Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Dugazon (Louise)

Mezzo-soprano française (Berlin 1755 – Paris 1821).

Elle fut la plus célèbre chanteuse d'opéra-comique de son temps et créa une soixantaine de rôles. Sa voix était celle d'un mezzo léger, au timbre clair, excellant dans le lyrisme et la douceur plus que dans la virtuosité. Ce genre d'emploi a conservé son nom (« un rôle de dugazon »). Son fils Louis Gustave (1780-1826) fut compositeur. Élève de Gossec, il écrivit quatre opéras-comiques, trois ballets et de nombreuses romances.

Duhamel (Antoine)

Compositeur français (Valmondois 1925).

Il a fait ses études au Conservatoire de Paris et surtout avec René Leibowitz, et a participé aux cours d'analyse d'Olivier Messiaen (1945-1950) : de ses préoccupations d'alors, qui le firent envisager également la psychologie et la peinture, témoignent ses Variations pour piano sur l'opus 19 no 6 de Schönberg (1949). Suivirent notamment l'Ivrogne ou le Scieur de long, opéra en 1 acte d'après Baudelaire (1951-52) et l'oratorio profane la Maison des morts (1953-1956). De 1957 à 1971, il s'est largement orienté vers la musique de film, avec, par exemple, Pierrot le Fou (1965) et Week-End (1967) de Jean-Luc Godard, Baisers volés (1968), la Sirène du Mississippi (1969) et Domicile conjugal (1970) de François Truffaut, et M. comme Mathieu de Jean-François Adam (1971). À partir de 1968, il s'est beaucoup intéressé à l'opéra et au théâtre musical, et a donné en ce domaine, entre autres, Lundi Monsieur vous serez riche (Strasbourg, 1968), l'Opéra des oiseaux (Lyon, 1971), Ubu à l'Opéra (Avignon, 1974), Gambara, d'après Balzac (Lyon, 1978), Cirque impérial (Avignon, 1979), les opéras Quatre-vingt-treize d'après Hugo (1989) et les Aventures de Sindbad le marin (1991).

Dukas (Paul)

Compositeur français (Paris 1865 – id. 1935).

Envers lui, l'histoire de la musique s'est conduite de façon très capricieuse. Bien qu'ayant vécu soixante-dix ans, il se limita à sept œuvres principales et à cinq partitions plus réduites, dont un Prélude élégiaque sur le nom de Haydn, pour le centenaire de la mort de ce maître (1909), une Plainte au loin du faune, à la mémoire de Debussy (1920), et un Sonnet de Ronsard (1924). De ses œuvres principales, une seule, l'Apprenti sorcier, a vraiment atteint la célébrité, alors que son opéra Ariane et Barbe-Bleue reste pratiquement inconnu, et que sa Sonate et ses Variations pour piano sont au répertoire de très peu de pianistes. Il aurait donc pu rester toute sa vie un musicien méconnu, admiré de quelques-uns mais ignoré des autres, comme le furent et le sont toujours Maurice Emmanuel et André Caplet.

   Or il fut, à partir de sa trente-deuxième année et jusqu'au-delà de sa mort, un musicien fameux et populaire, grâce à l'Apprenti sorcier, mais aussi à ses activités de critique (il publia des écrits sur la musique jusqu'à la fin de sa vie) et de professeur de composition au Conservatoire de Paris (où il succéda en 1928 à Charles-Marie Widor et eut parmi ses élèves Olivier Messiaen). Auparavant, à partir de 1924, il avait été inspecteur de l'enseignement musical pour les conservatoires de province. À cette époque, et depuis longtemps, il ne publiait plus rien. Durant les deux dernières décennies de son existence, il détruisit toute une série d'ouvrages, entièrement ou presque achevés : une deuxième symphonie, une sonate pour piano et violon, un poème symphonique (le Fils de la Parque), un drame lyrique (le Nouveau Monde), deux ballets (le Sang de Méduse et Variations chorégraphiques). Il fut, en effet, de ceux, bien rares, qui « ne se résignèrent qu'au chef-d'œuvre ». Condisciple de Debussy au Conservatoire de Paris, il obtint le second prix de Rome (1888), mais jamais le premier. Deux ouvertures de jeunesse (pour le Roi Lear de Shakespeare et pour Götz von Berlichingen de Goethe) ne nous sont pas parvenues. Mais une troisième, d'après Polyeucte de Corneille, fonda d'emblée sa réputation (1892), bien qu'elle se plaçât sous le signe du postromantisme wagnérien et franckiste. Cinq ans plus tard (1897), la symphonie en « ut » fut assez froidement accueillie. En mai suivant, le scherzo l'Apprenti sorcier, un des plus brillants et des plus réussis de tous les poèmes symphoniques, remporta, en revanche, un triomphe qui ne s'est jamais démenti depuis. À ces trois partitions d'orchestre succédèrent deux monuments pour piano dédiés au grand interprète beethovénien Édouard Risler, qui en assura la création : la Sonate en « mi » bémol mineur (1901) et Variations, interlude et finale sur un thème de Rameau (1903). Ces deux ouvrages montrent que Dukas, s'il se trouvait alors dans le camp des debussystes, ne s'en situait pas moins parmi les héritiers de Beethoven. La sonate, dont le troisième mouvement contient une fugue, est un net hommage à l'auteur de la Hammerklavier, et les variations à celui des Diabelli (d'autant que, comme la valse utilisée par Beethoven, le thème de Rameau choisi par Dukas, le Lardon des pièces de clavecin en ré, semble à première vue des plus insignifiants). Mais l'ombre de Liszt règne également dans la sonate, et les variations ne vont pas sans quelques harmonies impressionnistes. Les quatre années suivantes furent consacrées à Ariane et Barbe-Bleue, opéra en 3 actes sur un livret de Maurice Maeterlinck, créé à l'Opéra-Comique le 10 mai 1907. On l'a rapproché de Pelléas, et il est sûr que son langage harmonique est largement fondé sur la gamme par tons et sur d'autres procédés « debussystes ». Mais il y a des éléments tout autres dans Ariane, qui, contrairement à Pelléas, est symphonique autant que lyrique (non seulement par son traitement de l'orchestre, mais aussi par sa structure tonale rigoureuse), et dont quinze ans avant Wozzeck le premier acte adopte exactement la forme variations.

   Quant au ballet la Péri, dernière partition importante de Dukas, il fut donné pour la première fois (après avoir été promis à la destruction et sauvé au dernier moment) non par Serge de Diaghilev, comme prévu, mais par N. Trukhanova au théâtre du Châtelet en avril 1912 : avant le ballet proprement dit, une éblouissante fanfare de cuivres, « chef-d'œuvre qui précède le chef-d'œuvre ».

   Le silence de Dukas, comme ceux de Rossini et de Sibelius ­ celui-ci, son exact contemporain, donna sa dernière grande œuvre en 1926, soit trente ans avant sa mort ­, a fait l'objet de nombreux commentaires. Le compositeur ne fut jamais le moins du monde névrosé, et ne souffrit jamais, jusqu'à sa dernière brève maladie, d'aucune perte de vitalité. Il avait sans doute, entre autres, le don assez rare d'être paresseux sans mauvaise conscience, aimant la lecture, la vie en général et le commerce de quelques amis, ne se sentant jamais frustré et n'ayant aucune ambition vers les honneurs (il fut néanmoins élu à l'Institut au fauteuil d'Alfred Bruneau en 1934). Il éprouvait un dédain ironique pour les exigences de son époque en matière d'expérimentation moderniste, ne permit jamais (contrairement à Ravel) à Stravinski de l'influencer, et n'éprouva de sympathie particulière ni pour la génération des Six, ni pour l'expressionnisme viennois. Pour mal avisée qu'elle ait été, rien en définitive ne suscite davantage le respect que la décision de ce grand orchestrateur et architecte de préférer un compositeur silencieux à un compositeur demeuré tant bien que mal en activité, mais dont la musique eût convergé vers le silence.