Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Honegger (Marc)

Musicologue français (Paris 1926 – Saint-Martin-de-Vers, Lot, 2003).

Ayant travaillé le piano, l'écriture, la composition et la direction d'orchestre, il a également suivi des études de musicologie avec Paul-Marie Masson et Jacques Chailley. En 1958, il fut chargé d'enseignement à l'université de Strasbourg, où il développa les activités musicales parmi les étudiants en créant en 1961 les Journées de chant choral et introduisit la préparation à l'éducation musicale (licence et concours de recrutement : C. A. P. E. S. et agrégation). Docteur ès lettres et professeur titulaire depuis 1970, il est en outre président de la Société française de musicologie.

   Ses recherches ont porté essentiellement sur la musique française du XVIe siècle, mais il a aussi contribué à une meilleure connaissance des œuvres de Georges Migot. On lui doit enfin un Dictionnaire de la musique en 4 volumes, publié sous sa direction (vol. I et II : les Hommes et les œuvres, Paris, 1970 [2e éd., 1979] ; vol. III et IV : Science de la musique, Paris, 1976).

Hongrie

C'est à la fin du IXe siècle que le peuple hongrois prit définitivement pied dans la plaine du Danube. Sept tribus d'origine finno-ougrienne et altaïque (quatre venant des confins de l'Oural, trois de l'est de la Turquie actuelle) prennent possession des basses plaines de la Tisza et du moyen Danube, repoussant les Bulgares sur le Danube inférieur, tout en restant maîtres de la boucle des Carpates. Après la destruction de l'État khazar, sous la dynastie des Árpád (896-1301), elles perdent toute liaison avec les nomades des steppes, deviennent sédentaires, sont christianisées par Geysa (972-997), puis Étienne Ier (saint Étienne) [997-1038]. Leur royaume s'étend successivement à la Transylvanie, à la Croatie, à la Dalmatie et à la Bosnie. En 1308, sous la pression des Mongols, l'État hongrois se disloque et ne renaît que sous l'impulsion de la dynastie d'Anjou (1307-1382). En 1526, la Hongrie revient aux Habsbourg après la défaite de Mohacs et reste sous l'influence autrichienne à la fin de la Première Guerre mondiale. Après la sécession du comte Károlyi, son indépendance est proclamée le 19 septembre 1919 par le traité de Saint-Germain-en-Laye, tandis que la Transylvanie devient roumaine. L'amiral Horthy est régent de Hongrie (1920-1944) et range son pays dans le camp du Reich allemand. En 1949, la Hongrie devient une république socialiste démocratique.

La richesse musicale du peuple hongrois

Demander à un mélomane profane ce qu'il pense de la musique hongroise provoque toujours une réponse admirative. D'où vient donc cette célébrité bien établie ? D'une confusion entre la musique tzigane et le fond folklorique paysan magyar ? Cette richesse vient tout d'abord de la situation géographique et ethnique. Les tribus magyares ont su conserver la gamme archaïque en cinq tons (pentatonique) ainsi que les ornements mélodiques et rythmiques qui l'accompagnaient. Par la stabilité de la structure sociale, une tradition orale a permis à nombre de formes archaïques de résister au temps, tout en s'enrichissant au contact de l'Occident : chants funèbres (siratóének) ­ à l'origine communs aux peuples des monts d'Ost, de la Volga (Tatars, Turcs d'Anatolie, Bouriates et Kalmouks) ­, comptines, ritournelles, danses paysannes (du porcher, de l'ours), chants de guerre, dont la substance ne doit rien à l'évangélisation et au contexte citadin.

   Seuls la noblesse, puis le clergé ont assumé l'ouverture vers l'Occident. La musique de cour (la cour de Béla III accueille des ménestrels français) n'a que peu d'influence sur la tradition paysanne. Celle-ci se transmet par les mélodies, que l'on peut classer en trois familles : mélodies archaïsantes, usant de la gamme pentatonique sans demi-ton, bâties sur une structure strophique de quatre vers à la rythmique de style parlando ou giusto spontanément dansant ; mélodies récentes, plus riches sur le plan mélodique et presque toujours de caractère dansant ; mélodies pseudo-hongroises, parce que assimilées par les peuples voisins de la plaine hongroise : Transdanubiens, Sicules, Moldaves, Transylvaniens, Slovaques. Chacun de ces groupes ethniques a peu à peu fondu dans l'entité hongroise, enrichissant la tradition altaïque et offrant des groupes de chansons spécifiques aux différents rites de la vie : circonstances (noces, funérailles), famille (jeux et rondes enfantines), travaux des champs (fenaison, etc.).

   L'autre richesse du fond musical hongrois provient de ce que ce matériau est resté vivant. Pendant dix siècles, la Hongrie a verrouillé les confins de l'Occident, puis de l'Empire austro-hongrois. Lorsque, à la fin du siècle dernier, István Bartalus publia sept volumes de mélodies populaires, la musique hongroise put naître en recueillant le témoignage vivant de ces siècles d'activité en monde quasiment clos. Le premier promoteur d'un folklore scientifiquement prélevé est Béla Vikar. En 1905, un jeune compositeur, Zoltán Kodály, décide de consacrer sa vie à cette résurrection. L'année suivante, un jeune pianiste-compositeur, Béla Bartók, se joint à lui. Pendant trente années, ils poursuivent leurs recherches, malgré les bouleversements occasionnés par la guerre de 1914-1918 et l'hostilité des autorités : avant la guerre, du fait de l'hégémonie germanique, après la guerre, du fait du nationalisme étroit du gouvernement Horthy. En 1924, Bartók fait paraître A magyar népdal, 350 mélodies populaires hongroises dont il propose une méthode de classement. Une mise au point sur l'ensemble du patrimoine folklorique hongrois a été faite par Kodály en 1936, puis publiée en 1951 dans le Corpus musicae popularis hungaricae (Bartók, Kodály, 5 vol.), suivie du Régi magyar dallamok tára (répertoire des anciennes mélodies hongroises, Budapest, 1958-1970). En se livrant à de nombreuses comparaisons, Kodály a ainsi définitivement prouvé la filiation directe de cette somme musicale, dans le style archaïsant avec le folklore des Maris, des Tchouvas, des Tatares et des Bouriates. Une nouvelle génération d'ethnomusicologues continue le travail de pionnier réalisé par Kodály, tels Lászlo Lajtha, lorsqu'il était le responsable du département musical du Musée ethnographique de Budapest, Sándor Veress, György Kerényi, István Volly, Imre Csenki, Béla C. Nagy, Pál Jardányi, Lajos Kiss, Bence Szabolcsi.

   Aujourd'hui, la musique populaire est redevenue un des facteurs principaux et originaux de la vie musicale hongroise.

La musique savante, d'Étienne Ier à l'avènement des Habsbourg

Les textes musicaux conservés concernent essentiellement la musique d'église. Sous l'impulsion d'Étienne Ier se fondent de nombreux monastères (Esztergom, Nyitra, Nagyvárad, Pannonhalma, Veszprém, Vác et Csanád). Leurs moines aident le roi à soumettre les chefs encore nomades restés rebelles. Chaque monastère forme un véritable centre musical et culturel, enseignant le chant grégorien, les sciences, l'agriculture, la philosophie et le latin. C'est dans cette langue que les érudits notaient les « codices » (codex), tels l'Antiphonaire de Graz, l'Agenda pontificalis de Hartvig (évêque de Györ), le Codex de Pray. Parallèlement, il semble que le peuple adapte à la liturgie catholique des chants d'origine populaire, en langue vulgaire, colportés par des chanteurs de gestes (en latin, juculatores ; en hongrois, regös ou regés ; plus tard igric, lantos, hegedös, kozbos, selon qu'ils chantent la tradition héroïque ou balladique). Un des documents les plus anciens connus est une adaptation hongroise d'une Litanie à la Sainte Vierge due au Français Geoffroy de Breteuil. Le Codex de Nador confirme la pénétration du hongrois dans les chants religieux, dont la rigueur grégorienne commence à prendre quelque liberté (1508). Le roi Mathias (1458-1490) réunit à sa cour les meilleurs spielmänner, minnesänger et troubadours de l'époque, venus d'Allemagne, de France et d'Italie, ainsi que la première avant-garde des Tziganes, avec l'apparition des instruments à cordes. C'est néanmoins un homme d'église qui nous a laissé la première notation de chanson populaire (1520). Ce court fragment rejoint les notations réalisées par des chanteurs étrangers de danses hongroises ungaresca ou de kolomejka folklorique.