Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
G

gothique international (suite)

Angleterre

La miniature franco-flamande brille bientôt hors de France ; son rayonnement stimule partout la tradition locale et la porte à un raffinement aristocratique de la ligne et des couleurs. En Angleterre, par exemple, le célèbre Diptyque Wilton (v. 1395, Londres, N. G.) est de nette dérivation française avec des inflexions italianisantes.

Rhin

Proches de la Bourgogne et des Pays-Bas, les pays rhénans sont plus sensibles aux influences françaises. L'activité picturale de ces régions est surtout religieuse et est féconde en retables d'autel de toutes dimensions. Le goût le plus occidental s'épanouit à Cologne, ville où s'exalte alors le mysticisme de Eckart, de Tauler, de Suso. L'œuvre du Maître de la Véronique de Munich reflète parfaitement cette double tendance : l'élégance mondaine du costume se mêle aux accents mystiques, comme dans la petite Crucifixion (Cologne, W. R. M.), foisonnante de personnages et éclatante de couleurs. À Cologne fleurissait encore le " Weicher Still " allemand, fait de flou linéaire et de candeur religieuse presque enfantine, qui triomphe dans le thème fréquemment repris du Jardin du Paradis et dont l'exemple le plus fameux se trouve au Städel. Inst. de Francfort. Une veine d'un réalisme sentimental aigu se décèle dans l'œuvre la plus importante de Conrad de Soest, la Crucifixion de Niederwaldungen (1404). La peinture allemande atteint son niveau le plus haut avec le style raffiné de Maître Francke, empreint d'une intense émotion religieuse. Cet artiste travailla dans la région de Hambourg et de Lübeck ; la Kunsthalle de Hambourg conserve son œuvre la plus notable, peinte en 1424, l'Autel de saint Thomas.

Italie

En Italie, c'est surtout à Vérone que l'on retrouve, dans les rythmes linéaires très délicats de Stefano da Verona, la tradition la meilleure laissée par Michelino da Besozzo. Les œuvres qui subsistent de Stefano sont rares, mais elles dénotent un goût poétique exquis, comme dans la Madone au buisson de roses (Vérone, Castel Vecchio) et l'Adoration des mages (1435, Brera). L'art de Pisanello est issu de celui de Stefano. Par son importante et diverse activité, qui se prolongea jusqu'à la moitié du siècle et au cours de laquelle il exécuta des fresques, des panneaux, des dessins et des médailles, Pisanello révéla une imagination pénétrante, soutenue par un linéarisme brillant et ferme, encore tout imprégné de fabuleux et de goût médiéval.

   Une place à part revient à Gentile da Fabriano par la complexité et la qualité élevée de son style ainsi que par sa culture aux multiples aspects. Originaire des Marches et formé dans son pays, il est actif avant la fin du XIVe s., enrichissant ses connaissances par des voyages en Lombardie probablement, puis par un long séjour à Venise et à Brescia. C'est à Florence qu'il peint ses œuvres les plus accomplies et les plus fameuses : l'Adoration des mages (1423, Offices) et le Polyptyque Quaratesi (1425), réparti aujourd'hui entre les coll. royales britanniques, les Offices, le Vatican et la N. G. de Washington.

   Le Gothique international réunit encore en Italie de nombreuses autres personnalités et se différencie suivant les régions. Dans le Piémont, qui, par son importance historique et sa position géographique, est ouvert aux influences transalpines, travaille dans la première moitié du XVe s. un grand peintre, Jaquerio ; dans son cycle de fresques de l'abbaye de Ranverso, près de Turin, se mêlent des tons d'un réel raffinement et d'un réalisme cru poussé jusqu'au grotesque. À Bologne, Giovanni da Modena, héritier de la grande tradition bolonaise du trecento, peint à fresque, v. 1410, dans l'église S. Petronio, Histoire des Rois mages avec une verve très vive et des observations profondément réalistes, qui rendent parfaitement l'atmosphère des milieux marchands et bourgeois locaux. À Urbino, les frères Salimbeni da Sanseverino peignent à fresque les Scènes de la vie de saint Jean-Baptiste dans l'oratoire S. Giovanni, avec un style qui rappelle celui des tapisseries françaises et qui dénote un goût populaire et aristocratique en même temps que fantasque dans le choix des couleurs et dans les costumes.

   En Toscane, dans le climat siennois, le Gothique international se prolonge jusque vers la moitié du XVe s. Sassetta a des trouvailles merveilleuses, voisines de celles des Limbourg, dans le Retable de la Madone des neiges (1430-1433, Pitti, donation Contini Bonacossi) et dans la prédelle du Retable des Linaiuoli (1423, Sienne, P. N.), tandis que Giovanni di Paolo exprime sa personnalité visionnaire et éprise de fantastique dans des rythmes linéaires effrenés.

   À Florence, Lorenzo Monaco est le représentant le plus important du style. Ses œuvres (Adoration des mages, Offices) révèlent une expression d'un intense mysticisme religieux, traduite par une tension linéaire soutenue, un chromatisme changeant et l'emploi fantastique de la lumière. À la même époque, et toujours à Florence, se développa une importante production d'artisanat artistique : coffres de mariage (" cassoni "), prédelles, " desco da parto ", dans lesquels les thèmes de la mythologie classique sont souvent adaptés au genre courtois.

Espagne

La vivacité des échanges internationaux est illustrée par les ressemblances qui lient le style du Florentin Starnina (qui fit un séjour en Espagne) et celui de l'Espagnol Miguel Alcañiz, ressemblances si fortes que certaines œuvres de ce dernier furent longtemps attribuées au Maître du Bambino Vispo, aujourd'hui généralement identifié avec Starnina. Le style d'Alcañiz, marqué par une grande vivacité d'expression, représente le produit parfait issu des échanges internationaux dont Valence fut le centre. Venu d'Allemagne, Marzal de Saxe s'était installé à Valence en 1393 et était à l'origine d'une école très active, dont feront partie certaines personnalités marquantes, comme Pedro Nicolau et Gonzalo Perez. L'école de Valence a des caractères très différents de ceux de l'école de Barcelone, florissante dans les trente premières années du XVe s. et dont l'animateur, Luis Borrassà, tient un atelier composé de nombreux élèves. Douze retables, documentés de 1402 à 1424, provenant de cet atelier ont été conservés ; d'autres ont été attribués directement à Borrassà, tel le fameux Retable de sainte Claire (musée de Vich). Les œuvres de cet artiste témoignent d'une forte personnalité qui renouvelle, sans les renier, les traditions fortement italianisantes de l'école barcelonaise, auxquelles s'unissent les influences d'outre-Alpes. La dernière personnalité du centre de Barcelone est Bernardo Martorell, qui, à l'influence de Borrassà, unit un fort goût nordique et les premiers signes d'un nouveau sens " moderne " de la forme et de l'unité de la lumière. En plus de différents polyptyques, on lui attribue les célèbres Scènes de la vie de saint Georges, réparties entre le Louvre et l'Art Inst. de Chicago.

   Le Gothique international se prolongea longtemps à cause de son caractère " décadent " et il côtoya au nord et au sud des Alpes le cours nouveau pris par la peinture en Europe. C'est ainsi qu'il s'implanta directement dans les régions des Pays-Bas, sans solution de continuité, dans le renouveau opéré par Van Eyck, qui avait lui-même débuté comme miniaturiste (il collabora aux Très Belles Heures de la bibl. de Turin, auj. perdues) aux côtés d'artistes enlumineurs franco-flamands. En Italie, les manifestations de Gothique international survécurent longtemps au sein même de la Renaissance toscane, engendrée par Masaccio avant 1428.