Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
O

opéra (suite)

L'opéra dans les autres centres européens

Les modèles italiens, français, puis allemands dominent dans toutes les cours, où s'amorce le même processus de traductions, puis de véritables créations autochtones.

La Russie

Pierre le Grand ayant imposé une culture de type franco-allemand, les comédiens français paraissent à Saint-Pétersbourg dès 1729, et c'est d'Allemagne que provient, en 1731, un Italien de la troupe de Hasse, Ristori, qui y présente un de ses opere buffe, La Calandro, cependant que des intermezzos italiens sont bientôt traduits en allemand et en russe. Mais, dès 1735, le Napolitain Francesco Araja (v. 1709 -1770) y élit domicile, fait applaudir d'abord sa Forza dell'amore e dell'odio, puis écrit en 1737 Il Finto Nino, et se consacre à l'opéra métastasien et au ballet français. Bientôt traduites en russe, ses œuvres alternent en 1742 avec de nouveaux spectacles français. En 1755, c'est enfin sur une traduction préalable du livret qu'il écrit directement en russe Céphale et Procris, cependant que G. B. Locatelli produit une nouvelle troupe italienne en 1757, que Raupach donne en 1758 un Alceste en russe, et que les Français, revenus en 1762, conservent toujours les préférences de la cour. Pourtant, les meilleurs musiciens italiens y occuperont désormais sans interruption des charges officielles : Vincenzo Manfredini de 1758 à 1769, Galuppi de 1765 à 1768, Traetta jusqu'en 1775, Paisiello jusqu'en 1783, Cimarosa de 1787 à 1791, Martin y Soler de 1788 à 1794, tandis que Giuseppe Sarti (1729-1802) se fixe à Saint-Pétersbourg en 1784. Formé à Bologne, ayant triomphé à Venise et à Rome, Sarti avait séjourné vingt années à Copenhague, et il sut poser les bases d'un riche enseignement classique, préparant ainsi le terrain au Vénitien Cavos, qui, dès 1797, allait devenir le premier grand compositeur « russe ».

   Parallèlement à cette culture aristocratique, on traduit des singspiels, et des opéras-comiques de Philidor, Duni, Grétry, Dalayrac, Dezède, etc. Des chanteurs russes se mêlèrent aussi à la troupe du Français Clairval, l'interprète fameux de Grétry, et, à Moscou, l'Anglais Michael Maddox organise des spectacles dès 1776, fonde en 1780 le théâtre Petrowsky, largement ouvert aux productions russes, cependant que, comme le fait Herder en Allemagne, on recense le vieux fonds païen national. Et, si l'opera buffa s'installe victorieusement à Saint-Pétersbourg, c'est surtout à Moscou et dans l'ancienne Russie que s'amorce un mouvement irréversible : durant une trentaine d'années, des musiciens russes allaient créer des vaudevilles faits de refrains populaires célèbres, parfois mâtinés d'influences étrangères, œuvres souvent composites et sans cesse modifiées et réadaptées. Un mystère plane toujours sur une éventuelle Tanioucha (1756 ?), un vaudeville de Volkov, et on ne peut affirmer non plus quel musicien (Dimitriewski, Pashkevitch ?) composa la partition de Aniouta (Tsarskoïe Selo, 1772), un acte de M. Popov, qui passe pour le premier « opéra » de fonds et d'auteurs russes.

   Enfin, alors que le Devin du village de Rousseau fait fureur et suscite les pastiches et imitations de Kerzelli ou Zorine, le premier succès authentique du genre fut un Meunier magicien, écrit par Ablesimov, et les couplets arrangés par Sokolowski, joué à Moscou en 1779, puis aussitôt à Saint-Pétersbourg, et encore repris en 1784 par le très sérieux Fomine. De nombreux autres vaudevilles apparurent, dans les deux capitales, notamment le Bazar de Saint-Pétersbourg (créé en 1782), œuvre en 3 actes de Mikhaïl Matinski (un serf émancipé qui avait étudié en Italie), et, plus tard, Catherine II écrivit des livrets, où alternaient le fonds historique et le thème quotidien, livrets où se mêlaient parfois les musiques de Sarti, Cannobio, Martin y Soler, celles de Matinski et surtout celles de Pashkevitch (v. 1742-1797), qui illustra son premier livret, Fevey, en 1786. Mais, à Saint-Pétersbourg surtout, le goût français reste dominant, et c'est dans cette langue que seront d'abord écrits certains opéras-comiques, dont peut-être l'Avare (Skoupoï, 1782) de Pashkevitch.

   C'est toutefois grâce à leur formation acquise à Bologne ou Venise que trois musiciens russes devaient imposer une plus forte personnalité : Maxime Berezowski (1745-1777), qui, après avoir écrit des opéras métastasiens, revint organiser la chapelle impériale ; son successeur Dimitri Bortnianski (1751-1825), qui écrivit 7 opéras, encore bien cosmopolites (le Faucon, en 1786, comme le Fils rival [1787] sont composés sur textes français) ; et enfin Evgueny Fomine (1761-1800), qui, après son retour d'Italie, en 1786, mit aussi en musique les livrets de l'impératrice, adhéra à la formule du mélodrame avec chœur (Orphée et Eurydice, créé 1792), dans une langue qui évoquait Mozart, Salieri et Gluck, puis, avec les Américains (1800) et la Pomme d'or (posth.), un véritable opéra, affirma un réel sentiment national. Et lorsqu'en 1798 Paul Ier interdit l'opéra italien, la relève semblait assurée.

L'Angleterre

Il fallut d'abord y effacer l'héritage national pour imposer d'abord des traductions d'intermezzos, dès 1705, et, peu à peu, le véritable opéra italien, chanté par des troupes italiennes. On applaudit d'abord des ouvrages anciens de Bononcini, de Mancini (Idaspe fedele, 1710), avant les créations originales de Haendel (Rinaldo, 1711) et de Porpora. C'est à cet opéra italien, autant qu'à l'aristocratie londonienne corrompue, que s'en prend en 1728 The Beggar's Opera, une satire assez féroce, arrangée selon la forme du ballad opera, par J. C. Pepusch (1667-1752). Son succès confirma la virtualité d'un opéra anglais, ce dont Haendel tira la leçon, avec ses oratorios, puis Thomas Arne (1710-1778), qui reprit la tradition du mask (Alfred, 1740, contient le fameux Rule Brittania), traduisit Métastase, adoptant toutefois les schémas haendéliens (Artaxerxès, 1762), et appliqua à son Love in a Village (1762) la formule du pasticcio. On peut citer encore les opéras-comiques de Charles Dibdin (1745-1814), de Samuel Arnold (1740-1802), de Michael Arne et de William Shield (1748-1829), l'arrivée à Londres en 1787 de Stephen Storace, ami de Mozart, qui y fit rejouer ses œuvres italiennes, leur adaptant un texte anglais, puis, au XIXe siècle, les opéras de H. Bishop, de culture cosmopolite, et de M. Balfe, un épigone de Rossini. Mais la fin du XVIIIe siècle fut essentiellement dominée à Londres par l'activité menée par Jean-Chrétien Bach (1735-1782), formé à Milan, mentor, puis ami de Mozart, qui écrivit peu en anglais, mais fit régner un opéra italien de grande qualité.

La péninsule Ibérique. ­ Espagne

Dans ce pays, marqué par la présence de Domenico Scarlatti, puis du castrat Farinelli, devenu conseiller politique et fondateur de l'opéra italien, on en vint néanmoins à traduire préalablement les poèmes de Métastase (José Durán, formé à Naples, écrivit Antigono en 1760), et Ramón de la Cruz réécrivit Goldoni pour Pablo Esteve, Manuel Pla, ou Antonio Rodriguez de Hita (1704-1787) : La Buona figliuola devint La Buena hija (Esteve) et Gli Uccellatori devinrent Los Casadores, zarzuelas ou tonadillas escénicas. Hita donna, en 1763, Briseida, zarzuela heroica, et la collaboration de Cruz et Hita produisit encore Las Segadores de Vallecas (1768), tiré de la légende de Ruth, une zarzuela burlesca, comme en 1769 Las Labradoras de Murcia, avec jotas et seguedilles, tambourins et castagnettes, consacrant aussi, comme en Italie, en un genre autonome les intermezzos espagnols, qui, dès 1758 (cf. Los Ciegos, de Luis Míson), furent intercalés dans les opéras italiens, lesquels continuaient sans peine à triompher de ces œuvrettes, modèles des futures espagnolades de l'opéra français.

Portugal

Deux noms y marquèrent principalement l'implantation de l'opéra italien, ceux de l'Italien Davide Perez (1710 ou 1711-1778 ?) et du Portugais Francisco de Almeida. Ce dernier, formé à Rome, revint donner à Lisbonne en 1733 un dramma comico, La Pazienza di Socrate, que suivirent en 1735 La Finta pazza, et, surtout, en 1739 La Spinalba, étonnante anticipation du dramma giocoso. Perez, fort de son expérience acquise à Naples et à Palerme, écrivit dès 1752 des « opérettes » portugaises, et fonda en 1755 l'Opéra de Lisbonne, aussitôt détruit par le tremblement de terre. Parmi de bons musiciens autochtones, citons João de Sousa de Carvalho (1745-1798), qui, formé à Naples, composa en italien (L'Amore industrio, 1769) et prit la succession de Perez, alors que, à l'inverse, Marcos António da Fonseca Portugal écrivit d'abord en 1784 des œuvres d'un comique de qualité en portugais, puis s'en alla faire carrière en Italie sous le nom de Portogallo.