, à proprement parler, la trace. Les pratiques de la peinture et de la photo deviennent indispensables l'une à l'autre pour créer une œuvre unique (Boule rouge, 1993). La photographie rend l'œuvre visible. Une exposition a été consacrée à l'artiste (Paris, M. N. A. M.) en 1993, et (Paris, gal. Durand-Dessert) en 1995.