Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Paris (suite)

Le XVIIIe siècle

Le XVIIIe siècle est notamment marqué par la naissance de la première association de concerts, et le développement d'un public d'amateurs ­ avec le Concert spirituel, fondé en 1725 par Anne Danican de Philidor (FRANCE. XVIIIe s.), association qui contribue à faire connaître à Paris la musique instrumentale italienne, avec ses virtuoses (Boccherini, Viotti), mais aussi la musique de l'école de Mannheim puis les symphonies de Haydn. C'est l'orchestre de l'Opéra qui y joue en principe (d'autant que ces concerts sont primitivement destinés à offrir de la musique pendant les jours de fête religieuse où les représentations d'opéra sont interdites). C'est au Concert spirituel que Mozart destine sa symphonie K.297, écrite en 1778, lors de son dernier séjour dans la capitale. D'autres associations voient le jour, comme le Concert italien, le Concert des amateurs, le Concert de la loge olympique (qui, fin 1784 ou début 1785, commande à Haydn ses six Symphonies parisiennes), sans compter les concerts organisés par les riches mécènes (comme Riche de la Pouplinière, protecteur de Rameau, dans sa résidence à Passy).

   La vie musicale à Paris est agitée par les querelles autour de la musique française, par comparaison avec les Italiens (Querelle des bouffons). C'est naturellement l'opéra qui est l'enjeu de cette querelle, plus que la musique symphonique (encore en développement) ou la musique religieuse ­ encore que celle-ci tende parfois à s'italianiser. Après la destruction en 1763 de la salle du Palais-Royal, l'Opéra va occuper temporairement l'ancienne salle des fêtes des Tuileries, gigantesque local appelé « salle des machines » et qui se révélera d'une acoustique impossible malgré des travaux d'aménagement. Elle dut être remplacée par une seconde salle dite « du Palais-Royal » (dans la rue Saint-Honoré) en 1770. C'est là que Gluck présenta ses opéras qui ranimèrent la querelle des musiques italienne et française, et que Mozart redonna ses Petits Riens en 1778, jusqu'à ce qu'elle brûle en 1781. Une dernière salle, à la porte Saint-Martin, abrita les représentations de l'Académie royale jusqu'à la Révolution.

   Issu des vaudevilles joués dans les foires (les deux principales étant la foire Saint-Germain, sur la rive gauche, et la foire Saint-Laurent sur la rive droite), l'opéra-comique s'affirme, et achète à l'Opéra le droit de chanter. Le théâtre de l'Opéra-Comique s'installe en 1716 à l'hôtel de Bourgogne ; la Comédie-Française le fait fermer en 1742, mais il rouvre en 1752. En 1762, bien qu'étant composé en majorité de Français, l'Opéra-Comique prend le nom de Comédie-Italienne (toujours cette référence au « label » italien), et cette compagnie s'installe en 1793 dans une nouvelle salle près de l'hôtel de Choiseul. À signaler enfin le fait que, de 1760 à 1790, Paris fut la capitale européenne de l'édition musicale (Chevardière, Boyer, Sieber, Imbault, Le Duc). C'est à Paris qu'en 1764 fut imprimée pour la première fois une œuvre de Haydn.

La Révolution et le XIXe siècle

La Révolution est l'occasion d'énormes fêtes civiques où les églises sont réquisitionnées, notamment comme lieu de culte pour l'Être suprême (juin 1794). Les nombreux bouleversements politiques et successions de régimes qui marquent le passage d'un siècle à l'autre donnent lieu à d'immenses cérémonies publiques, où la musique, interprétée par des formations instrumentales et chorales colossales, joue un rôle important (sacre de Napoléon en 1804). La Révolution a naturellement brisé le cours de la pratique musicale religieuse, mais aussi elle rénove tout le système d'enseignement, avec la fondation, en 1795, par la Convention nationale, du Conservatoire (dans les locaux dits aujourd'hui de l'« Ancien Conservatoire »), à partir du personnel de l'ancienne École royale de chant. 351 élèves y rentrent en octobre 1796, étudiant sous la direction de 115 professeurs. Fermé par la Restauration, le premier Conservatoire rouvre en 1816 comme École royale de musique.

   À côté du Conservatoire seront créés d'autres écoles, d'autres enseignements privés : celui d'Antonin Reicha (qui introduit en France la tradition allemande) ; l'école de Choron, qui fonde en 1817 son école basée sur la redécouverte de la musique ancienne ; et en 1853, l'école de musique religieuse Niedermeyer, qui sera fréquentée par Fauré, Gigout, Messager, et qui, soutenue par une aide officielle, s'inscrit dans tout un programme de résurrection des traditions musicales et religieuses.

   En effet, le « choc » de la Révolution retentit dans tout le siècle, déclenchant par contrecoup un vaste mouvement pour renouer avec le passé : cet effort pour recréer les traditions poussera plus loin son investigation dans le passé qu'on ne l'avait jamais fait (jusqu'ici, le seul passé faisant référence, c'était le passé mythique des Anciens, des Grecs et des Romains, avec leur musique dont il ne restait plus grand-chose, mais qu'on cherchait si souvent à recréer). Le facteur d'orgues Cavaillé-Coll reconstitue (à sa manière) les orgues de Notre-Dame de Paris, de Sainte-Clotilde, Saint-Sulpice, la Trinité. De nouvelles lignées d'organistes liturgiques, se ressourçant dans la musique ancienne, apparaissent, avec Boëly à Saint-Germain-l'Auxerrois, Louis Lefébure-Wély à Saint-Sulpice, Gigout à Saint-Augustin, Saint-Saëns à la Madeleine, César Franck à Sainte-Clotilde. À partir de cette renaissance, et toujours en référence à la tradition, s'affirme la seconde lignée, celle des Widor à Saint-Sulpice, de Guilmant à la Trinité, de Tournemire à Sainte-Clotilde, de Louis Vierne à Notre-Dame, etc. Et la continuité en a été gardée jusqu'à aujourd'hui.

   Même si la Révolution avait vu se poursuivre plus ou moins les concerts (société par souscription des Concerts de la rue de Cléry, de 1798 à 1805), le XIXe siècle voit un grand développement des orchestres et des concerts symphoniques, parallèlement à la découverte de la musique symphonique allemande. La première salle de concert officielle (jusque-là, les concerts symphoniques se donnaient surtout dans des théâtres) aurait été celle du Conservatoire (aujourd'hui de l'Ancien Conservatoire) réputée pour son acoustique, et qui abrita les concerts dirigés par Habeneck. Donnés d'abord entre 1806 et 1826 avec une phalange composée de lauréats du Conservatoire, ces concerts sont bientôt organisés au sein d'une société que Habeneck fonde en 1828, la Société des concerts du Conservatoire, qu'inaugure un concert où Beethoven, avec l'Héroïque, tient la vedette, et qui va être une des sociétés les plus durables (presque 150 ans d'activité). Après Habeneck, différents chefs d'orchestre dirigent ses programmes : Narcisse Girard (à partir de 1849), Théophile Tilmant (1861), Hainl (1861).

   À la suite de cette société, et à la faveur d'un goût croissant pour le genre symphonique, dont Beethoven est considéré comme le père et le maître, fleurissent les sociétés comme les Concerts historiques de Fétis, l'éphémère Société philharmonique de Berlioz (1850-51), la Société Sainte-Cécile (1849-1856), fondée par François Seghers, etc. Un des plus grands noms dans le développement de la musique symphonique à Paris au cours du XIXe siècle est celui de Jules Pasdeloup, qui, en 1852, fonde d'abord la Société des jeunes artistes du Conservatoire (qui joue les Allemands, mais aussi Saint-Saëns, Gounod), et en 1861 les Concerts populaires de musique classique, qui s'arrêteront en 1881 pour revivre en 1920 sous le nom de Concerts Pasdeloup. Georges Hartmann fonde en 1873 le Concert national qui deviendra plus tard, au théâtre du Châtelet, les Concerts Colonne, du nom de leur premier chef. Lamoureux, en 1881, fonde la Société des nouveaux concerts, devenue en 1897 les Concerts Lamoureux (on y fera découvrir plus qu'ailleurs la musique nouvelle, celle de Debussy par exemple). La Société nationale de musique, née en 1871, est plus spécialement consacrée au répertoire contemporain.

   La musique de chambre et la musique de solistes mettent plus longtemps à devenir populaire, et à attirer un large public. La Société de musique de chambre, fondée en 1835 par Delphine Allard, violoniste, et le violoncelliste Franchomme, devait en 1848 former un quatuor réputé. Autre société : la Trompette, créée en 1860 à partir du Quatuor Dancla (c'est pour elle que Saint-Saëns écrivit son Sextuor). De telles sociétés se multiplient à la fin du siècle, comme le Quatuor Capet en 1893. Et le chant choral se développe, souvent à partir de la découverte du répertoire religieux ancien : ainsi la Société pour la musique vocale religieuse et classique, créée en 1843 par le prince de la Moskova. L'Association des concerts de Saint-Gervais de Charles Bordes (1892) est à l'avant-garde du mouvement de découverte de la musique de la Renaissance. La plus grande chorale populaire est l'Orphéon, qui compte, en 1846, 1 600 membres.

   Dans le développement de ces associations, les institutions et la « libre entreprise » jouent un certain rôle, mais aussi les mécènes comme l'éditeur Maurice Schlesinger, la famille Érard, etc. Et c'est dans les salons musicaux des riches, plus que dans les salles de concert, que se font entendre au début les grands virtuoses du clavier, Liszt, Chopin, Thalberg. Mais c'est évidemment l'opéra qui est au cœur de cette vie musicale et qui attire d'abord l'attention de la société et de l'Europe ; et c'est dans l'opéra qu'un compositeur doit avant tout réussir. La Révolution a permis légalement à chacun d'ouvrir un théâtre public et, même si Napoléon a réduit en 1807 le nombre des théâtres à huit, on s'est rattrapé depuis, et la vie lyrique est particulièrement intense.

   Naturellement, le fonctionnement de l'Opéra a suivi les nombreux changements politiques concentrés entre 1790 et 1820. Successivement théâtre de l'Opéra en 1791, théâtre des Arts en 1794, Académie impériale de musique en 1804, Académie royale de musique en 1814, etc., l'Opéra est administré par le pouvoir, et par la Ville de Paris. Il occupe successivement différentes salles, le théâtre Montansier en 1794, la première salle Favart et le théâtre Louvois en 1820-21, un théâtre situé rue Le Peletier en 1821. Parmi ses nombreux directeurs, on peut citer Jean-Baptiste Rey, Rodolphe Kreutzer, Habeneck et Valentino, Véron (1831-1835), Duponchel (1835-1841), Pillet (1841-1847), Roqueplan (1847-1854), Crosnier (1854-1856), Royer (1856-1862) ; puis, après la construction du palais Garnier inauguré en 1875 (pour remplacer l'Opéra détruit par l'incendie en 1873), Halanzier (jusqu'en 1879), Vaucorbeil (1879-1884), Ritt et Pierre Gailhard (1884-1891), Bertrand (1891-1900), Gailhard (à partir de 1900), etc. Des chanteurs aussi réputés que la Malibran, Pauline Viardot, Adolphe et Louis Nourrit, en firent la gloire. Et les chefs en furent, entre autres, Habeneck (1831-1846), Narcisse Girard (1846-1860), Dietsch (1860-1863), Hainl (1863-1872), Lamoureux (1877-1885), Colonne (1892-1894), etc.

   C'est le siècle le plus brillant pour l'Opéra de Paris, qui propage les modes successives de Spontini (la Vestale, 1807), de Rossini (le Siège de Corinthe, Moïse, 1826 ; Guillaume Tell, 1828), d'Auber (la Muette de Portici, 1827), puis celle, dévastatrice, de Meyerbeer, avec Robert le Diable (1831), le Prophète (1849), mais qui voit aussi les échecs cruels de Berlioz (Benvenuto Cellini, 1838) et Wagner (Tannhäuser, version de Paris, 1861). Des ballets comme Giselle (1841), d'Adam et Coppélia (1870), de Delibes, sont très populaires, avec de grands danseurs comme Jules Perrot ou Marius Petipa. La fin du siècle est marquée par la revanche écrasante de Wagner, à partir de la création de Lohengrin, en 1891.

   Durant le XIXe siècle, l'opéra-comique est cultivé dans un certain nombre de salles, et ce genre n'est pas, contrairement à aujourd'hui, considéré comme inférieur. Au début, deux salles sont en concurrence : le Théâtre-Italien, dit aussi Théâtre Favart, qui joue Grétry, Dalayrac, Méhul, Boieldieu, et le théâtre Feydeau, dit aussi Théâtre de Monsieur, créé en 1789 juste avant la Révolution, qui se spécialisait d'abord dans l'opéra italien (Pergolèse, Paisiello), mais jouait aussi Lesueur, Cherubini. En 1801, les deux compagnies fusionnent pour former le Théâtre national de l'Opéra-Comique, créé par le gouvernement, et doté d'un statut officiel en 1807. Il occupe différents lieux. Quand il est installé salle Feydeau, on y donne Spontini et les opéras-comiques de Méhul (Joseph, 1807) et Boieldieu (la Dame blanche, 1825). En 1825, il déménage salle Ventadour, puis, en 1832, au théâtre des Nouveautés, ensuite dans la deuxième salle Favart (1840), qui brûlera en 1887.

   La grande époque de l'Opéra-Comique commence, avec des œuvres divertissantes et enlevées comme Fra Diavolo (1830), d'Auber, Zampa (1831), d'Hérold, le Postillon de Longjumeau (1836), d'Adam, la Fille du régiment (1840), de Donizetti, jusqu'à la naissance de l'opérette, avec les Noces de Jeannette (1853), de Victor Massé.

   Des directeurs comme Carvalho (1876-1887) et May (1891-1898) marquent la seconde époque de l'Opéra-Comique, avec une seconde vague d'œuvres, d'un style plus complexe, plus élaboré, en général : Carmen (1875) de Bizet, les Contes d'Hoffmann (1881) d'Offenbach, Lakmé (1883) de Delibes, le Roi malgré lui (1887) de Chabrier, le Roi d'Ys (1888) de Lalo, Louise (1900) de Charpentier, etc. La troisième salle Favart, celle d'aujourd'hui, est inaugurée en 1898. Pelléas et Mélisande (1902), qui n'a plus rien de l'opéra-comique, y trouve place plus facilement qu'à l'Opéra.

   Parmi les autres salles, on peut citer le Théâtre-Italien appelé aussi Opéra-Bouffes, créé grâce au goût de Napoléon pour la musique italienne, et qui eut comme directeurs, entre autres, Spontini (1810-1812) et Rossini (1824-1826), qui y avait donné le Barbier de Séville ­ cette salle révéla aux Parisiens notamment Bellini et Donizetti, et fit applaudir des grands noms du chant comme Grisi, Lablache, Tamburini ; ou encore le Théâtre lyrique, fondé en 1851 par Edmond de Seveste, dirigé notamment par Carvalho et Pasdeloup, où Gounod créa la version parlée de Faust (1859), Mireille (1864), Roméo et Juliette (1867) ­ ce théâtre s'installa en 1862 au théâtre Sarah-Bernhardt, actuel théâtre de la Ville ; ou encore l'Ambigu-Comique, théâtre pour mélodrames ; le théâtre de la Porte-Saint-Martin, qui présentait au début du siècle pantomimes, mélodrames et ballets ; puis, dans la seconde moitié du XIXe siècle une floraison de théâtres lyriques qui donnaient souvent des opérettes et vaudevilles : le théâtre de la Gaîté (1872-1876), les Folies-Montholon (1874-1878), le Trianon lyrique, le théâtre Beaumarchais, le théâtre des Capucines (1892-1898), le théâtre du Château-d'Eau (1883-1903), l'Éden-Théâtre (1883-1894), les Bouffes-Parisiens d'Offenbach, etc.

   Toute cette activité, qui fait de Paris un des centres mondiaux de l'art lyrique, s'accompagne d'une prospérité de l'édition musicale, avec des maisons dont un certain nombre survit encore : Sieber, Gaveaux, Erad, Imbault, et plus tard Choudens, Costallat, Durand, Hamelle, Schlesinger, Leduc. Dans la facture instrumentale parisienne, également réputée, on peut citer : Érard pour les pianos et les harpes, Pleyel pour les mêmes instruments ; pour les bois, Buffet et Tribert, ainsi que Savary ; pour les cuivres, Sax (l'inventeur du saxophone) ; Lupot, Pique et Vuillaume pour les cordes.