Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
V

Van Eyck (les) (suite)

Œuvres perdues

On tient enfin souvent pour des copies d'œuvres perdues de Jan Van Eyck un Portement de croix (musée de Budapest) et un dessin d'une Adoration des mages (Berlin), l'un et l'autre témoins probables d'œuvres de jeunesse. On pense également que Jan Van Eyck est l'inventeur de deux importantes compositions fondamentales pour la naissance et le développement d'une peinture profane en Europe, connues seulement aujourd'hui par des descriptions ou des interprétations tardives : une Femme à sa toilette et un Marchand faisant ses comptes.

La technique eyckienne

Si le problème se pose de distinguer l'art de Jan Van Eyck de celui de son frère Hubert, la technique eyckienne est également énigmatique. Les textes du XVIe s. faisaient honneur au peintre de l'invention de la peinture à l'huile. L'usage de ce médium était en fait connu antérieurement, mais Jan Van Eyck, de par le retentissement considérable de ses œuvres, semble bien en avoir généralisé l'emploi. Sa méthode reste très personnelle et paraît fondée sur la superposition de couches picturales de natures différentes, jouant entre elles par transparence. Sur le plan formel, son extraordinaire virtuosité assura à l'école flamande, pendant tout le XVe siècle, un renom durable.

 
Hubert († Gand 1426). Un quatrain, dont l'authenticité a souvent été mise en doute et qui se lit sur le cadre de l'Agneau mystique, assure que le retable a été commencé par Hubert Van Eyck et achevé, après sa mort, par son frère Jan. Quelques mentions des archives gantoises en 1425 et 1426 paraissent concerner le même personnage, dont le texte de l'épitaphe est également connu par un relevé de Mark Van Vaernewyck (1568). La pauvreté de ces documents a autorisé une hypothèse audacieuse (Karl Voll et Emile Renders) qui a obtenu une audience très large et selon laquelle le peintre ne serait qu'une créature de légende, imaginée sans doute pour attribuer à un Gantois une part importante de l'exécution du retable. Malgré l'attrait d'une conception aussi radicale, il paraît difficile de nier l'existence des mentions d'archives comme d'une tradition très ancienne, puisque, dès 1517, Antonio de Beatis signalait la collaboration des deux maîtres au retable de Gand. Il reste en revanche difficile de discerner la part que prit Hubert Van Eyck à l'exécution de l'Agneau mystique ; elle a fait l'objet d'hypothèses très variées, dont aucune n'est concluante. Toutes s'accordent cependant pour voir dans le panneau inférieur du centre (l'Adoration de l'Agneau) la part essentielle du travail de Hubert, même s'il faut admettre qu'il a fait l'objet de remaniements postérieurs, dus en partie à son frère Jan. Si l'on tend à renoncer à lui attribuer certaines enluminures du Livre d'heures de Milan-Turin, on le donne souvent pour l'auteur de 2 peintures : les Trois Marie au tombeau (Rotterdam, B. V. B.) et l'Annonciation (Metropolitan Museum, coll. Friedsam). Son art apparaît alors comme lié encore au style international, qui marque la fluidité des figures élégantes de ces œuvres, où l'on décèle également un réalisme précis qui analyse le monde dans sa complexité et surtout sa richesse. Néanmoins, ces données ne distinguent l'art d'Hubert de celui de Jan que par des nuances.

Van Gogh (Vincent)

Peintre néerlandais (Groot Zundert, Brabant, 1853  – Auvers-sur-Oise 1890).

Dans le déroulement de sa brève carrière artistique, la vie et l'œuvre de Van Gogh sont si intimement liées qu'à chaque changement de résidence correspond une nouvelle étape. Cette évolution, par rapport à la chronologie, aux dessins et aux tableaux qui la jalonnent, est une des plus clairement décrites de l'histoire de l'art, que la correspondance de Vincent avec les peintres Van Rappard, Émile Bernard et surtout avec son frère cadet Théo a fait bénéficier d'un instrument d'investigation à peu près sans précédent.

Naissance d'une vocation

Van Gogh a montré dès l'âge de neuf ans de vives dispositions pour le dessin, mais le caractère inexorable de sa vocation artistique ne lui est apparu que relativement tard, en 1880, après une série d'échecs successifs, sentimentaux, apostoliques (il est fils de pasteur), et c'est à la suite de son renvoi du Borinage, où il se trouvait comme prédicateur (déc. 1878 – juill. 1879), que cette vocation s'impose à lui : " Je me suis dit : je reprends mon crayon, je me mets de nouveau à dessiner et depuis lors tout a changé pour moi " (août 1880). Ce cheminement révèle, à travers ses renoncements forcés, ses options désespérées, un intense besoin de communication, voire de participation, qui aurait été laissé sans réponse tout au long de sa vie sans le soutien total, moral et financier, que Théo apporta à Vincent, et l'œuvre entière clame ce besoin, qu'alimentaient en outre les lectures (la Bible, Zola, Dickens, Michelet, Hugo) comme les goûts artistiques de Van Gogh : Rembrandt, Dupré, Jules Breton, Daumier, Daubigny, Millet surtout, qu'il interprétera encore à Saint-Rémy. " Pour moi, écrit-il, ce n'est pas Manet qui est le peintre extrêmement moderne, mais Millet, qui pour beaucoup de gens ouvre des perspectives lointaines. " Vincent Van Gogh s'est voulu d'abord, très consciemment, peintre des humbles, exaltant leur labeur ingrat, tout comme il avait entrepris naguère de leur apporter la consolation de l'Évangile et de la même manière qu'il tente d'offrir un foyer à une prostituée (La Haye, 1882-83). Parallèlement, sa curiosité pour l'art et la littérature de son temps s'est très tôt manifestée.

   Après les débuts comme employé de la galerie d'art Goupil (La Haye, Londres, Paris, de 1869 à 1876), où Théo entre à son tour en 1873, quelques mois chez un libraire à Dordrecht (1877) et l'échec de la tentative apostolique, deux grandes périodes — hollandaise et française, elles-mêmes subdivisées suivant les résidences — présentent une sorte de diptyque dont les volets s'opposent moins qu'ils ne se complètent et à la charnière desquels se trouve le court et décisif séjour anversois.

Période hollandaise

La période hollandaise (Ettern, La Haye, Drenthe et surtout Nuenen, déc. 1883 – nov. 1885) se ressent beaucoup du souvenir très proche de l'expérience du Borinage, où l'artiste vivait au contact quotidien de la misère physique et morale. Van Gogh s'astreint sans relâche de 1880 à 1882 à discipliner son dessin. Il avait collectionné dès son séjour à Londres (1873-1875) les numéros de The Graphic London News, l'Illustration et étudié les gravures sur bois et les lithos qu'ils contenaient. Il pratique également l'aquarelle (Toits à La Haye, 1882) et n'aborde la peinture qu'au terme de ces années d'efforts. À La Haye, où il travaille un moment avec Breitner à des études de scènes de rue, il reçoit sa première et unique commande (12 dessins à la plume de vues de la ville) d'un de ses oncles, marchand de tableaux à Amsterdam.

   C'est également à La Haye qu'il exécute Sorrow (dessin à la mine de plomb, avr. 1882 ; une lithographie tirée en novembre), figure allégorique pour laquelle Sien, la prostituée enceinte, a posé. Le thème, l'expression de désespoir irrémissible devant la conception involontaire, le style purement graphique, d'une tension acérée, font de cette page une des pièces maîtresses du présymbolisme et rapprochent Van Gogh des Autrichiens Gustav Klimt et Egon Schiele.

   Van Gogh dessinateur (très nombreuses études à la craie noire notamment) acquiert une maîtrise à Nuenen, où ses sujets, hommes et femmes du peuple, au travail le plus souvent, paysans et tisserands, sont toujours représentés avec une sympathie instinctive et ne sont jamais prétextes purs (Paysanne glanant, dos et profil, 1885, Otterlo, Kröller-Müller). L'œuvre peinte est toute sous le signe du clair-obscur, avec des empâtements, des abréviations expressives qui rejoignent certains aspects de Hals et de Rembrandt : " Je suis mécontent que certains peintres actuels nous privent du bistre et du bitume avec quoi on a peint tant de choses magnifiques ", répond-il à son frère, qui, de Paris, où il travaille depuis 1880, lui vante les couleurs claires des impressionnistes. Les Mangeurs de pommes de terre (1885, 2 grandes versions, Amsterdam, M. N. V. Van Gogh, et Otterlo, Kröller-Müller) représentent la synthèse et le point d'aboutissement de la période hollandaise. Ce n'est pas une des meilleures œuvres de Van Gogh, car l'application dont il fit preuve pour la mener à bien a dû contrarier son génie, essentiellement spontané devant la toile. Mais, outre sa signification historique, elle est importante pour la compréhension de son art, et, plus tard, Van Gogh, à l'asile de Saint-Rémy, évoquant avec nostalgie le Nord, s'en souviendra. Il s'agissait d'un témoignage, fort explicite dans ce cas, mais que l'on peut reconnaître dans la moindre étude de la main de Vincent, nourritures humbles, branches en fleur ou vieux souliers : " J'ai voulu m'attacher scrupuleusement à donner l'idée que ces gens qui, sous la lampe, mangent leurs pommes de terre avec leurs mains, qu'ils mettent dans le plat, ont aussi labouré la terre et que mon tableau exalte donc le travail manuel et la nourriture qu'ils ont eux-mêmes si honnêtement gagnée. "