Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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percussion dans la musique occidentale (la)

La place de la percussion dans l'histoire de la musique « savante » occidentale n'est importante que depuis le XXe siècle, mais elle a toujours été significative. Des instruments comme la timbale ou le tambour ont une origine lointaine, biblique. Le goût et la variété des percussions commença peut-être à se développer durant le Moyen Âge, à la faveur de l'influence sarrasine. Les percussions étaient d'abord des instruments de guerre, associés à la trompette. Praetorius (Syntagma musicum, 1614-1620) et Toinot Arbeau (Orchésographie, 1589) évoquent les timbales de guerre utilisées par les Allemands et les Polonais. Au siècle de Louis XIV, la timbale est souvent utilisée pour les musiques de guerre, ou pour les festivités, militaires ou non, et on commence à la trouver dans les grandes cantates et motets religieux, souvent en association avec les trompettes. C'est Lully qui, l'un des premiers, aurait introduit la timbale dans l'orchestre d'opéra. Cet instrument relativement discret et susceptible de s'accorder est le seul instrument de percussion communément utilisé dans le répertoire symphonique des époques classique et romantique, pendant lesquelles il ponctue certains passages forte, surtout dans les mouvements rapides, et sur les notes de tonique et de dominante (timbales par deux, jouées par un seul timbalier). Quant aux cymbales, on ne les sort que pour les grandes occasions et pour les effets pittoresques de turquerie. Haydn (symphonies nos 100 et 103) et Beethoven (adagio de la symphonie no 4) furent les premiers à employer dans leurs symphonies la timbale à découvert, en solo, et, dans un passage en style de « marche » de la Neuvième, Beethoven (comme déjà Haydn dans sa Militaire) mobilise une petite percussion militaire, avec, en plus des timbales, les cymbales, le triangle et le tambour. Au cours du XIXe siècle, les percussions, autres que les timbales, ne sont généralement utilisées dans l'orchestre symphonique, au concert ou à l'opéra, que pour des effets spéciaux localisés : effets évocateurs (de la guerre, des éléments), imitatifs, ou pittoresques. Les grosses percussions sont naturellement, pendant les grandes festivités de plein air qu'affectionnait la Révolution française et que reprend le XIXe siècle, employées lourdement, mais dans le même rôle de soutien rythmique que les timbales pour les marches notamment. Reicha et Berlioz se sont plu à multiplier dans l'orchestre symphonique le nombre des timbales, et de 2 ils les portent parfois à 3, 4, voire 8 paires (Requiem de Berlioz) pour faire des accords, des effets de grondements, etc.

   Berlioz, dans ses orchestrations, cherche souvent un usage ingénieux des percussions. L'orchestre idéal qu'il « rêve tout haut », dans son Traité d'orchestration, comprendrait timbales (8 paires), tambours, grosses caisses, cymbales, triangles, jeux de timbre, cymbales antiques « en différents tons », cloches graves, tam-tams et pavillons chinois : donc une variété réduite par rapport à l'arsenal des musiques contemporaines. Il a beaucoup expérimenté avec les percussions (emploi imitatif du tambour de basque et du triangle dans le Carnaval romain ; cloches graves accordées sur do et sol dans la Symphonie fantastique ; mais il fallait souvent, dans certaines exécutions, se contenter de faire exécuter leur partie par le piano joué dans l'extrême grave ; effets de cymbales suspendues percutées avec des baguettes de timbale, etc.), cherchant plus ou moins à dépasser la fonction de ponctuation, de renforcement, et de « point sur les I » habituellement dévolue aux percussions dans la littérature symphonique de l'époque : Berlioz s'est assez moqué des effets répétitifs de cymbale et de grosse caisse chez Rossini ! Cependant, durant tout le XIXe siècle et le début du XXe, la percussion ne sortira guère de cet emploi sauf pour des effets ponctuels (percussion évocatrice de marche militaire, chez Mahler, tambour de basque chez Ravel, Debussy, pour la couleur espagnole, et, aussi, le fameux ensemble d'enclumes dans l'Or du Rhin, évocateur du travail industriel). Et on comprend bien pourquoi : les percussions produisent, pour la plupart, des sons que l'on appelle, dans le système occidental, des bruits, des sons non accordés, que ce système tolère à faible dose.

   Ce n'est pas pour rien que la saturation (passagère) et la crise du système tonal, dans la musique contemporaine, s'accompagnent d'une mise en vedette des percussions, gagnant le terrain que la tonalité est en train de céder peu à peu. Dans une œuvre comme le Sacre du printemps (1913), de Stravinski, la percussion est très « présente », mais les instruments utilisés ne sont pas très nombreux et variés : 2 timbales, grosse caisse, tam-tam, triangle, tambour de basque, guero (râpe) et 2 cymbales antiques : guère plus que chez Berlioz. Cependant, le Sacre du printemps étant construit sur des structures rythmiques, la fonction structurelle des interventions de percussion est très évidente : non seulement elle ponctue, mais encore elle découpe des durées. Edgar Varèse est un des premiers, en 1931, dans Ionisation, à écrire une œuvre pour percussions uniquement : encore n'utilise-t-il pas dans cette œuvre les instruments « mélodiques » récemment importés dans la famille percussive, xylophones (employés comme curiosités par Saint-Saëns dans la Danse macabre), marimbas, vibraphones, etc., et qui permettent à cette famille de s'approprier toutes les possibilités musicales.

   Au début du siècle, la musique symphonique sérieuse emploie abondamment les percussions, dans un esprit impressionniste et évocateur (de l'Espagne, de l'Orient, de l'Afrique), ou par référence aux musiques populaires, jazz, samba, etc. De fait, cette musique occidentale se libérera difficilement, dans l'emploi des percussions, d'un certain côté « bric-à-brac », et « bazar exotique ». Cela se voit bien, même aujourd'hui, dans le répertoire d'une formation de grande qualité comme les Percussions de Strasbourg, avec ses centaines d'instruments collectionnés aux quatre coins du monde. En leur écrivant un répertoire spécifique, beaucoup de compositeurs n'ont pas résisté à la tentation de les utiliser tous, ou presque (comme André Jolivet dans Cérémonial), ce dont il résulte un effet de surcharge décorative et de grand magasin des sonorités. Seuls ont évité le piège du pittoresque soit ceux qui, comme Messiaen, assument et transcendent dans leur style cette dimension décorative ; soit ceux qui comme Xenakis, ont su limiter leurs palettes de percussions et ne pas se perdre dans un bariolage de sonorités.

   L'inflation de la percussion au sein des œuvres symphoniques fut un trait caractéristique de la musique d'avant-garde des années 60 et 70 : on avait couramment une grande formation de cordes et de vents, littéralement cernée, assiégée par 3, 4, 5 percussionnistes armés chacun d'une douzaine d'instruments, et souvent pour un effet orchestral bien mince. Naturellement, dans ce style d'instrumentation, les cordes cessaient d'être la base, le noyau dur de la pâte orchestrale, tandis que la percussion restait obstinément hétérogène aux sonorités de l'orchestre, l'auteur échouant à créer une nouvelle syntaxe de sonorités, et se bornant à répéter un vocabulaire vite épuisé de couleurs percussives. Une fusion plus heureuse de la percussion et de l'instrument classique a été atteinte par quelques œuvres de musique de chambre, comme les Kontakte de Stockhausen, ou les Circles de Berio (deux œuvres dans lesquelles a brillé le talent de remarquables percussionnistes comme Jean-Pierre Drouet, Sylvio Gualda, Gaston Sylvestre, etc., interprètes auxquels le répertoire contemporain pour percussion a dû souvent de n'être pas insignifiant). À la fin des années 70, une évolution se dessine dans le sens d'une nouvelle concentration du son, et d'un abandon de cette esthétique de « magasin de sonorités », au profit d'un choix plus restreint et plus étudié.

   Dans la mesure où elles sont au carrefour du « bruit » et de la « note » (deux notions sur lesquelles, malgré ses dénégations, continue de fonctionner la musique occidentale d'avant-garde), les percussions continuent de tenir une place symptomatique dans l'histoire de notre musique, une musique que l'on pourrait analyser et éprouver par rapport à cette place, rarement « équilibrée », qu'elle a donnée aux percussions. Puissamment impressionnée par la force des percussions dans les musiques d'autres cultures (comme les ponctuations incisives du nô japonais, par exemple), notre musique savante n'a pas toujours su que cette force venait d'une étroite délimitation et concentration dans l'emploi des sonorités percussives : lesquelles, dépensées et éparpillées dans un étalage complaisant, perdent d'un coup ce qui fait leur force et leur valeur. Bien peu ont su, comme Xenakis dans Pithoprakta, tirer des simples ponctuations d'un wood-block une force expressive, un rôle structurel.