Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
I

indienne (musique) (suite)

Tradition et progrès

Bien que la conception occidentale de la musique soit fort étrangère à la sensibilité indienne, il existe, un peu partout en Inde, des organismes ou des écoles où l'on peut apprendre l'harmonie, le contrepoint et les différents instruments pratiqués en Europe et en Amérique. L'école de musique de Calcutta, fondée par Philippe Sandré, est l'une des plus anciennes, et l'enseignement qu'elle dispense est celui des académies anglaises, en particulier Trinity College de Londres. Orchestres symphoniques (celui de New Delhi est l'un des premiers à avoir présenté les grands classiques de la musique européenne) et petites formations se sont plus récemment constitués parallèlement aux départements musicaux des universités, où se maintiennent les traditions de la musique indienne. Les interférences, de plus en plus nombreuses, entre les deux expressions, sont surtout limitées à la musique de film (Vanraj Bhatia, de Bombay, est l'un des grands spécialistes) et à la musique de genre, où vinas et tampuras se trouvent unis à certains instruments occidentaux. Dans un domaine plus ambitieux, le compositeur anglo-indien John Mayer (1929) a tenté d'intégrer le raga et le sitar à l'orchestre ou aux ensembles de chambre (Raga Jaijavanti, Shanta Quintet), tandis qu'en Europe Olivier Messiaen (dans la plupart de ses œuvres et spécialement la Turangalila Symphonie) et Jacques Charpentier (Études karnatiques) s'inspirent de la richesse rythmique caractéristique de la musique indienne.

Indonésie

Les nombreuses îles qui constituent l'Indonésie n'ont pas de tradition musicale commune, bien que les mêmes influences culturelles (hindoue et chinoise principalement, puis arabo-persane) y aient modifié peu à peu le fonds indigène. Chacune d'entre elles offre, du reste, une même variété entre le style pratiqué sur les côtes, plus sensible aux apports extérieurs, et celui des populations rurales, bien qu'une parenté évidente existe entre les instruments de musique qu'on y rencontre : familles des percussions (tambours, castagnettes, kendang, ketipoung, keprak, penountong), des gongs (kempoul, bendé, beri, kempyang, etc.), des xylophones (saron, gambang gongsa, gambang kayou, gender), des flûtes (souling, selompret), des cordes (rebab, gambus), des orgues à bouche ou des harpes (tjelempung).

   Il n'existe pas de diapason fixe ­ les sons de référence admettant entre eux, suivant les régions, des différences d'une fraction de ton à deux tons ­ et pas davantage d'harmonie codifiée. Les mélodies que l'on joue à certaines occasions (repas, bienvenues, départs, mariages, fêtes ou combats) sont seulement réparties en trois catégories (laras), selon qu'elles sont exécutées aux heures du jour ou de la nuit. Une place de plus en plus grande est maintenant réservée aux instruments pour accompagner les danses, alors que la musique vocale fut longtemps suffisante pour ce rôle.

   Les danses sont innombrables et régies tant par la tradition que par le droit coutumier indigène. Si Java et Bali se sont réservé, comme pour la musique, les manifestations les plus spectaculaires de l'Indonésie, d'autres îles (Sumatra, Célèbes, Nias) ont leurs danses propres, qui revêtent volontiers un caractère sacré (les « bissu » des Célèbes sont des prêtres).

Le gamelan javanais

Sur le plan musical et chorégraphique, c'est cependant à Java et à Bali que l'activité a été le plus développée et que l'on trouve les éléments les plus originaux. Avec l'orchestre occidental, le gamelan javanais est le seul ensemble instrumental constitué par différents groupes ou familles, mais pour chacun desquels une fonction particulière est dévolue. Il existe, du reste, différentes compositions de gamelans, suivant les lieux ou le rôle qu'ils doivent jouer : gamelan gong, le plus important, avec une majorité d'instruments de métal (le grand orchestre complet peut avoir plus de 75 instruments et de 36 musiciens) ; gamelan djoged, ne comportant que des instruments de bois ou de bambou ; gamelan gending, unissant les sarons aux rebabs, flûtes, gongs et tambours pour donner le schéma de la pièce musicale, que les genders (xylophones à 11, 12, 13 ou 14 lames de métal avec résonateurs auxiliaires en bambou) et les bonangs (timbales en métal posées sur des cordes tendues), kenongs et ketouks vont étoffer en paraphrasant le texte primitif. Si les mélodies ne sont que l'union de quelques notes dans des tonalités et des modalités déconcertantes pour l'oreille occidentale, les rythmes sont d'une grande souplesse (l'un des procédés rythmiques favoris des Javanais consiste à répéter une note importante en sextolets), et le contrepoint très complexe (Debussy les admire beaucoup lors de l'Exposition de 1889).

   On distingue deux systèmes de tonalités : le pelog, aux intervalles inégaux et où les sons sont près les uns des autres, et le salendro, moins compliqué, où l'octave est divisée en cinq intervalles à peu près égaux, donnant naissance à des airs d'une plus grande amplitude. Le pelog, d'une expression mélancolique et féminine, accompagne les légendes du cycle javanais ; le salendro, plus sévère, violent et masculin, accompagne le pandji ou le wayang, dont les héros sont ceux du Ramayana hindou. Cette épopée a donné naissance à diverses interprétations modernes, dont le Langen Mandra Wanara (1890 ; œuvre du Pangeran Yudanegara, 1865-1933), opéra chanté par les danseurs eux-mêmes, avec accompagnement d'un orchestre gamelan et d'un chœur de femmes. Forme théâtrale d'une grande originalité, où les dialogues sont chantés sous la forme d'un récitatif permanent très orné, cependant que la chorégraphie est « cekengan » (position dominante accroupie sur les genoux ou assise).

   Plus récemment, les influences orientales (Chine, Inde) et occidentales (Europe ou Amérique) ont donné naissance à différents styles, où l'authenticité de l'élément indigène se trouve fortement compromise, notamment par l'incursion de notes étrangères à la gamme pentatonique, sur laquelle sont accordés les instruments du gamelan. Cela confère à la musique vocale un curieux mélange de mélopées originales et de thèmes d'allure anglo-américaine.

La musique balinaise

À Bali, terre de riche culture musicale, la tradition a force de loi depuis des temps immémoriaux au nom d'une conception religieuse qui fait des instruments et des sons qu'on en tire des manifestations « pituron », c'est-à-dire « descendues du ciel ». Dans les plus petits villages, on rencontre des ensembles semblables aux gamelans javanais et dont les exécutants se transmettent le répertoire et la technique par le simple jeu d'une pratique à laquelle on participe dès le plus jeune âge. Les instruments y sont, à peu de chose près, ceux des Javanais : souling (flûte), rebab, gongs de différentes tailles, lames de métal et tambours coniques. Comme à Java également, la musique est pentatonique, malgré l'existence d'une gamme heptatonique dans la musique rituelle accompagnant le chant du kidung et à laquelle participe l'ensemble saron (ou tjaruk : 2 gangsas à 7 touches en bronze, 1 saron menanga à 7 touches de bambou et 1 saron pengulu à 8 touches), uniquement joué par des prêtres. Le même caractère sacré s'attache, du reste, aux autres ensembles (selunding, gamhang ou gong luang) spécialisés dans cette musique rituelle, riche d'éléments autochtones balinais.

   Autrefois influencée par les gamelans javanais apportés par les émigrants hindous, la musique classique balinaise a évolué d'une manière originale qui la rend aujourd'hui bien différente de celle de Java, et les gamelans y sont beaucoup plus divers. Le gambuh est celui qui accompagne l'opéra balinais et comprend deux grandes flûtes (suling gambuh), le rebab et de nombreuses percussions. Le gong gédé est celui des cérémonies et ne comprend ni rebab ni suling, instruments peu conformes à son caractère solennel, même quand il accompagne le topeng (jeu de masques évoquant le passé des princes). Le gender wayang, utilisé pour illustrer le jeu d'ombres wayang kulit, où sont récitées les épopées du Ramayana et du Mahabharata, comprend quatre genders et des percussions, et le gamelan angklung, utilisé pour les cérémonies funèbres, se réserve une gamme de 4 sons répartis entre les différents genders, une petite flûte et des tambours minuscules.

   Les dernières décennies ont vu, cependant, se modifier, sous des influences diverses, la musique traditionnelle de Bali. Le style kebijar a notamment imposé une violence d'accentuation et de rythmes qui en a altéré considérablement la physionomie, entraînant des innovations plus discutables, telles que le djoged grantang ou le djanger dérivé des cérémonies d'exorcisme.