Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
S

Somfai (Laszlo)

Musicologue hongrois (Jaszladany 1934).

Il a étudié à l'Académie de Budapest avec D. Bartha et B. Szabolcsi, obtenant sa maîtrise en 1959 avec une dissertation sur les quatuors de Haydn. Entré aux archives Bartók en 1963, il en est devenu directeur en 1972, et enseigne depuis 1969 la musicologie à l'Académie F.-Liszt de Budapest. Il a surtout travaillé sur Haydn et Bartók, publiant notamment Haydn als Opernkapellmeister (Budapest, 1960, avec D. Bartha), le premier ouvrage iconographique scientifique sur Haydn (Joseph Haydn : sein Leben in zeitgenössischen Bildern, Budapest et Kassel, 1966) et un livre en hongrois sur les sonates de Haydn (1979, trad. anglaise The Keyboard Sonatas of Joseph Haydn, Chicago et Londres, 1995).

Somis (Giovanni Battista)

Violoniste et compositeur piémontais (Turin 1686 – id. 1763).

Il fut pendant quatre ans l'élève de Corelli, à Rome, avant de regagner sa ville natale où, maître de musique de la cour, il forma à son tour de nombreux disciples. Son frère Lorenzo (Turin 1688 – id. 1775) fut également violoniste de la cour et séjourna à Paris.

sommier

Pièce de bois massif renforcé qui reçoit les chevilles des cordes d'un piano ou d'un clavecin.

À l'orgue, le sommier est une grande caisse de bois alimentée en air comprimé, sur laquelle repose une partie ou la totalité de la tuyauterie correspondant à chaque clavier et au pédalier. L'intérieur du sommier comporte, au-dessus d'un réservoir commun, des divisions transversales correspondant à chaque note, obturées par des soupapes, et des divisions longitudinales correspondant à chaque série de tuyaux ou jeu, commandées par des registres. La technique de traction pneumatique, puis surtout l'électrique, ont modifié l'organisation intérieure des sommiers, qui reste néanmoins toujours soumise à ces principes.

son

Les sons, dont l'agencement particulier dans le temps constitue l'art musical, n'existent pas en tant que tels ; ils sont dus à des vibrations de l'air, animé de surpressions et de dépressions, vibrations que l'oreille recueille et transforme en influx nerveux ; celui-ci est transmis au cerveau, où naît la sensation auditive que nous appelons son.

   L'air est mis en mouvement par divers procédés ­ percussion, mouvement matériel (sirène, fronde), vibration d'un muscle (voix) ou d'un corps physique (instruments à tuyaux et à vent), frottement d'une corde. Pour que l'oreille puisse traiter ce phénomène physique, et le cerveau le transformer en sensation sonore, il faut qu'il réponde à certaines conditions. Son intensité (ou niveau sonore) doit être approximativement comprise, aux fréquences moyennes, entre 30 décibels (seuil d'audibilité, en dessous duquel l'oreille ne réagit pas) et 130 décibels (seuil de la douleur, au-dessus duquel il y a détérioration de l'oreille interne). Quant à sa hauteur (définie en physique par la fréquence), elle doit être comprise, pour un individu jeune et en bonne santé, entre 20 hertz (ou vibrations par seconde) et 20 000 hertz. En dessous, on parle d'infrasons ; au-dessus, ce sont les ultrasons, auxquels sont sensibles de nombreux animaux.

   Physiquement, le son est un phénomène périodique dont l'étude ressortit à la mécanique ondulatoire. Il peut être sinusoïdal ­ c'est le cas le plus simple, celui auquel on ramène schématiquement les phénomènes complexes pour pouvoir les étudier ; son privé de timbre, comme celui émis par les générateurs électroniques, il n'intéresse guère les musiciens. Ceux-ci préfèrent les sons timbrés des voix et des instruments, aux possibilités expressives plus riches. Le son se présente alors comme un phénomène périodique non sinusoïdal, mais formé de la somme de signaux sinusoïdaux élémentaires ayant chacun avec le son fondamental ou résultant des relations de niveau, de fréquence et de phase plus ou moins simples : ce sont les harmoniques ou les partiels. Peuvent s'y ajouter des sons complexes et aléatoires, les transitoires, correspondant aux bruits d'attaque du son et pour partie responsables de l'identification du timbre.

sonata da camera (ital. ; « sonate de chambre »)

sonata da chiesa (ital. ; « sonate d'église »)

Ce sont deux sortes de musique instrumentale composées aux XVIIe et XVIIIe siècles pour un ou deux instruments mélodiques, en général accompagnés par la basse continue. Dans le cas de la sonata da chiesa, l'orgue peut avantageusement remplacer le clavecin pour le continuo.

   La sonata da camera commence le plus souvent par un prélude suivi d'une série de mouvements de danses (allemande-courante-sarabande-gigue-gavotte, etc.). En revanche, la sonata da chiesa adopte un ton plus sérieux. Ses mouvements (trois ou, surtout, quatre) portent des titres indiquant le tempo et le caractère de chaque pièce : par exemple, lento (grave)-allegro (souvent de style fugué)-adagio-allegro.

   Arcangelo Corelli a laissé de célèbres exemples des deux genres avec les Sonate da camera a tre (1685 et 1694) pour deux violons et violone ou clavecin et les deux recueils de sonates d'église à trois (1681 à 1689) pour deux violons et violone ou archiluth et orgue. Parfois, Corelli remplace le prélude ou premier mouvement de la sonata da camera par un adagio.

   Ainsi, après 1700, les deux genres commencent à se mélanger. La sonata da chiesa prendra le titre de sonata tout court tandis que la sonata da camera se confond avec la suite et les formes analogues. En France, une flûte traversière peut alterner avec le violon. Une réunion particulièrement heureuse des deux styles évolués est atteinte par F. Couperin dans les sonates intitulées les Nations (1726).

sonate (forme)

Ce principe structurel domina la musique occidentale en gros de 1750 à 1950, ou de la première école de Vienne (Haydn, Mozart, Beethoven) à la seconde (Schönberg, Berg, Webern). Théoriquement, il s'applique non à une œuvre entière, mais à un mouvement isolé, ce dernier pouvant évidemment faire partie d'une œuvre en plusieurs mouvements. En réalité, il est possible et fréquent, à partir de la maturité de Haydn et Mozart, de retrouver le principe de la forme sonate à l'échelle d'une œuvre en plusieurs mouvements. Dans une symphonie de Haydn par exemple, le finale joue souvent un rôle de résolution analogue à celui d'une réexposition dans une forme sonate. À noter enfin que la forme sonate vaut pour tous les genres instrumentaux pratiqués à partir de 1750 (pas seulement la sonate, mais aussi la symphonie, le concerto, le quatuor à cordes, etc.), et même, dans certains cas, pour les genres vocaux.

   De la forme sonate, on ne trouve pas chez Haydn, Mozart et Beethoven, ses premiers grands représentants, deux exemples identiques. Elle n'eut rien de schématique, et ses « règles » furent bien moins nombreuses qu'on ne le croit. Le terme lui-même ne devait d'ailleurs voir le jour que bien après la mort des trois classiques viennois. Czerny prétendit avoir été le premier, vers 1840, à en donner une définition.

   À partir de Czerny, la forme sonate fut le plus souvent définie comme une structure mélodique en trois parties : exposition, avec premier thème ou premier groupe de thèmes à la tonique, et second thème ou second groupe de thèmes à la dominante ; puis (après reprise de l'exposition) développement, avec fragmentation et combinaison des thèmes dans diverses tonalités ; enfin réexposition (éventuellement suivie d'une coda), avec les deux thèmes ou les deux groupes de thèmes à la tonique.

   Ce schéma, confirmé par beaucoup de mouvements du XVIIIe siècle mais contredit par d'autres, a comme inconvénients principaux moins son anachronisme (c'est le XVIIIe siècle revu par le XIXe) et son caractère approximatif que son caractère de recette (pour des plats au demeurant devenus impossibles à préparer) et sa tendance à faire passer les pages de Haydn, Mozart et Beethoven ne s'y conformant pas comme autant de violations (mises au compte de leur génie, bien sûr) de règles qui en réalité n'avaient jamais existé.

   D'où peu à peu l'apparition d'une autre définition de la forme sonate, admettant quant à elle la priorité de la structure tonale sur la structure mélodique, et distinguant non plus trois parties mais essentiellement deux : début à la tonique et passage à la dominante, puis passage à d'autres tonalités et retour à la tonique. Son inconvénient, outre de faire comme si les thèmes n'avaient aucune importance, est d'être davantage une description qu'une définition, de s'appliquer à trop de musiques écrites entre 1700 et 1950, et de ne faire aucune distinction entre Haydn, Mozart et Beethoven d'une part, leurs contemporains de seconde zone d'autre part, bref de se borner à des points de grammaire sans rendre compte de l'esprit de la forme, de sa signification en tant que produit de la fin du XVIIIe siècle, ni au sein de chaque œuvre des rapports entre structure et matériau.

   Les éléments constitutifs de la forme sonate apparurent parallèlement en une constante interaction dont peut aider à saisir le mécanisme une bonne compréhension de la portée exacte de la tonalité et de la modulation classiques. En musique tonale, et particulièrement depuis Haydn et Mozart, la tonalité principale d'un morceau ou d'une œuvre joue, par rapport aux autres tonalités dans lesquelles s'aventure ce morceau ou cette œuvre, le même rôle que, dans une tonalité donnée, l'accord parfait (consonant) par rapport aux autres accords, plus ou moins dissonants : un rôle de résolution de tension. Revenir à la tonique ou s'en rapprocher est en soi réducteur de tension : le retour de cette tonique à la fin d'une œuvre classique correspond à une exigence fondamentale de l'époque. Quitter la tonique (la tonalité principale) ou s'en éloigner est en soi générateur de tension : plus la modulation est articulée dramatiquement, plus la nouvelle tonalité est éloignée de la principale, et plus la tension créée sera forte. Corollaire : plus une tonalité est éloignée de la principale, plus il lui sera difficile d'établir un nouvel équilibre, de se fixer et de se transformer en tonique provisoire.

   D'où, chez Haydn et Mozart, le rôle essentiel de la dominante, de toutes les tonalités génératrices de tension la plus aisée à établir, parce que la plus proche de la principale. D'où aussi, chez Beethoven et ses successeurs, créateurs de structures aptes à supporter en leurs points d'articulation de plus fortes tensions, la fréquente attribution à des tonalités plus éloignées du rôle précédemment dévolu à la dominante. La sonate Waldstein de Beethoven est en ut majeur : de son premier mouvement, la seconde partie de l'exposition ne se fixe pas à la dominante sol majeur, mais à la médiante mi majeur, utilisée comme substitut de dominante.

   Le phénomène du passage à la dominante (ou au relatif majeur pour un morceau en mineur), en soi antérieur à l'époque de Haydn et Mozart, devint avec eux irrésistible. Cela dit, en tant que tels, les phénomènes du passage à la dominante et du retour à la tonique furent moins chez eux des éléments de forme que de simples points de grammaire, des conditions d'intelligibilité. Essentielle fut leur façon de mettre en œuvre des démarches qui, pour les auditeurs du temps, allaient de soi. Au début du XVIIIe siècle, on n'était pas censé les souligner ; eux les mirent en évidence. Au début du siècle, en particulier dans les danses, on trouvait fréquemment la progression schématique suivante : énoncé d'un matériau avec progression de la tonique à la dominante, puis énoncé du même matériau ou d'un matériau très semblable avec progression de la dominante à la tonique. D'où une double symétrie binaire, A-B/A-B au point de vue mélodique, et A-B/B-A au point de vue tonal, avec impression d'ensemble binaire et déroulement assez continu, la plus forte réaffirmation de la tonique n'intervenant pas lors de sa réapparition en cours de morceau, mais étant réservée pour la fin.

   La révolution menée à terme par Haydn et Mozart, et qui donna naissance à la forme sonate, consista à articuler dramatiquement aussi bien le passage à la dominante que le retour de la tonique, en d'autres termes à transformer, nettement quoique provisoirement, la dominante en nouvelle tonique, et à réaffirmer avec force la tonique dès les deux tiers d'un morceau, parfois même dès sa moitié, au plus tard à ses trois quarts. Ces deux dramatisations, la seconde surtout, expliquent l'impression tripartite, et non plus bipartite, laissée par la plupart des morceaux de la fin du XVIIIe siècle, les trois parties se définissant non par leur longueur, pas forcément la même, mais par l'articulation, en définitive par leur fonction.

   Ces dramatisations, auxquelles d'autres vinrent s'ajouter, furent le moteur principal de la forme sonate classique, fondée sur la relation dialectique tension-détente, avec entre autres caractères essentiels une stabilité des extrêmes, de la fin plus encore que du début, et une tension maximale vers le centre.

   Les préclassiques, le jeune Haydn et le jeune Mozart s'en tinrent souvent, pour leurs premiers mouvements et surtout leurs derniers mouvements de symphonies, à la double symétrie binaire définie ci-dessus. Mais au fur et à mesure que se développa en musique instrumentale le sens du drame, une seconde partie purement symétrique devint de moins en moins acceptable, et on put observer en son début une tendance à l'accroissement de la tension harmonique et expressive par le biais notamment de modulations dans diverses tonalités. À une tension accrue vers le centre (développement) devait fatalement correspondre une résolution (réexposition) plus marquée : d'où la mise en valeur du retour de la tonique et d'une section conclusive la quittant très peu, avec comme résultat une structure tripartite obtenue en quelque sorte par fission du second volet de l'ancienne structure bipartite.

   Tous les ouvrages de Haydn, Mozart et Beethoven sont dialectiquement écartelés entre le drame et la symétrie (terme non synonyme de répétition textuelle), mais cette contradiction sans cesse apparente, chacun de leurs chefs-d'œuvre la résolut à sa manière. Le nombre de « thèmes » d'un mouvement de « forme sonate » n'était par exemple en rien fixé. D'une exposition, on se bornait à exiger qu'elle posât un premier conflit en affirmant la tonique, puis la dominante (ou un substitut de dominante). Rien ne l'empêchait d'affirmer en passant d'autres tonalités à rôle structurel moins fondamental. Le côté dramatique de l'établissement de la dominante pouvait être renforcé par l'apparition simultanée d'un nouveau thème (démarche fréquente chez Mozart et la plupart de ses contemporains), mais aussi bien par la répétition à la dominante du thème initial (solution fréquente chez Haydn). Beethoven et Haydn (symphonies no 92, dite Oxford, ou 99) combinèrent volontiers les deux méthodes, en répétant d'abord le thème initial à la dominante, avec quelques changements, par exemple dans l'orchestration, pour bien montrer que sa fonction dans l'architecture globale n'était plus la même, et en n'introduisant qu'ensuite un nouveau thème, à fonction plutôt conclusive.

   Présenter deux fois la même idée sous des angles différents est aussi dramatique, sinon plus, qu'en énoncer deux. Le critique du Mercure de France, après avoir entendu les symphonies parisiennes, fit remarquer d'un ton admiratif qu'alors que tant de compositeurs avaient besoin de plusieurs thèmes pour construire un mouvement, un seul suffisait à Haydn. Quand il y avait deux thèmes ou plus, ils n'étaient pas nécessairement contrastés. C'est souvent le cas chez Mozart et encore plus chez Beethoven, mais du premier mouvement de la symphonie militaire de Haydn, les deux thèmes ont le même caractère : les sections à la tonique et à la dominante sont articulées surtout par l'orchestration. De toute façon, c'est par la transformation des thèmes, obtenue parfois par le simple fait de les placer dans un contexte différent, et non par leurs contrastes, que Haydn, Mozart et Beethoven nous surprennent le plus.

   On dit souvent d'une œuvre de la seconde moitié du XVIIIe siècle qu'elle est d'autant plus progressiste que sa section centrale (développement), située en principe entre les accords semi-conclusifs de dominante (fin de l'exposition) et le retour de la tonique et du thème du début (commencement de la réexposition), est plus nette et plus vaste. Il est vrai que chez Haydn, Mozart et Beethoven, cette section manque rarement, et qu'en particulier chez Beethoven, ses dimensions peuvent être considérables. Il est vrai également qu'en général la tension y culmine, rendant ainsi nécessaire et désirable la résolution amorcée par le retour de la tonique. Cela dit, ni la grande étendue ni même l'existence d'un « développement » ne sont indispensables à la forme sonate. Aussi bien dans l'ouverture des Noces de Figaro de Mozart que dans le premier mouvement de la symphonie Oxford de Haydn, le retour de la tonique (réexposition) intervient alors que le morceau n'en est pas encore à sa moitié. C'est dû chez Mozart à l'absence de développement (après l'exposition, quelques mesures de transition conduisent directement à la réexposition) ; chez Haydn, aux dimensions exceptionnelles de la réexposition, en outre suivie d'une coda. On ne saurait dire pour autant que le morceau de Mozart, qui voulut sans doute préfigurer la rapidité d'action de la pièce de Beaumarchais dont était tiré son livret, est moins « avancé » que celui de Haydn : les deux le sont autant.

   Chez Haydn, Mozart et Beethoven, exposition, développement, réexposition et coda ne sont en rien des compartiments étanches. Les définir par leur position dans un mouvement est commode, mais ne correspond qu'à une partie de la réalité. Ce sont les fonctions d'exposition, de développement et de réexposition qui importent, et, chez les trois maîtres classiques, on les trouve en général réparties, inégalement il est vrai, sur tout un mouvement ou presque. Haydn et Beethoven en particulier commencent souvent à « développer » leurs thèmes ou motifs dès l'exposition. L'arrivée d'un nouveau thème dans le développement, comme souvent chez Mozart, comme chez Haydn dans la symphonie les Adieux ou chez Beethoven dans l'Héroïque, provoque certes un dépaysement : a-t-elle aussi une fonction d'exposition ?

   Dans l'Héroïque de Beethoven, la coda faisant suite à la réexposition n'est pas un ajout gratuit. Le résidu de tension qu'elle sert à résoudre provient de la nature du développement proprement dit, si vaste et si dramatique qu'il écrase quelque peu la réexposition, plus courte et incapable de l'équilibrer à elle seule : une coda se révèle donc indispensable. De même, sans le tribut au langage de l'époque que sont les quelque cinquante mesures martelant l'accord parfait d'ut majeur à la fin de la 5e symphonie de Beethoven, l'énorme tension accumulée au cours de cette œuvre gigantesque n'aurait pu être résolue.

   L'articulation et la périodicité à tous les niveaux entraînèrent dans les œuvres classiques une grande diversité rythmique et un besoin accru de symétrie, d'équilibre. De ce besoin, les réexpositions de forme sonate sont une manifestation à grande échelle, mais celles de Haydn en particulier rappellent que symétrie et répétition textuelle ne sont pas synonymes. Ces réexpositions sont écartelées entre leur fonction de résolution et la nécessité de maintenir la musique en mouvement jusqu'au bout. Elles prennent ainsi en compte la temporalité de l'art musical en général et le dynamisme de celui de la fin du XVIIIe siècle en particulier. D'où, en leur sein, de nouvelles surprises. Les retours d'événements déjà vécus y sont non de simples redites, mais des réinterprétations.

   On dit d'une réexposition qu'elle est d'autant plus régulière qu'elle se modèle plus étroitement sur l'exposition. Les réexpositions de Haydn sont souvent très irrégulières, mais la raison principale n'en est pas un simple souci de variété. Chez Haydn, les expositions sont déjà tellement dramatiques, surtout quand y domine un seul court motif (symphonie no 88), qu'une réexposition textuelle à la tonique serait un pur non-sens, voire une stricte impossibilité. Tous les épisodes qui, dans les expositions ou les développements de Haydn, apparaissent dans une tonalité autre que la principale n'en ont pas moins leur contrepartie dans la réexposition : ils y sont en général récrits, réinterprétés, arrangés dans un autre ordre, mais toujours résolus. Mozart, avec ses expositions plus volontiers polythématiques et faites de longues mélodies, peut se permettre des réexpositions plus textuelles mais elles réinterprètent autant que celles de Haydn.

   Dans la sonate pour piano en sol majeur K. 283 de Mozart, on trouve dans l'exposition (mesure 17) et la réexposition (mesure 84) une phrase identique, mais qui donne une impression de passage à la dominante dans un cas, d'affirmation de la tonique dans l'autre. Cette différence, moyen de clarification de la forme, est due à ce qui dans chaque cas précède la phrase en question.

   On a là un exemple, inconcevable sous cet aspect aux époques précédentes, de la mise en relation des parties et du tout dans le style classique viennois. En même temps, l'exemple de la sonate de Mozart montre que dans ce style les parties sont préformées par le tout, parfois de manière indélébile. Ainsi que l'a noté Tovey, en tombant en cours de déroulement sur un mouvement inconnu de Haydn, Mozart et Beethoven, un auditeur peut se rendre compte si ce mouvement en est vers son début, son milieu ou sa fin, ce qui est beaucoup plus difficile avec Bach. Inversement, la forme concrète n'est pas imposée de l'extérieur, mais déterminée par le matériau, propulsée par lui de l'intérieur. Les idées initiales de Haydn et Beethoven, souvent concises et en soi chargées d'énergie, donnent alors immédiatement une impression de conflit dont le déroulement et la résolution ne seront autres que l'œuvre elle-même : ce fut leur plus grande contribution à l'histoire de la musique.

   Le quatuor à cordes op. 50 no 1 de Haydn débute calmement sur un multiple énoncé, au violoncelle, de la note de tonique : le passage à la dominante se fait attendre, et les conflits les plus violents n'interviennent que dans le développement. Son quatuor op. 50 no 6 (la Grenouille) s'ouvre au contraire sur un mi isolé d'autant mieux mis en valeur que son registre est aigu, et dont le caractère dissonant (c'est la dominante de la dominante) apparaît au bout de trois mesures, quand on réalise enfin que la tonalité principale est majeur. Cet élément de conflit posé immédiatement, Haydn l'exploite à fond dès l'exposition, une de ses plus violentes.

   La forme sonate du classicisme viennois fut une manière d'écrire, en définitive un mode de pensée défini par Charles Rosen comme « la résolution symétrique de forces opposées ». Il ajoute : « Si cette définition semble aussi large que la forme artistique elle-même, c'est que le style classique est devenu pour une bonne part le modèle d'après lequel nous jugeons toute autre musique ­ d'où son nom. Cela dit, si dans le baroque il y a aussi résolution, elle est rarement symétrique, et les forces opposées, qu'elles soient rythmiques, dynamiques ou tonales, y sont bien moins nettement définies. Dans la musique de la génération de 1830 (Schumann), la symétrie est moins marquée, et parfois même esquivée (sauf dans les genres/formes académiques comme la sonate romantique), et le refus d'une résolution complète fait souvent partie de l'effet poétique. »

   Ce mode de pensée produisit une grande variété de « formes », il pénétra aussi bien le rondo que la forme lied, chez Mozart les grands finales d'opéra, et surtout chez Beethoven la fugue et la variation. Socialement, il avait, du moins en partie, trouvé son origine dans l'apparition d'un public plus nombreux et avide de divertissement. L'apparition de ce public avait été une des causes du caractère superficiel de bien des musiques immédiatement postérieures à Bach. « Les compositeurs durent se faire les agents du marché, dont les désirs pénétrèrent leurs œuvres jusqu'au plus profond d'elles-mêmes » (Adorno).

   Mais, ajoute Adorno, « il n'est pas moins vrai qu'en vertu justement de cette interpénétration, le besoin de divertissement se transforma en besoin de variété au sein de l'objet composé, de la composition elle-même, ceci par opposition au déroulement unitaire et relativement continu du baroque. Or ce souci d'alternance au sein d'un même morceau devint le fondement de la relation dynamique entre unité et diversité qui n'est autre que la loi du classicisme viennois. Cette relation dynamique fut pour l'acte compositionnel un progrès immanent qui, après deux générations (avec la maturité de Haydn et Mozart), compensa les pertes qu'au début le changement de style (consécutif à la mort de Bach) avait entraînées ».

   Ce mode de pensée eut comme contradiction interne celle existant entre un dynamisme global se projetant de l'avant et tendant vers le développement perpétuel, et le retour, à un moment donné, du début (réexposition), ou encore celle résultant de la présence d'une identité statique dans une forme en devenir. De cette contradiction, indispensable vers 1780-1815 à la vérité artistique, mais que le XIXe siècle, en raison notamment de l'évolution de la tonalité, devait ressentir avec de plus en plus de gêne, et ce jusqu'aux liquidations schönbergiennes, on trouve un indice dans le soin que prit si souvent Joseph Haydn d'introduire, dans l'entourage immédiat de ses réexpositions, une modification aussi minime soit-elle par rapport au début, mettant ainsi une fois de plus identité et changement en relation dialectique.

   Beethoven, en particulier dans ses symphonies, alla dans cette direction aussi loin qu'il était possible sans détruire le langage. Le premier mouvement de sa 9e symphonie s'ouvre pianissimo avec quelques instruments, sa réexposition est martelée fortissimo par tout l'orchestre. Identité et changement ne font plus qu'un, leur proclamation simultanée ayant été rendue possible par une démarche préalable aboutissant à faire de la réexposition un phénomène non seulement attendu, mais hautement désiré, et du retour du point de départ le résultat inéluctable d'un processus déclenché par ce point de départ lui-même. Le « faux départ » du cor, quatre mesures avant la réexposition du premier mouvement de l'Héroïque, n'est autre que la sédimentation dans l'œuvre elle-même du résultat de cette démarche et de son idéologie sous-jacente.

   Adorno voit d'une part en Beethoven « le prototype musical de la bourgeoisie révolutionnaire (et) d'une musique ayant échappé à la servitude », et d'autre part « dans la gestique affirmative de la réexposition (de ses) plus grands mouvements symphoniques un répressif et autoritaire C'est ainsi ». Il met en outre en parallèle l'identité du statique et du dynamique que proclament ces réexpositions, et notamment leurs débuts, avec « la situation historique d'une classe (la bourgeoisie) en train de dissoudre l'ordre statique sans pour autant, de peur de se dissoudre elle-même, s'abandonner à sa dynamique propre ». Le parallèle est intéressant, et historiquement convaincant, surtout si l'on songe aux avatars de la forme sonate au XIXe siècle. Elle avait été un organisme vivant, elle tendit à devenir un exercice d'école. Ou alors, ses contours s'estompèrent. Il y eut bien sûr des démarches héroïques, tendant comme celle de Bruckner à la mener plus avant, ou comme celle de Schubert à la repenser dans ses rapports avec le déroulement du temps, ou encore, comme celle de Liszt (sonate en si mineur), à lui tourner le dos, du moins en apparence. Il reste que dans les premières années du XXe siècle, les jeux étaient faits. Les grands inventeurs de formes participèrent dorénavant à la liquidation de la « sonate », même et surtout quand ils réussirent à en magnifier l'esprit. Significatif est le cas de l'extraordinaire 6e symphonie en la mineur de Mahler (1904), à la fois apothéose de la « forme sonate » dans tout ce qu'elle avait alors de normatif, et gigantesque mise au tombeau, par son message, de cette forme et de ce qui l'avait accompagnée.